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La mort vivante

Entre la poésie, la nouvelle, le récit et l’essai, le nouveau livre d’Élise Turcotte sort des cadres littéraires pour n’obéir qu’à la volonté de son auteure.

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Entre la poésie, la nouvelle, le récit et l’essai, le nouveau livre d’Élise Turcotte sort des cadres littéraires pour n’obéir qu’à la volonté de son auteure. À tel point que le lecteur se demande parfois s’il ne s’agit pas carrément d’un recueil de souvenirs ou d’une méditation très personnelle sur la mort et la vie. La narratrice tourmentée, observatrice et réfléchie serait-elle Élise Turcotte elle-même ? « C’est dur à dire, répond la principale intéressée. Moi, je parle d’une narratrice. Mais c’est toujours un peu ça, le travail d’écriture : créer un double de soi qui n’est pas vraiment soi. Cela dit, c’est clair qu’on entend très bien ma voix dans ce livre-ci. » Son titre, déjà, intrigue : Pourquoi faire une maison avec ses morts. Pourquoi ? La question ne serait-elle pas plutôt « comment » ou « est-il possible de » faire une maison avec ses morts ? Par définition, on habite une maison, on y vit. Les morts peuvent-ils vraiment en constituer le matériau de base ? Oui, répond sans ambages l’écrivaine et poète dont le dernier roman, La Maison étrangère, a reçu le Prix du Gouverneur général. « On croit qu’on n’a plus de tabous aujourd’hui, mais on se trompe, bien sûr. Tout ce qui est deuil, douleur, corps vieillissant, tout ce qui est moins beau, on ne veut pas y penser. » En ce sens, faire une maison avec ses morts implique de regarder la mort en face et de cultiver le souvenir des défunts. C’est dur. Ça prend du temps. Mais en leur bâtissant une maison, on assigne nos morts à demeure, les empêchant ainsi d’errer dans tous les coins de notre vie. Au fil des sept récits qui composent le recueil, la prose poétique et philosophique d’Élise Turcotte esquisse la silhouette d’une femme étrangement seule malgré la présence de ses deux brillants enfants et des nombreux hommes qui se brûlent les ailes auprès du trio. La fin de l’enfance, de l’amour ou d’une illusion, le suicide d’un ami, le deuil du père, le décès d’un oiseau de compagnie : autant de morts auxquelles la narratrice doit survivre malgré la tentation du vide qui l’étreint par moments. Mais si l’éclat bleuté de la mort teinte chaque mot, l’ensemble n’a rien de morbide, la poète ayant mis son art au service d’une phrase vivante et forte. « Bizarrement, j’ai eu beaucoup de plaisir à écrire ce livre-là, confie-telle. Il y a une distance presque documentaire qui fait en sorte que le livre n’est pas triste, je crois. » Pas triste, en effet, mais pas joyeux non plus. Méditatif, dirons-nous. Tout comme les médecins légistes des romans policiers qu’elle dévore, Élise Turcotte aborde la mort comme un signe ou un symbole qui renvoie à la vie. « Le passage par la symbolisation fait partie de l’humanité », explique-telle. L’écrivaine fait ainsi souvent appel aux animaux qui peuplent depuis longtemps les mythes et l’imaginaire symbolique de l’homme. « J’ai l’impression que dans un monde aussi précaire que le nôtre, la force vitale qu’on sent chez les animaux retrouve sa force symbolique. » Quand la narratrice croise leur regard fixe « comme une bille au fond d’un puits », c’est un peu comme si elle regardait sa propre mort, bête sauvage tapie au fond d’elle-même. Ainsi Élise Turcotte parle-t-elle de la Grande Faucheuse sans jamais prétendre l’apprivoiser ni chercher à en tuer le mystère, se demandant simplement comment aimer la vie quand la possibilité de la mort est là, tout près.