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Femmes lisibles, Femmes visibles

La langue est le miroir de l’évolution sociale d’un peuple. Vivante, changeante, elle s’adapte, se colore, se transforme au gré des changements de la société.

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La langue est le miroir de l’évolution sociale d’un peuple. Vivante, changeante, elle s’adapte, se colore, se transforme au gré des changements de la société. Hélène Dumais, linguiste spécialisée en rédaction non sexiste, raconte l’incidence du féminisme sur la langue de Molière au Québec.

La rédaction non sexiste est un phénomène relativement récent. Pouvez-vous retracer brièvement son évolution ?

Nous pouvons situer les débuts politiques de ce dossier en 1976. C’est à ce moment-là que l’Office québécois de la langue française conçoit des avis et traite plusieurs requêtes relatives à la féminisation des titres. L’une d’elles provient d’ailleurs du ministère fédéral de l’Immigration et concerne l’actualisation du guide La Classification canadienne descriptive des noms de profession. Il y a une forte demande pour nommer ces femmes qui occupent des emplois autrefois réservés aux hommes. Parallèlement, le ministère de l’Éducation se penche aussi sur les titres, puis en vient rapidement à s’interroger sur la féminisation des textes. C’est d’ailleurs à son instigation que je conçois le guide Pour un genre à part entière en 1984. Le sujet fait aussi son chemin dans le domaine universitaire et l’UQAM est la première université à proposer une liste de titres fémi nisés en 1980. Plusieurs grandes entreprises comme le CN et Hydro-Québec vont lui emboîter le pas et produire des guides en ce sens. Fait intéressant à noter, il se dégage une unité dans tout ce matériel produit au Québec.

Est-ce une manière de procéder différente des autres pays francophones ?

Oui, parce qu’au Québec, la féminisation des titres s’est opérée en douceur. Il y a bien eu quelques dissensions mais jamais autant d’opposition qu’en France, où le fait de féminiser les titres est encore parfois contesté. Nous pouvons nous réjouir du fait que cette pratique fasse aujourd’hui partie de nos acquis.

Le gouvernement a-t-il adopté des mesures ou des incitatifs pour encourager son personnel et la population à écrire de façon non sexiste ?

Le gouvernement québécois n’a jamais imposé cette façon de faire, contrairement à la Suisse où une véritable volonté politique a vu le jour. Ici, nous avons procédé différemment. La rédaction non sexiste et la féminisation des titres se sont répandues assez aisément dans les années 1990 dans différents milieux, grâce à des guides et à des politiques établies par certains ministères, commissions scolaires ou municipalités, sans oublier les retombées des ateliers de formation et de l’usage populaire.

En 2007, vous avez analysé les documents officiels de 18 ministères et de 19 organismes gouvernementaux du Québec présents sur la Toile en 2003-2004, afin de voir de quelle façon s’appliquait la rédaction non sexiste. Quel a été votre constat ?

Mon analyse portait uniquement sur les rapports annuels et les déclarations de service accessibles sur le Web. J’ai constaté que la rédaction non sexiste n’était pas une pratique généralisée. On remarque plutôt un recours massif à la note explicative disant que le masculin inclut le féminin. Est-ce par rectitude politique ? Par manque de technique ? Je crois que c’est un mélange des deux. Par contre, il y a des textes sans aucune note, mais où se manifeste le souci de mélanger les deux genres.

Vous trouvez satisfaisant que la majorité des auteurs de ces textes se contentent d’une note explicative ?

Évidemment, c’est insuffisant et très loin de ce que je propose. Mais cela indique que des changements s’opèrent dans la société. On n’ose plus laisser un texte entièrement au masculin. On voit qu’il y a une ouverture, mais je crois qu’il y a encore beaucoup de sensibilisation à faire pour que la rédaction non sexiste se généralise.

En 2008, vous avez réalisé une étude sur le volet international de la question, où vous avez réuni quatre Québécoises, une Française, une Suisse, une Belge et une Chypriote, toutes spécialistes en parité linguistique. À la lumière des commentaires recueillis, comment situez-vous le Québec dans la francophonie ?

Le Québec était à l’avant-garde dès le début du phénomène, dans les années 1980. Nous nous trouvons encore en tête de file mais, juste à côté de nous, il y a la Suisse, qui a déjà imposé une volonté politique. En Belgique, les choses ont beaucoup évolué et elles bougent encore, notamment avec la réédition du guide Mettre au féminin. En France, la situation est différente; parfois ça avance, quelquefois ça recule. Lorsque je participe à des réunions là-bas, j’ai l’impression que les discussions sont celles que nous tenions il y a 10 ou 15 ans.

Quels sont les obstacles rencontrés à la rédaction non sexiste ?

Pour les titres, il n’y a vraiment aucun problème au Québec : c’est entré dans notre mentalité. Pour les textes, en revanche, on s’aperçoit qu’il y a encore un blocage. Les gens éprouvent une certaine réticence, non pas par mauvaise volonté mais plutôt par manque de méthode. Les personnes qui assistent aux ateliers d’écriture que je dirige sont toujours sur prises de réaliser à quel point c’est simple. L’important, c’est d’aborder la rédaction non sexiste au moment de la conception du texte, plutôt que de tenter de le modifier une fois qu’il est terminé.

Selon vous, que devons-nous accomplir pour généraliser la pratique de la rédaction non sexiste ?

À mon avis, tout passe par la sensibilisation des jeunes et l’éducation. On doit également former les rédactrices et les rédacteurs.