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Les belles-mères : de Cendrillon à Kamala Harris

Nos airs de famille

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Temps estimé de lecture :5 minutes

Bandeau :Photo : © Patricia Prudente (unsplash.com)

Elles sont absentes du droit de la famille, mais bien présentes dans la culture populaire, et plus souvent pour le pire que le meilleur. Depuis 50 ans, la beau-parentalité sest transformée au rythme des recompositions et de la diversification des modèles familiaux. De parent de substitution à coéquipière, de Madame de Trémaine à la 49e vice-présidente des États-Unis, comment la blonde de papa est-elle perçue?

« Dans les contes que je voulais lui lire, toutes les belles-mères étaient tout le temps méchantes », et la belle-fille de Marie-Chantal Perron ne comprenait pas pourquoi. L’actrice non plus d’ailleurs. Cendrillon ou Aurore, l’enfant martyre, c’était si loin de leur histoire, de leur coup de foudre amical intergénérationnel. C’est ainsi qu’est né le roman graphique copine et Copine en 2019, une œuvre de fiction écrite à plusieurs cœurs pour offrir un autre modèle de relation belle-mère–belle-fille.

Une révolution pas tranquille du tout

La recomposition conjugale a longtemps été associée au veuvage. Un parent de remplacement s’insérait dans une famille endeuillée, endossant les responsabilités et les rôles de l’être décédé. La loi canadienne du divorce de 1968 a changé les réalités de la recomposition familiale. « Ç’a été une révolution pas tranquille du tout », résume Sylvie Lévesque, directrice générale de la Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec (FAFMRQ).

Depuis le début des années 90, la proportion de familles biparentales classiques est en diminution, c’est une constante qu’observe Marie-Christine Saint-Jacques, professeure titulaire à l’École de travail social et de criminologie de l’Université Laval, qui s’intéresse à la question depuis plus de 30 ans.

Au Québec, en 2016, plus de 30 % des enfants âgés de 0 à 14 ans vivaient au sein d’une structure familiale différente du modèle biparental intact.

Un des grands changements observés au cours des dernières décennies, c’est que les couples se séparent plus tôt. « Les parents sont encore en âge d’avoir des enfants et plusieurs portent ce projet », explique Marie-Christine Saint-Jacques. Des beaux-parents vont donc devenir parents, dans une structure que les statistiques ont baptisée la famille recomposée complexe.

Comment ne pas devenir une marâtre

Sylvie Lévesque souligne ce paradoxe : les gens se séparent beaucoup, mais se recomposent aussi beaucoup. Il y a ce grand désir de continuer à être des familles, ça reste l’idéal à atteindre malgré la diversification des structures.

La directrice de la FAFMRQ remarque également que la pression sociale pèse davantage sur les belles-mères que les beaux-pères. Celles-ci portent la responsabilité du care; comme femmes, elles ont été socialisées pour prendre soin des autres.

La professeure de l’Université Laval abonde dans le même sens. « Les femmes ressentent beaucoup plus de pression, plus de charge mentale, mais sans la reconnaissance. »

La journaliste française Fiona Schmidt, autrice de l’essai Comment ne pas devenir une marâtre : guide féministe de la famille recomposée, résume la situation ainsi : « Finalement, les belles-mères subissent quasiment les mêmes injonctions que les mères, mais ne bénéficient pas de la même valorisation sociale. »

Marie-Chantal Perron

Au Québec, le droit de la famille ne mentionne ni la recomposition ni la beau-parentalité – cependant, depuis juin 2022, l’article 611 du Code civil du Québec mentionne l’ex-conjoint·e du père et de la mère. Un anachronisme dénoncé par un comité d’expert·e·s en 2015, dont faisait partie Marie-Christine Saint-Jacques. Le groupe de chercheur·e·s soulignait l’importance de prendre en compte les liens entre les beaux-parents et les enfants lors de l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant.

« Tout ce débat-là, c’est un débat qui parle d’amour, et du respect de cet amour-là, de ce lien-là », lance Marie-Chantal Perron.

En 2022, la comédienne a récidivé avec un second livre sur le thème de la beau-parentalité, ce rôle « fabriqué de toutes pièces, flou, ingrat, interchangeable, sans droit, hors des lois », peut-on lire dans Les douze mois de Marie.

Un roman sur le deuil d’une belle-mère, privée contre son gré de relations avec sa belle-fille, après avoir laissé son père. « Il y avait ce désir de donner une voix à des gens qui ne se sentaient même pas légitimes d’avoir de la peine. » La lumineuse mademoiselle P. souhaitait faire œuvre utile.

Bonusmama et Momala

Dans La blonde de papa, Valérie Roberts écrit souhaiter un vocabulaire plus précis pour parler de beau-parentalité. L’animatrice, « petit plus inattendu » dans les vies de Simone et de Léonie, a rassemblé une vingtaine de témoignages de belles-mères aux expériences variées, de Roxane Bruneau à Sophie Durocher.

Valérie Roberts note qu’en français, la blonde du père (stepmother) et la mère du conjoint (mother-in-law) sont toutes les deux des belles-mères. Comme si la langue de Molière n’avait pas jugé essentiel de les nommer de façon précise et distincte.

En suédois, au gré des humeurs du locuteur ou de la locutrice, la belle-mère sera tantôt mère bonus (bonusmama), tantôt mère de plastique (plastmama)! Dans la comédie dramatique suédoise Bonusfamiljen, ce sont toutes ces variations d’appréciation, du bonus au plastique, qui sont représentées au petit écran. Et il était temps.

Le message est clair : ces femmes portent fièrement leur identité de belle-mère, car ne pas la nommer serait nier une belle et complexe histoire d’amour.

De plus en plus de modèles de recomposition se retrouvent à la télé, comme dans Conseils de famille, diffusée sur Télé-Québec de 2016 à 2018. La belle-mère interprétée par Catherine Trudeau est à des années-lumière du beau-père d’Émilie Laurin dans Watatatow, Jocelyn – Sainte toton, Ginette! – Turmel, présenté au début des années 90 à la jeunesse québécoise.

La créatrice de Conseils de famille, Marie-Hélène Lebeau-Taschereau, affirme dans La blonde de papa : « Quand je suis devenue belle-mère, j’ai pris mon rôle au sérieux. J’ai fouillé dans les livres et les magazines. J’ai essayé de trouver des ressources pour m’aider, mais il y en avait peu. Partout, même dans la littérature pour enfants et les contes de fées, la belle-mère était représentée comme un personnage épouvantable. Comment pouvais-je m’épanouir comme belle-mère, si je n’avais pas de modèle positif, et aucune histoire qui finit bien? Ce modèle était à inventer. »

En politique aussi, des élues se sont approprié ce modèle. Sur le site de l’Assemblée nationale, la biographie officielle de Manon Massé indique : « 2 enfants (famille recomposée) ». Une parenthèse qui permet à la députée solidaire de reconnaître le lien qu’elle a créé avec les enfants de son ex-conjointe, même si leur mère n’est plus son amoureuse. Quatre mots tout simples pour dire que l’attachement et l’amour qui se développent pendant 12 ans ne disparaissent pas le jour où on quitte leur maison.

Sur son compte Instagram, la vice-présidente des États-Unis parle de ses enfants. Kamala Harris affiche sa fierté aux côtés d’Ella Emhoff lors de sa remise de diplôme, en écrivant « Félicitations à notre fille! ». Et elle signe Momala, contraction de mom et de Kamala, surnom que les enfants nés du premier mariage de son époux lui ont donné. En campagne électorale, la colistière de Joe Biden a raconté que la mère d’Ella et de Cole est devenue une amie proche. « On plaisante parfois en disant que notre famille moderne est presque trop fonctionnelle! »

Les façons de faire varient, les relations aussi, mais le message est clair : ces femmes portent fièrement leur identité de belle-mère, car ne pas la nommer serait nier une belle et complexe histoire d’amour.

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