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Pensions et allocations : le défi fiscal des familles monoparentales et recomposées

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Quelles soient monoparentales ou recomposées, de nombreuses familles au Québec font face à des défis financiers. Pour certaines dentre elles, une partie du problème et de la solution se trouve dans la fiscalité.

« J’ai l’impression qu’une bombe nucléaire est tombée sur la maison », dit d’emblée Christelle Chouinard pour illustrer l’état d’esprit qui l’habite. La jeune mère parle avec un ton d’urgence. Elle se sent prise à la gorge économiquement. « J’ai coupé les cours de guitare de mon fils, ma fille de 17 ans a même proposé de m’aider à payer sa robe pour le bal des finissants », dit-elle avec émotion.

Christelle Chouinard est mère de famille monoparentale de trois enfants. Elle est en couple avec un homme lui-même père de deux enfants nés d’une précédente union. Mais cette recomposition familiale est loin d’alléger ses finances – au contraire. Si elle continue à payer toute seule les dépenses de repas, de vêtements ou de livres d’école pour ses propres enfants, ses allocations familiales ont subitement été réduites de près des deux tiers.

Après une année de vie commune, les familles recomposées comme la sienne sont considérées comme des familles nucléaires sur le plan fiscal. Le gouvernement considère que les deux nouveaux conjoints partagent, théoriquement, les dépenses des enfants issus d’autres unions. Les allocations familiales sont donc ajustées selon le revenu total du couple. Le hic, c’est que cette division équitable des dépenses semble loin d’être la norme.

Le père biologique des deux filles de Christelle Chouinard, déchu de l’autorité parentale, ne contribue aucunement aux dépenses de la maisonnée. Après avoir déboursé des milliers de dollars en cour, elle calcule recevoir une pension alimentaire de 300 dollars par mois pour son troisième enfant, issu d’une seconde union. Christelle Chouinard comptait donc principalement sur ses allocations familiales pour boucler son budget. Jusqu’à ce qu’elle vive durant un an avec son conjoint actuel.

Dans le ménage, chacun paie, grosso modo, pour les dépenses de ses enfants respectifs. Son conjoint ne pourrait pas contribuer davantage, puisqu’il doit payer une pension alimentaire et qu’il est serré financièrement, souligne-t-elle. Après un an de cohabitation, les revenus des deux conjoints ont été additionnés. Résultat : les allocations familiales de Christelle Chouinard ont été réduites de 1 600 dollars à 600 dollars pour ses trois enfants, calcule-t-elle. La situation est tellement insoutenable pour elle qu’elle se demande si retourner vivre à une adresse distincte ne serait pas une meilleure idée.

« Dans le partage des dépenses, on est comme des colocataires, je paie mes affaires, il paie pour les siennes, explique-t-elle. Il faudrait réviser les calculs [des allocations familiales]! Les familles d’aujourd’hui ne sont plus comme avant, les calculs fiscaux pour les familles reconstituées ne fonctionnent pas. »

Des familles recomposées… et stressées

Sylvie Lévesque, directrice générale de la FAFMRQ

Christelle Chouinard est loin d’être la seule mère de famille monoparentale à vivre un stress financier. Au Québec, environ 2 familles monoparentales sur 10 sont incapables de combler leurs besoins de base, rapporte Sylvie Lévesque, directrice générale de la Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec (FAFMRQ). « Ce sont des gens qui ne font pas les manchettes, ce sont les enfants qui vivent dans la pauvreté », observe-t-elle.

« La crise du logement est très problématique, les gens dépensent en général plus de 50 % de leurs revenus pour se loger, explique Sylvie Lévesque. Plusieurs travaillent à temps partiel ou dans des emplois de service, qui sont des emplois moins bien rémunérés. Lorsqu’ils travaillent à temps partiel, ils n’ont pas accès aux garderies subventionnées. Beaucoup de familles doivent accéder à la banque alimentaire pour réussir à combler leurs besoins de base. »

À la suite d’une séparation, malgré les pensions alimentaires, l’inégalité de revenus peut se creuser entre les parents, généralement au désavantage des femmes, observent Maude Pugliese et Magalie Quintal-Marineau dans le Bulletin de liaison de la FAFMRQ de mars 2023. « Si la famille nucléaire en mène toujours large dans les imaginaires de la famille, en réalité́, les séparations et les remises en couple donnent lieu à un éventail beaucoup plus large de configurations, les gardes partagées ou exclusives, avec ou sans nouveau [conjoint] ou nouvelle conjointe, faisant maintenant légion », écrivent les deux expertes de l’Institut national de la recherche scientifique.

Selon elles, pour les parents remis en couple et les parents seuls, ces nouvelles configurations se traduisent aussi par des difficultés à rembourser des dettes, lesquelles génèrent un stress accru.

De petites victoires

Bien que le Québec ait souvent fait figure de pionnier avec des lois avant-gardistes comme la Loi sur l’équité salariale, il accuse un certain retard quant au droit de la famille par rapport aux autres provinces, estime Sylvie Lévesque. Celle-ci attribue notamment ce décalage à la persistance de mentalités conservatrices en ce qui a trait à la famille.

Qu’on le veuille ou non, le jargon fiscal de l’administration publique vient consacrer les rôles respectifs qu’une société attribue à ses hommes et à ses femmes. En changer les termes, c’est déjà admettre qu’il n’y a plus concordance avec la réalité. C’est aussi favoriser cette prise de conscience chez l’ensemble des contribuables.

– Stanton, Françoise et Anne Gauthier (1981). Dossier « La fiscalité désexisée ».
Gazette des femmes, vol. 3, no 1, p. 17.

Depuis des décennies, la FAFMRQ défend les intérêts des familles monoparentales et recomposées du Québec. Loin de la lumière des projecteurs, la FAFMRQ a célébré une victoire législative, après plus de 15 ans de luttes. Depuis le 1er avril 2023, les pensions alimentaires ne sont plus considérées comme des revenus dans les programmes de l’aide financière aux études, de l’aide sociale, de l’Allocation-logement ou de l’accès à l’aide juridique.

« Une mère de famille monoparentale aux études n’est pas riche avec des prêts et bourses, s’exclame Sylvie Lévesque. Auparavant, l’État empochait une portion de la pension alimentaire perçue par l’un des parents. Les plus grands perdants étaient les enfants », souligne la directrice.

Mais le problème reste entier dans le cas des allocations familiales des familles recomposées. Déjà en 2008, le Conseil de la famille et de l’enfance abordait cette question et qu’il y a rarement un partage des dépenses des enfants au sein des familles recomposées, comme le présume le gouvernement. Dans son rapport Famille et fiscalité : des remises en question, le Conseil recommandait au gouvernement québécois d’atténuer les répercussions fiscales de la recomposition familiale en prolongeant la période de cohabitation nécessaire avant que les conjoints soient reconnus comme des conjoints fiscaux. L’organisme proposait également de comptabiliser partiellement les revenus conjugaux en procédant graduellement dans le temps.

Plus de 15 ans plus tard, des familles comme celle de Christelle Chouinard espèrent que leur réalité sera mieux représentée dans les mesures fiscales. « La seule chose que je demanderais, c’est que les enfants soient heureux, tant chez maman que chez papa, souhaite-t-elle. Il faut que ce soit équitable pour les enfants! »

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