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Accompagnatrice à la naissance : un travail invisible

S’engager, au-delà de l’élan de vocation

Date de publication :

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Temps estimé de lecture :5 minutes

Bandeau :Photo : © Alex Pasarelu (unsplash.com)

Accoucher, c’est donner la vie. Dans son sens étymologique, dès la fin du 12e siècle, on dit qu’accoucher signifie se coucher. C’est fascinant. L’acte est d’une telle puissance qu’il me semble le contraire de se coucher. Accoucher, c’est plutôt se lever et être insufflée d’une force sans pareil pour donner la vie.

D’aussi loin que je me souvienne, ce rituel m’apparaissait mystérieux étant donné les histoires des unes et des autres. Au fil des récits entendus, devenus mythiques dans mon imaginaire d’enfant, j’ai compris qu’il n’existait pas une seule façon de vivre l’accouchement. Cette graine d’éblouissement m’a guidée naturellement à traiter de ce sujet dans le cadre de mon travail. À l’occasion de différents reportages à la télévision, j’ai été amenée à discuter avec des sages-femmes et j’ai moi-même fait appel à une doula, une accompagnatrice à la naissance, lors de mes deux accouchements.

Après avoir vécu moi-même ce rituel marquant, j’ai délaissé l’idéalisation du sujet pour adopter une réflexion féministe. J’ai réalisé à quel point la naissance était plus politique que certain·e·s voudraient le croire. Plusieurs questions me sont venues et j’ai souhaité en savoir plus sur ce qu’on appelle « violences obstétricales ».

Assurer l’autonomie décisionnelle des femmes

Je suis alors tombée sur l’histoire de Stéphanie St-Amant, qui a consacré une thèse de doctorat défendue en sémiologie sur les violences obstétricales et leur portée significative. La chercheuse et consultante, experte en périnatalité, s’est battue toute sa vie pour défendre la légalisation de la pratique de sage-femme au Québec, l’humanisation de la naissance, les droits des femmes et leur autonomie décisionnelle durant la période périnatale. Elle s’est tragiquement éteinte à 42 ans à la suite d’un cancer.

Dans sa thèse, Stéphanie St-Amant a expliqué notamment comment, historiquement, on a assisté au contrôle social exercé sur les femmes, justifié par la volonté de surveillance de leurs fonctions procréatrices et de leur sexualité. Dans sa recherche doctorale, la chercheuse s’est aussi intéressée aux violences obstétricales, qui englobent « des gestes accomplis ou l’exercice de certaines pratiques professionnelles – ou leur omission –, durant l’accouchement, sans l’accord et le consentement éclairé des femmes, ce qui entraîne une négation de leur agentivité reproductive1. » Dans la lignée de cette définition, on dit qu’il s’agit d’une violence systémique qui crée et renforce les inégalités qui existent au moment de l’accouchement.

Un engagement féministe

Une envie de renverser les violences obstétricales habite mon amie Marianne Thomas, qui a décidé de devenir accompagnatrice à la naissance et aide natale à la mi-trentaine, après des années à exercer le métier de massothérapeute. Comme le cœur de la pratique de l’accompagnement à la naissance est l’entraide et la sororité, je me suis dit qu’il serait intéressant de mettre en lumière la perspective d’une complice, que je vois quotidiennement évoluer dans le soin premier d’aider celles qui donneront la vie.

« Parce que oui, c’est politique de s’engager et d’accompagner les femmes dans leur expérience d’accouchement. Être informée et connaître ses droits, c’est garder son pouvoir et ainsi ne pas subir des interventions non désirées. »

– Marianne Thomas, accompagnatrice à la naissance et aide natale

Qu’est-ce qui donne envie à une personne de se consacrer aux autres? De les aider à accoucher? C’est quelque chose qui m’impressionne, car je n’ai pas en moi cet élan. Marianne m’explique ce besoin : « J’ai décidé de faire le saut comme accompagnante parce que ça rejoignait deux de mes amours : le soin, mais aussi le côté politique et féministe. Parce que oui, c’est politique de s’engager et d’accompagner les femmes dans leur expérience d’accouchement. Être informée et connaître ses droits, c’est garder son pouvoir et ainsi ne pas subir des interventions non désirées. »

Marianne et moi avons souvent la réflexion selon laquelle l’acte de prendre soin est politique. Ce qui me choque le plus, c’est de voir à quel point mon amie se donne corps et âme et que, malheureusement, son travail n’est pas rémunéré à sa juste valeur. Les aides natales gagnent environ 20 $ l’heure. Le taux horaire des accompagnatrices à la naissance n’est guère plus enviable.

Déconstruire la vision naturaliste

Dans les esprits communs, on a l’impression que ce métier appelle à un « dévouement sacrificiel ». Une idée préconçue qui rend Marianne mal à l’aise : « Ce qui me fâche c’est quand j’entends parler de vocation. C’est comme si la vocation, cet “appel” envers un rôle ou un métier dit “noble”, comme la plupart des métiers du care, impliquait d’accepter de mauvaises conditions de travail. Je pense qu’inconsciemment, ce qui est encore véhiculé, c’est toujours cette vision naturaliste de la femme qui prend soin et accompagne. Car ce sont majoritairement les femmes qui exercent ces métiers : préposée aux bénéficiaires, infirmière, éducatrice de la petite enfance, aide natale, etc. »

J’abonde entièrement dans ce sens. Le travail de celles qui prennent soin doit être adéquatement valorisé et rémunéré. Marianne renchérit : « Donner sans compter, chères femmes, c’est dans votre “nature”. Je pense qu’il est essentiel de dénoncer la faible rémunération de ces métiers et le peu de reconnaissance des femmes, de leur travail et de leurs compétences. Il existe assurément un déni de la valeur du soin. On applaudit beaucoup les métiers plus “masculins” où la performance, l’efficacité et l’autonomie sont de mise. Jamais on n’oserait trouver ça naturel d’exiger des conditions de travail difficiles sans rémunération adéquate pour un joueur de hockey ou un travailleur de la construction. »

Mon approche féministe s’inscrit toujours dans le libre choix. C’est tout aussi vrai pour celles qui veulent accoucher. À l’hôpital, dans une maison de naissance ou dans l’antre familial. L’importance première est le droit à l’information. C’est là où le bât blesse notamment, car les patientes qui ont besoin d’être rassurées, accompagnées, écoutées dans un lieu sécuritaire, fort d’empathie, n’ont pas toutes accès de la même manière à cette prise en considération.

Le travail de Marianne comme accompagnatrice à la naissance s’avère pour ainsi dire fondamental, car elle offre un complément formidable à un suivi de grossesse traditionnel. Son rôle d’aide natale lors des accouchements l’est tout autant. Il serait temps que celles qui prennent soin soient rémunérées à la hauteur de leurs efforts. Et qu’on ne se contente pas d’applaudir l’élan vers cette « vocation ». Le don de soi a ses limites et l’inflation nous le rappelle.

Léa Clermont-Dion est chercheuse postdoctorale à l’Université Concordia et réalisatrice. Elle se spécialise dans les questions des violences faites aux femmes en lien avec la sociologie du numérique. On lui doit les documentaires T’as juste à porter plainte, Janette et filles et Je vous salue salope, coréalisé avec Guylaine Maroist.