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Vieille fille : le célibat n’est pas une salle d’attente

Entretien avec Marie Kock

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Temps estimé de lecture :6 minutes

Elle est en pyjama de flanelle sur son divan, boit du vin à grandes lampées et s’époumone sur du Céline Dion; All By Herself le soir de son anniversaire, c’est le sort peu enviable de Bridget Jones. Il ne manque que quelques chats à ses pieds, et le cliché serait complet. Sa vie de vieille fille, créée par Helen Fielding, s’organise autour de la recherche de l’autre; son célibat sera temporaire, comme il se doit quand il apparaît au grand écran.

Mais s’il était possible d’inventer une nouvelle manière de vivre, joyeuse et épanouie, sans partenaire ni enfants? C’est l’hypothèse de la journaliste française Marie Kock. Dans son essai Vieille fille, elle écrit que « ne plus attendre l’amour, c’est d’abord se reposséder ». Entretien avec une célibataire en pleine repossession de ses moyens.

Vous écrivez qu’il est possible de vivre une vie sans cocher les cases auxquelles on se prédestine dès l’enfance, c’est-à-dire sans conjugalité ni maternité. C’est possible, assurément, mais est-ce socialement accepté en 2022?

Oui et non. Le célibat est quand même bien plus accepté aujourd’hui. Mais il faut souligner qu’on aime bien les célibataires dans la trentaine et très actives dans le travail. Et on commence aussi à entendre des femmes dire qu’elles regrettent d’être mères; donc, on peut envisager qu’effectivement, le fait d’être mère, ce n’est pas forcément la panacée pour une femme. Mais célibataire et sans enfant, ça fait beaucoup, c’est encore plutôt mal vu.

On ne m’a pas jeté de cailloux, on ne m’a pas traitée de vieille fille. Mais il y a quand même l’idée d’une vie qui n’est pas complète, d’une femme qui n’est pas tout à fait entière.

Vous démontrez qu’on accorde très peu d’agentivité à la vieille fille, on décide que sa vie est un échec sans lui demander son avis. Jamais on ne considère que son célibat peut être un choix.

Marie Kock, journaliste

Jamais, en effet. Et ça s’observe dans les figures de vieille fille dans la littérature et dans les films. Ce sont toujours des filles qui n’émettent pas d’opinions, et si elles se permettent d’en exprimer, on ne les écoute pas, car elles sont considérées comme des enfants.

Si elles ont un avis, on ne le considère absolument pas comme étant éclairé. Si elles parlent de conjugalité ou d’éducation des enfants, alors on se dit qu’elles ne savent pas de quoi elles parlent. Souvent, les vieilles filles se taisent.

Il manque de modèles inspirants. Mary Poppins est ma vieille fille préférée (oui, c’en est une!). Elle va à l’encontre de toutes les catégorisations standards de la vieille fille : elle n’est ni revêche, ni méchante, ni aigrie. Elle ne cherche pas à construire quelque chose de durable, comme elle n’est pas là pour longtemps. Et Mary Poppins est une militante de la joie. C’est une figure très flexible, très souple de la vieille fille. Elle a tout compris!

En 2019, l’actrice Emma Watson, qui avait alors 29 ans, avait dit être bien seule et ne pas se considérer comme étant célibataire. Elle préférait le terme self-partnered, en relation avec elle-même. Qu’avez-vous pensé de cette idée?

J’ai trouvé ça super! On nous dit toujours que l’amour, c’est d’être complétée, c’est de trouver un équilibre par le biais d’un compagnon ou d’une compagne. Ce qui était nouveau avec l’idée d’Emma Watson, c’est qu’elle affirme qu’il est possible de nouer des partenariats avec soi-même. Je trouve que c’est une relation dans laquelle on n’est pas tellement investie. Pourtant, ça me paraît la condition sine qua non pour pouvoir être en relation avec d’autres. Or, cette relation primordiale, elle est toujours balayée. En fait, on attend que ce soit l’autre qui nous fasse grandir, qui nous complète, qui vienne combler nos manques, comme si l’équilibre ne pouvait être atteint qu’à deux.

J’ai trouvé son expression super intéressante.

Comment votre décision d’être célibataire a-t-elle modifié votre relation aux autres?

Il y a eu deux phases. La première, c’est quand on est encore un peu mal à l’aise avec l’idée de rester vieille fille et qu’on a l’impression qu’en étant célibataire, il faut en faire plus que les gens en couple pour continuer à être fréquentable. Donc on dit oui à toutes les invitations. Bien sûr, on est là; bien sûr, on dort sur le canapé; bien sûr, on se serre entre les enfants sur le siège arrière de la voiture! Pas de problème.

Puis arrive la deuxième phase, et des choses se mettent en place. J’ai commencé à refuser des invitations, à affirmer que dans le grand chalet à 28 personnes, je préfère avoir ma propre chambre.

Ce que j’ai trouvé intéressant aussi, c’est qu’on a le temps d’être disponible pour ses amis et que ça crée d’autres types de conversations, loin des histoires de crèches. Des espaces en dehors de leur vie quotidienne, pour lesquels je pense qu’ils sont plutôt reconnaissants.

On attend que ce soit l’autre qui nous fasse grandir, qui nous complète, qui vienne combler nos manques, comme si l’équilibre ne pouvait être atteint qu’à deux.

De plus, le fait d’avoir renoncé à avoir mes propres enfants, mon propre mari, ma propre petite cellule, d’être finalement dans des logiques qui sont moins possessives, ça a rejailli sur mes relations amicales. J’ai évacué toutes les relations utilitaires, mes amis ne sont pas là pour m’aider ou me valoriser, j’ai l’impression que ça donne une forme d’affection plus désintéressée.

Vous écrivez : « le mariage (ou toute autre forme de relation de couple), c’est du travail. Il existe une valeur couple comme il existe une valeur travail. Et, à l’époque du libéralisme, nous avons intégré l’idée qu’il fallait que cela soit dur pour que cela ait de la valeur, que cela demandait des sacrifices et que nous devions être prêts à les faire ». Vous trouvez problématique cette vision du couple?

Ce qui me gêne dans cette idée, c’est que ça demande aux individus de subir des situations insupportables, au nom d’une forme de dignité par le travail. C’est un fantasme très bourgeois de la dignité. Et cette idée qu’il y a une forme d’authenticité dans la souffrance est aussi présente dans le couple.

On a souvent des discours du type : bien sûr, ce n’est pas tout rose, mais tu sais, le couple, ce n’est pas l’amour des débuts, mais c’est plus fort, ce sont des amours plus sincères. Pourquoi? On ne sait pas, mais c’est ce qu’on répète.

On devrait pouvoir partir quand ce ça ne va pas, ne pas s’en vouloir. S’accrocher à tout prix en pensant qu’on est indigne si on s’en va, je trouve que c’est problématique.

Vous écrivez : « en vivant seule longtemps, j’ai appris à être ma meilleure compagne. À être indépendante, à me respecter, à m’aimer ». Pensez-vous que tout le monde profiterait de longues périodes de célibat?

J’en suis persuadée. Enfin, ce dont je suis persuadée, c’est qu’on n’est pas éduqué, on n’est pas entraîné à vivre seul, à vivre avec nos propres ambiguïtés, à se heurter à notre propre vertige existentiel.

Beaucoup de couples restent ensemble parce qu’ils ont l’impression qu’être seul, c’est impossible. Donc on profiterait d’un apprentissage du célibat, car ça permettrait de dire, quand on est en couple : si je reste, si je suis toujours avec toi, ce n’est pas parce que je suis incapable de vivre seul, mais c’est parce que j’ai envie de rester avec toi. Donc, que ce soit pour vivre seul ou pour vivre à plusieurs, je trouve que c’est un apprentissage absolument nécessaire.