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Gouvernance dans l’Église : place aux femmes!

S’allier contre la résistance

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Temps estimé de lecture :5 minutes

Bandeau :Photo : © Gabriella Clare Marino (unsplash.com)

L’accès des femmes en politique peut-il servir de modèle dans l’Église? Comment leur assurer une place pleine et entière au sein des institutions catholiques? Ces questions ont constitué la trame de fond du colloque Femmes et gouvernance : mêmes enjeux dans l’Église et dans l’État?, qui s’est tenu le 7 décembre dernier au Séminaire de Québec. Organisé par le Groupe Femmes, Politique et Démocratie en collaboration avec le réseau Femmes et Ministères, l’événement a rassemblé des professeur·e·s, des théologien·ne·s, des membres du clergé, de même qu’une historienne et une ex-parlementaire. Des personnalités triées sur le volet, appelées à débattre de modalités de gouvernance et d’actions concrètes pour permettre aux femmes d’accéder aux plus hautes fonctions ecclésiales.

Présenté dans le cadre du 40e anniversaire du réseau Femmes et Ministères, qui travaille à la reconnaissance effective des femmes dans l’Église, et dans la foulée du synode qui se tiendra à Rome en 2023, le colloque s’est donné pour mission de créer un espace de dialogue et de solidarité.

À ce jour, aucune femme ne peut prétendre au titre de diacre, de prêtre ou d’évêque au sein de l’Église catholique, des rôles toujours strictement dévolus aux hommes. Pourtant, dès le début du 20siècle, « ce sont pour la plupart des féministes chrétiennes qui se sont investies pour améliorer la situation des femmes dans la société de l’époque », affirme Annine Parent, présidente du réseau Femmes et Ministères. Aujourd’hui, les femmes engagées dans l’Église en appellent à toute la société civile. « Elles comptent sur un mouvement de réciprocité sociale pour les soutenir et vaincre le dernier bastion de résistance à l’égalité des femmes. » Des mots qui donnent le ton à des échanges passionnants… et passionnés!

Accès des femmes aux pouvoirs politique et religieux : même combat?

Thérèse Mailloux, présidente du Groupe Femmes, Politique et Démocratie, et Annine Parent, présidente du réseau Femmes et Ministères

Le premier tiers de la journée a été consacré à la mise en relief de la situation des femmes dans les lieux de pouvoir politique et religieux. Ont tour à tour pris la parole Chantale Maillé, professeure titulaire en études féministes à l’Université Concordia et codirectrice du Réseau québécois en études féministes (RéQEF), et Solange Lefebvre, titulaire de la Chaire en gestion de la diversité culturelle et religieuse de l’Université de Montréal.

Afin d’en tirer des enseignements susceptibles de s’appliquer au cadre religieux, Chantale Maillé s’est intéressée aux facteurs déterminants qui ont balisé la progression des femmes dans les institutions politiques au cours des 40 dernières années. Selon la chercheuse, la crise de la démocratie représentative de la fin du 20e siècle – qui a entraîné une baisse du vote, un désintérêt des élites traditionnelles pour l’exercice politique et une méfiance collective à leur endroit – est un élément qui a pu faciliter la venue des femmes en politique.

Mais le mouvement féministe, auquel ont pris part des groupes militants comme Femmes Politique et Démocratie, de même qu’une génération de femmes éduquées et engagées dans la revendication pour l’égalité ont constitué la principale « force de frappe » permettant d’affirmer la présence des femmes dans l’État.

La construction d’une bibliothèque d’écrits féministes a également représenté un point névralgique dans la marche des femmes vers la parité politique. « On ne pourra jamais reculer au point d’effacer tout ce qui a été écrit », a souligné Chantale Maillé.

Des féministes orphelines

Les années 1980 et 1990 ont été le lieu d’alliances féministes formées en dehors de l’arène politique, notamment avec le rassemblement des Yvettes ou la marche Du pain et des roses. Ces mobilisations populaires ont entraîné une meilleure représentativité féminine dans les différents paliers de gouvernance étatique, même si celle-ci ne repose sur aucune assise législative pérenne.

Or, comme l’a fait remarquer la professeure Solange Lefebvre, ces mouvements de solidarité entre féministes laïques et croyantes se sont éteints à la fin des années 1990, laissant ces dernières désarmées pour mener à bien leur combat. La conférencière a qualifié cette réalité « d’oubli des femmes religieuses » par leurs consœurs laïques, mais également par les médias et l’Église elle-même, dont la culture du débat a fait place à un conservatisme intransigeant.

Selon Solange Lefebvre, l’accession des femmes aux plus hautes fonctions religieuses passe avant tout par la reconnaissance de leur contribution historique, l’expression d’une pensée critique médiatique à l’égard de la religion catholique et la création de réseaux progressistes à travers le monde.

Le pouvoir du nombre

Collaboration, collégialité, sororité, ouverture, dialogue, voilà autant d’expressions qui ont teinté les débats du reste de la journée. Pour plusieurs, le moyen le plus sûr d’amorcer un changement de paradigme au sein des institutions cléricales est de transformer la lutte contre le patriarcat religieux en un enjeu social puissant et global. Marie Malavoy, présidente du Comité des femmes du Cercle des ex-parlementaires de l’Assemblée nationale du Québec, croit en effet qu’une réelle résistance ne pourra s’organiser qu’en dehors des enceintes de l’Église. Selon l’ancienne parlementaire, multiplier les sondages, les pétitions ou encore les manifestations publiques constitue une stratégie efficace pour rallier les populations autour d’une cause commune.

Le moyen le plus sûr d’amorcer un changement de paradigme au sein des institutions cléricales est de transformer la lutte contre le patriarcat religieux en un enjeu social puissant et global.

Marie Evans Bouclin, ordonnée prêtre puis évêque émérite en 2011 (aussitôt excommuniée par Rome), a quant à elle proposé de réorienter le discours catholique vers un dialogue axé sur la notion de spiritualité. En décloisonnant ainsi la parole, l’objectif est que les croyants et non-croyants adoptent un langage universel, et de cette façon, qu’ils puissent s’unir autrement. La création de groupes de parole et de communautés religieuses permettrait également aux femmes ayant quitté l’Église de s’y sentir libres de parler de sujets qui les concernent, et de retrouver foi en l’institution.

Pour le panéliste Gilles Routhier, supérieur général du Séminaire de Québec et professeur à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, agir localement et s’inspirer des modèles anglicans à contre-courant du « phallocentrisme religieux » – largement hérité de Jean-Paul II – demeurent des voies prometteuses dans la lutte contre le dogmatisme catholique.

Ainsi que l’ont rappelé plusieurs intervenantes, le fait religieux ne doit plus être pensé comme relevant uniquement de la sphère intime, mais bien comme un enjeu politique. Nous devons par ailleurs cesser de fermer les yeux collectivement sur les violences et les discriminations systémiques à l’égard des femmes dans l’Église, afin qu’une véritable conscience critique puisse s’y déployer. Il importe maintenant de redonner aux femmes engagées dans l’Église leur juste place dans l’histoire, et d’assurer une gouvernance égalitaire au sein de cette institution universelle d’influence.