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Recul de l’IVG dans le monde : les femmes en danger

Des conséquences multiples pour les droits des femmes

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Temps estimé de lecture :5 minutes

Bandeau :Photo : © Mathilda Khoo (unsplash.com)

Les restrictions d’accès ou l’interdiction totale de l’interruption volontaire de grossesse sont bien réelles dans beaucoup de pays. Le droit à l’avortement bafoué menace la santé, la liberté et la vie des femmes.

« Le droit à l’avortement n’est pas un droit comme les autres : même quand il est acquis, il faut toujours se méfier et le défendre, c’est ce que nous a montré la révocation de l’arrêt Roe c. Wade récemment, affirme Marie Mathieu, sociologue et chercheuse associée au Cresppa-CSU. Ce droit est souvent et rapidement ciblé. Et c’est toujours une attaque contre les femmes. »

Le 24 juin 2022, coup de massue mondial : la Cour suprême des États-Unis juge l’arrêt Roe c. Wade totalement infondé. Désormais, chaque État peut décider, sur son sol, de rendre légal ou non l’accès à l’interruption volontaire de grossesse (IVG). « Certains États étaient sur la ligne de départ pour interdire l’avortement, poursuit Marie Mathieu. Et ils l’ont fait presque instantanément après la décision de la Cour suprême… Les choses étaient prévues. »

Un danger pour la santé physique des femmes

Dans le monde, une quinzaine de pays interdisent totalement l’IVG, comme le Salvador, le Sénégal, la Guinée-Bissau ou encore Malte. Dans d’autres, elle est limitée aux cas où la vie ou la santé physique et mentale de la femme sont menacées (Mexique, Brésil, Pologne, Indonésie, plusieurs pays africains et du Moyen-Orient, etc.).

« Les pays où ça se passe le moins mal, quels que soient les cadres légaux, ce sont les Pays-Bas, la Belgique et l’Espagne, explique Jacqueline Heinen, professeure émérite de sociologie à l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. Les cadres légaux ne sont pas toujours déterminants, ça dépend surtout des pratiques et de l’état des lieux à un moment donné. »

Lorsque l’IVG est menacée, la santé physique des femmes l’est aussi.

Mais quand l’IVG est légale, son accessibilité peut être limitée par le manque de moyens ou le refus des services de santé. En Hongrie ou en Italie par exemple, « la clause de conscience » est une justification légale par laquelle les médecins – une majorité – peuvent s’opposer à réaliser une IVG. Ces méthodes légales restreignent fortement l’accès à l’avortement dans les pays où il est pourtant autorisé.

Lorsque l’IVG est menacée, la santé physique des femmes l’est aussi. Dans les pays où c’est interdit, celles qui choisiront d’avorter useront de moyens illégaux pour y arriver et plusieurs risqueront leur vie. En effet, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), entre 2010 et 2014, 45 % des IVG dans le monde étaient non sécuritaires, et parmi celles-ci, un tiers étaient réalisées « par des personnes ne disposant pas de la formation adéquate dans ce domaine et ayant recours à des méthodes dangereuses et invasives ». Autres chiffres alarmants : entre 4,7 % et 13,2 % des décès maternels peuvent être attribués à un avortement non sécuritaire chaque année.

Des conséquences psychologiques, économiques et sociales

Audrey Gonin, professeure en travail social à l’UQAM

Pour les femmes qui n’arrivent pas à avorter et qui sont contraintes de mener à terme une grossesse dont elles ne veulent pas, leur santé est aussi mise en danger. « Les données de recherche montrent que du point de vue de la mortalité, être enceinte est 14 fois plus risqué qu’un avortement fait dans de bonnes conditions », mentionne Audrey Gonin, professeure en travail social à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

« Quand la grossesse n’est pas désirée, les femmes utilisent moins les soins périnataux, ce qui est dangereux pour elles et pour leur bébé, affirme Audrey Gonin. Des recherches montrent également que cela augmente les risques de dépression et d’anxiété et diminue le bien-être psychologique. »

Une situation de mal-être qui perdure fréquemment après la naissance de l’enfant. Enfin, en cas de viol, l’impossibilité de se faire avorter est souvent vécue comme une double peine par les victimes, qui ont d’autant plus de mal à se reconstruire.

D’un point de vue social, le fait que l’IVG ne soit pas un droit renforce les inégalités entre les femmes elles-mêmes. Dans les pays où elle est totalement interdite comme dans ceux où elle ne l’est que partiellement, celles qui ont les ressources économiques pourront toujours se faire avorter. Les autres devront soit passer par des techniques dangereuses, soit aller jusqu’à l’accouchement.

« Une grossesse non désirée a des répercussions sociales et économiques à long terme, car avec un enfant à charge, les femmes risquent d’être encore plus pauvres à court et à moyen terme, explique Audrey Gonin. Cette situation sera ensuite difficile à rattraper, surtout si elles sont très jeunes, car cela aura des conséquences sur leurs études. »

Vers une surveillance des données numériques des femmes?

Interdire l’IVG constitue aussi une restriction de la liberté à disposer de son corps et à décider par et pour soi-même de mener une grossesse à terme ou non. « Il y a une glorification de la maternité par les mouvements anti-avortement qui, pour arriver à leurs fins, n’hésitent pas à faire de la désinformation, souligne Audrey Gonin. Dans les pays où l’avortement est légal, il existe des centres anti-choix qui proposent de donner des conseils en cas de grossesse non désirée. Sur leur site Web, leur position n’est pas clairement indiquée. Résultat : quand les femmes s’y rendent, on leur conseille vivement de poursuivre leur grossesse en exagérant les conséquences de l’avortement ou en inventant de fausses répercussions de celui-ci, comme une augmentation du risque de cancer, ce qui n’est pas conforme au consensus scientifique. »

On observe aussi une crainte quant à la surveillance des données numériques personnelles des femmes. « Il y a récemment eu le cas d’une femme condamnée pour avoir aidé sa fille à avorter aux États-Unis. Les preuves ont été récoltées en partie via le fil de conversation Messenger entre elles, détaille Audrey Gonin. C’est très préoccupant! »

Dans plusieurs pays, des partis conservateurs ou extrémistes arrivent ou sont en passe d’arriver au pouvoir, ce qui ne laisse rien présager de bon pour l’avenir du droit à l’avortement. D’autant que si l’objectif sous-jacent de leurs politiques est nataliste, on pourrait imaginer que la contraception soit ensuite attaquée.

« Ce n’est pas exclu, car les partis extrémistes sont fondamentalement contre, dit Jacqueline Heinen. Ça me paraît difficilement pensable pour demain, mais pour après-demain, je ne sais pas. Globalement, je ne suis pas très optimiste, car les droits des femmes, quels qu’ils soient, ne sont pas au centre des préoccupations des pouvoirs publics »… sauf quand il s’agit de les restreindre.