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La famille hors norme de Louise Brissette

Une vie dédiée aux enfants handicapés

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Temps estimé de lecture :5 minutes

Bandeau :Photo : Louise Brissette accompagnée de ses filles Colombe et Gabrielle (© Véronique Delaire)

Ne cherchez pas la famille nucléaire chez Louise Brissette. La physiothérapeute a toujours fait les choses autrement.

Une ribambelle de jeunes adultes handicapés s’attable trois fois par jour dans sa maison de Saint-Anselme, dans Bellechasse. « Chacun dit son mot, même ceux qui éprouvent le plus de difficulté. On les écoute. Personne ne joue avec son téléphone! », me raconte fièrement la maman de… 37 enfants! Louise les a tous adoptés, l’un après l’autre, depuis 1978. « Je leur ai offert des racines. C’est ça, la famille, pour moi. »

Même sans lien de sang, le clan Brissette est tissé serré. « Les enfants s’entraident. Ils ont tous des tâches et sont fiers de les accomplir. Jamais ils ne me demandent un congé! », poursuit-elle, en souriant. Ils retiennent – sans aucun doute – de leur mère. ll faut se lever tôt pour réussir à suivre maman Brissette. Dès l’aube, Louise allume le poêle à bois dans la salle à manger. « Quand les enfants sortent de leur chambre, ils trouvent une belle chaleur. J’aime prendre le temps de les regarder avant de préparer leur déjeuner », explique-t-elle. Puis, le marathon devant les fourneaux ne s’arrête plus jusqu’au soir, à l’exception d’un court moment de prière en matinée.

Jamais elle ne s’en plaint, ni ne s’essouffle de nourrir et cajoler les 24 enfants – devenus des adultes – qui résident toujours sous son toit. « Je ne suis pas stressée. Je vis le moment présent », relativise cette femme croyante, aux courts cheveux gris et au calme rassurant. Plusieurs la surnomment affectueusement la mère Teresa du Québec. Une comparaison qui la fait bien sourire, mais « qui va trop loin », répond Louise, avec humilité.

La plus grande aventure de sa vie

À 20 ans, Louise Brissette quitte son Plessisville natal pour l’Équateur, après des études en physiothérapie. Durant ce voyage, elle est témoin de la place et du traitement des enfants handicapés dans la société. Plusieurs d’entre eux étaient ramassés dans les villages des montagnes, transportés par camion et déchargés comme de la marchandise, sans âge ni nom connu, à l’hôpital où elle travaillait.

Pour se rapprocher des communautés, la jeune femme choisit ensuite de parcourir le Pérou, l’Argentine, le Paraguay, l’Uruguay, le Brésil et la Bolivie à moto avec une amie. Il en fallait de l’audace pour oser s’aventurer de la sorte, à la fin des années 1960.

« C’est facile de dire que certains enfants handicapés ne comprennent rien. Quand on est à l’écoute, on peut voir que c’est faux. Ils communiquent autrement.  »

– Louise Brissette

Mais c’est au Québec, après un voyage humanitaire au Cameroun, que commence la plus grande aventure de sa vie. Le 6 avril 1978, à presque 33 ans, Louise reçoit un appel de l’hôpital Sainte-Justine. Les parents d’un enfant handicapé de sept mois ne peuvent pas prendre soin de lui. Louise décide donc de l’adopter et devient, pour la toute première fois, la maman de Jean-Benoît. Ensuite, elle adopte Marie, atteinte de spina-bifida. « C’est la troisième, Cathie, souffrant d’une paralysie cérébrale sévère, qui a tout changé, se souvient Louise Brissette. Personne ne lui disait bonjour. Le neurologue la comparait même à un légume. C’était inhumain. »

Louise avait alors trouvé sa vocation. « C’est facile de dire que certains enfants handicapés ne comprennent rien. Quand on est à l’écoute, on peut voir que c’est faux. Ils communiquent autrement », soutient Louise en enfilant les anecdotes. Elle raconte la fois où Cathie avait réussi à l’aviser, en criant, que la voiture allait manquer de carburant. Après l’adoption de Cathie, Louise a continué de prendre des enfants sous son aile. « Un, puis un autre… on ne compte plus! » rigole cette dame au cœur immense.

Les Enfants d’amour

Gabrielle, 29 ans, s’assoit sur les genoux de Louise pour participer à la discussion. « Est-ce que tu es bien ici? », lui demande candidement sa mère. La jeune femme trisomique hausse les épaules en riant, comme si c’était une évidence. Puis arrive Delphine, 26 ans. Derrière ses lunettes mauves, ses yeux brillent lorsqu’elle raconte qu’elle prépare un spectacle de fin d’année pour son école. Christine, elle, vient nous chanter sa chanson préférée, avant que Jean-Simon, curieux, ne s’approche pour nous saluer.

La maison de Louise Brissette grouille de vie. « La vie est faite pour être partagée », dit-elle, avec simplicité.

Heureusement, elle n’est pas seule pour s’occuper de sa marmaille. Autour d’elle gravitent une dizaine d’employé·e·s et de bénévoles depuis qu’elle a mis sur pied la fondation Les Enfants d’amour en 1985. L’organisme offre du répit aux autres familles, une chambre hyperbare, un gymnase, une école et de petits logements pour ses enfants les plus autonomes.

Son plus vieux, Jean-Benoît, travaille aujourd’hui avec elle en fauteuil roulant. Un petit miracle! Il a déjoué tous les pronostics des médecins qui le croyaient atteint d’une déficience mentale profonde et d’une incapacité à s’asseoir. Rien pour décourager Louise qui, à l’époque, ne poursuivait qu’un seul objectif : lui donner beaucoup d’amour.

« Pour moi, le cœur n’est jamais handicapé. »

– Louise Brissette

Il faut dire qu’il n’y a aucune limite pour Louise Brissette. Ses enfants ont même voyagé avec elle en Haïti (où la fondation aide aussi neuf enfants handicapés), en Équateur et au Vatican. « Pour moi, le cœur n’est jamais handicapé. Voyager en famille nous permet de faire des rencontres plus intenses. On ne voit pas le monde de la même façon », ajoute-t-elle.

Quand je vous disais que Louise Brissette a toujours fait les choses autrement…

Certains parents biologiques l’ont même accompagnée dans ses périples. « Les parents veulent toujours le meilleur pour leur enfant. S’ils ont choisi de le donner en adoption, c’est parce qu’ils étaient convaincus qu’une autre personne saurait mieux s’en occuper, explique-t-elle. Ce n’est pas un abandon, c’est le plus grand geste d’amour. »

L’après?

À 77 ans, impossible pour elle de fermer la porte à une autre adoption si l’occasion se présentait. Mais que deviendront ses enfants le jour où elle partira? « Le bon Dieu ne m’a jamais laissée tomber. Je suis convaincue qu’ils ne seront jamais seuls, répète-t-elle. Si Delphine venait cogner à votre porte, est-ce que vous lui ouvririez? »

Oui.

Louise n’a pas tort. Elle a su bien les entourer en construisant autour d’eux tout un village. Elle ne touche aucune subvention gouvernementale, mais reçoit de nombreux dons. « Je vais rarement à l’épicerie! Des commerces nous offrent leurs invendus », s’étonne encore Louise. Et elle réussit quand même à préparer les petits plats préférés de ses enfants.

Quoi qu’il en soit, la maman est bien trop occupée pour angoisser sur le temps qui passe. Quelqu’un cogne à la porte, des enfants crient dans l’autre pièce et sa cuisine l’attend. Le quotidien de nombreux parents! « Plus jeune, je n’aurais jamais pensé dire ça, mais j’adore préparer les repas, lâche Louise Brissette. Je ne donnerais ma place pour rien au monde. »

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