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L’adoption comme projet homoparental

Un modèle familial qui grandit

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Au cours des dernières décennies, le modèle familial « traditionnel » a connu des changements significatifs. Depuis 2002, le Québec reconnaît la filiation entre deux parents de même sexe et leurs enfants. Si la procréation assistée est la méthode la plus fréquemment choisie par ces couples pour fonder une famille, l’adoption représente elle aussi une voie d’accès à la parentalité. Pour ces couples de même genre qui font le choix de l’adoption, ce projet peut permettre non seulement d’offrir une vie meilleure à un enfant, mais également de représenter un modèle parental en marge des conceptions hétéronormatives de la famille.

Jusqu’à tout récemment, les couples de même genre qui souhaitaient fonder une famille se heurtaient à de nombreuses barrières structurelles, légales et sociales. Bien que l’homosexualité ait été décriminalisée au Canada en 1969, la Charte québécoise a permis la discrimination basée sur l’orientation sexuelle jusqu’en 1977. Les couples de même genre étaient donc systématiquement exclus de nombreuses mesures sociales, notamment des prestations, des droits ou encore des responsabilités généralement octroyés aux conjoints.

En 1998, pour la toute première fois au Québec, un couple de femmes entreprend des démarches juridiques pour faire reconnaître légalement comme second parent la mère n’ayant pas porté l’enfant. De sa lutte naît l’Association des mères lesbiennes (AML), qui allie une quarantaine de mères et futures mères lesbiennes. L’AML deviendra l’actuelle Coalition des familles LGBT+, qui effectue un travail important dans la défense des droits de ces familles.

C’est en partie grâce à ces luttes que le Québec adopte en 2002 le projet de loi no 84, qui permet la reconnaissance de la filiation entre deux parents de même genre et leurs enfants. Le mariage entre personnes de même sexe est quant à lui légalisé en 2005 au Canada.

La réalité de l’adoption

Mona Greenbaum, cofondatrice et directrice générale de la Coalition des familles LGBT+

Il est difficile d’évaluer le nombre de familles homoparentales qui adoptent un enfant au Québec, notamment parce qu’il n’existe aucune statistique provinciale claire. Comme l’adoption internationale est proscrite pour les couples homosexuels dans pratiquement tous les pays du monde, l’adoption en banque mixte serait l’option la plus courante.

Selon Mona Greenbaum, cofondatrice et directrice générale de la Coalition des familles LGBT+, bien qu’il n’y ait plus de restrictions légales pour les couples homosexuels qui souhaitent adopter un enfant au Québec, certaines pratiques peuvent encore être teintées d’hétérocisnormativité. Comme l’adoption est un processus d’évaluation des personnes, les intervenant·e·s responsables ne sont pas exempts de subjectivité et de préjugés.

« On le voit notamment en cliniques de fertilité. Bien qu’elles reçoivent beaucoup de couples de même genre, si une femme lesbienne arrive seule, on va très souvent lui demander “où est votre conjoint aujourd’hui?”. C’est de l’hétérosexisme, des présomptions sur l’orientation sexuelle. »

L’hétérosexisme se manifeste aussi dans des microagressions, comme un formulaire d’école qui ne laisse qu’une place pour les noms de « papa » et « maman », effaçant de facto tout modèle familial dit non traditionnel.

« Il y a parfois un manque de sensibilité quant aux différentes réalités : on met tout le monde dans la même boîte, alors que nos réalités sont différentes. Sensibiliser les gens aide à faire changer les pratiques », explique la cofondatrice de la Coalition des familles LGBT+, qui forme chaque année plus de 6 000 professionnel·le·s sur les réalités des familles LGBT.

Avantages et défis du projet homoparental

Au cours des dernières décennies, de nombreuses études ont permis de mieux comprendre les réalités des familles homoparentales. Elles ont entre autres démontré qu’au sein de ces familles, le partage des tâches serait plus égalitaire que dans les ménages hétérosexuels. Selon Éric Feugé, professeur au département de psychologie de l’Université de Montréal, cet élément est un facteur de protection pour l’enfant : une meilleure répartition des tâches signifierait moins de stress. Or, il est prouvé que le stress parental peut nuire au bien-être de l’enfant.

Une étude réalisée en Angleterre a également démontré que parmi les familles hétérosexuelles et de même genre ayant adopté, les pères gais seraient ceux qui éprouvent le plus grand sentiment de confiance envers leurs habiletés de parent, suivis par les mères lesbiennes, puis les couples hétérosexuels.

« L’hypothèse avancée par les chercheur·e·s est que pour 100 % des pères gais, le choix de l’adoption était le premier pour accomplir leur projet parental. Conséquemment, ils avaient peut-être moins d’attentes, moins d’a priori, moins le désir de mimer une famille traditionnelle nucléaire comme pourraient le vouloir les couples hétérosexuels, par exemple », explique la professeure Isabel Côté, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la procréation pour autrui et les liens familiaux.

Chez les couples lesbiens, les mères seraient aussi beaucoup plus satisfaites de la répartition des tâches que dans les couples hétérosexuels. « Le partage des tâches dans les familles lesboparentales se fait davantage en fonction des intérêts, des goûts et des habiletés de chacune, et non par rapport à des impératifs de genre, comme c’est plus souvent le cas dans les couples hétérosexuels », explique Isabel Côté.

L’homoparentalité et les enfants

La recherche menée depuis plus de 30 ans auprès des familles homoparentales a su démontrer que les enfants ne se comportent pas différemment que dans les familles hétéroparentales. Les études indiquent également que ces enfants ont des conceptions moins stéréotypées. « Ils vont par exemple moins associer les femmes avec certaines tâches ou certaines qualités, ils vont avoir une vision beaucoup plus ouverte des gens », explique le professeur Éric Feugé. « D’où l’importance de montrer des modèles non conformes aux stéréotypes de genre : une fois adultes, ces enfants ont des palettes de comportements, d’intérêts et de capacités plus larges. »

Mais ces modèles sont parfois absents du parcours scolaire de ces enfants. « Un enfant peut passer à travers son primaire sans lire ou avoir de discussion sur les différents types de familles. Contrairement aux ados, qui veulent généralement se distancer de leurs parents, pour les jeunes enfants, l’identification à la famille est très importante, explique Mona Greenbaum. Le manque de visibilité de nos familles, c’est vraiment un enjeu. »

Quand on discute familles homoparentales avec Louise Harvey, on comprend que le choix des mots a son importance. Tous les mots. “Vous venez de dire normalement. Je préfère généralement. Il faut faire attention, même quand on n’a pas de mauvaises intentions, de choisir les bons mots. Avant, je ne reprenais pas les gens, mais depuis que j’ai ma fille, je trouve important de le faire. Pour ne pas qu’elle ait constamment l’impression que sa famille n’est pas normale.”

« Ça reste des configurations familiales dont les membres peuvent être victimes de microagressions au quotidien. Les gens ne sont pas forcément mal intentionnés et ne veulent pas faire de tort, mais ça demeure une discrimination », croit Geneviève Pagé, directrice scientifique de l’Équipe de recherche sur le placement et l’adoption en protection de la jeunesse.

Pour Julie*, mère d’un garçon dans une famille pluriparentale et actuellement famille d’accueil pour une petite fille en banque mixte, il est essentiel d’assumer sa réalité familiale. Un épisode assez marquant dans son parcours : une journée de magasinage avec son fils, la mère et le père de son fils. « Je parlais avec la vendeuse, qui m’avait vue avec mon fils. Mon fils se retourne vers ma conjointe, qui était plus loin, et lui crie “Mom!”. La vendeuse se retourne, me regarde et ne comprend pas. Je lui dis : “Eh oui, il a deux mamans, et un papa!” Et là, le malaise…! À ce moment-là, je me suis dit : “je dois me battre, parce que la réalité de mon fils, c’est celle qu’on lui présente. Je dois m’assumer”. »

Des perspectives pour l’avenir

Si le Québec reconnaît la filiation pour les couples de même sexe et leurs enfants depuis 2002, l’hétérocisnormativité demeure encore ancrée dans certaines pratiques. Les familles pluriparentales, qui ne sont pas admises légalement pour adopter au Québec, démontrent bien la persistance des modèles familiaux plus traditionnels au sein des institutions et dans les mentalités.

Et bien que l’ouverture envers les couples de même genre qui souhaitent devenir parents grandisse progressivement, l’acceptation sociale se limite trop souvent aux personnes cisgenres. « De plus en plus, je vois des personnes trans ou non binaires accéder à la grossesse, à l’adoption. Mais les préjugés sont encore grands au Québec, et les pratiques adaptées manquent », se désole Mona Greenbaum.

La cofondatrice de la Coalition des familles LGBT+ affirme que l’éducation demeure la clé : grâce à des formations offertes dans les unités de périnatalité, le personnel de la santé peut dorénavant apprendre quelles sont, par exemple, les pratiques adéquates avec un homme trans enceint. « C’est selon moi un incroyable signe d’ouverture et de progression, mais il y aura toujours des luttes. »

Selon Julie, que ce soit au regard de sa famille pluriparentale ou de son projet d’adoption, l’important est d’assumer ce qu’elle est. « Les gens auront toujours des choses à dire sur tout. Il faut être des parents assez solides pour affirmer nos valeurs et trouver nos propres solutions à nos réalités familiales. Oui, l’adoption, c’est laborieux, mais c’est une expérience de vie ultra-enrichissante. Pour nous, ça apporte énormément de sens. À partir du moment où on s’assume, je pense qu’il n’y a rien d’impossible. »

* Julie est un nom fictif pour anonymiser le témoignage.

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