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Le transféminisme, vu par Celeste Trianon et Florence Ashley

Pour l’autonomie et la libération du genre

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Si le féminisme se conjugue au pluriel, c’est qu’il existe de multiples manières d’incarner la féminité. Le transféminisme est une forme de féminisme qui a comme assise les expériences des personnes victimes de transmisogynie. Alors que plusieurs mouvements féministes sont toujours pensés uniquement dans une perspective cisgenre, l’approche transféministe en appelle à une lutte plus inclusive, en mettant en lumière les intersections entre le féminisme et la transidentité. C’est le pari que prennent Celeste Trianon et Florence Ashley, qui militent à leur façon pour l’autonomie et la libération du genre.

Il existerait autant de manières de définir le transféminisme qu’il existe de transféministes. Pour Celeste Trianon, activiste en droit trans, le fil d’Ariane se trouve au centre de deux concepts : épanouissement et libération.

« Pour moi, le transféminisme milite pour l’épanouissement de toutes les personnes, peu importe leur genre, leur orientation sexuelle ou leur position dans la société. C’est un mouvement qui cherche notre libération, qui vise à déconstruire toutes les barrières. »

De l’avis de Celeste Trianon, le transféminisme s’inscrit au sein d’un discours plus large, qui vise l’équité sociale. « Le transféminisme est une approche qui veut s’assurer que tout le monde, peu importe son statut, a accès aux mêmes chances dans la société », soutient celle qui a récemment commencé un baccalauréat en droit. Selon l’activiste, cette nouvelle flèche à son arc lui permettra de défendre plus adéquatement les personnes trans. « Il y a tellement de situations où un membre de la communauté a besoin d’être représenté en justice. »

L’autodétermination du genre

Florence Ashley, juriste, bioéthicienne, conférencière et militante

Le transféminisme prône entre autres l’autonomie corporelle, cette idée que chaque personne a le droit de prendre ses propres décisions concernant son corps et son identité. Florence Ashley, qui est juriste, bioéthicienne, conférencière et militante, se définit ille-même comme transféminine, c’est-à-dire que la féminité fait partie de son expression de genre. Pour celle qui s’identifie comme non binaire, le transféminisme permet surtout de renforcer l’idée que la féminité universelle n’existe pas.

« L’une des pierres angulaires du transféminisme demeure la notion d’autonomie et d’autodétermination du genre. C’est cette idée que le genre, pour autant qu’il est extrêmement social, est quelque chose que nous nous devons de définir pour nous-mêmes, selon nos propres termes », explique Florence Ashley, qui a été la toute première juriste ouvertement trans à la Cour suprême du Canada.

Florence Ashley considère le transféminisme comme une approche radicale, en ce sens qu’il vise à remettre en question les institutions et l’ensemble de notre rapport au genre en société. Ce qu’ille nomme les pratiques du genre, par exemple les pronoms utilisés ou les vêtements portés, feraient partie des institutions sociales du genre. « Tant que ces institutions existent, je devrais avoir le droit de me positionner par rapport à celles-ci : utiliser les prénoms que je veux ou porter les vêtements que je veux », défend Florence Ashley. « Notre relation au genre peut être stable, claire, chaotique, n’importe, cela nous appartient! »

Des intersections non négligeables

Pour comprendre le lien qui unit luttes féministes et luttes trans, Florence Ashley compare l’accès à la santé trans et l’accès à l’avortement. Elle défend qu’au Canada, le droit à l’avortement repose sur l’idée que l’intervention volontaire de grossesse – ou l’impossibilité de l’obtenir – a une incidence énorme sur notre vie sociale et matérielle. « Ça n’a pas seulement un petit effet sur un petit aspect de la vie : ça définit quel genre de vie je pourrai vivre. Plus globalement, l’accès à la santé trans, de même que l’accès à l’avortement, repose sur l’idée de “mon corps, mon choix” », explique la juriste.

De l’avis de Celeste Trianon, le transféminisme s’inscrit au sein d’un discours plus large, qui vise l’équité sociale.

Il existerait aussi un lien très préoccupant entre les mouvements contre la santé trans et le mouvement antiavortement, raciste et suprémaciste blanc, selon Florence Ashley. Pour comprendre ce lien, la doctorante s’intéresse aux théories comme le great replacement ou le white genocide. Ces théories défendent l’idée que les personnes blanches sont en train de se faire remplacer, qu’elles vont perdre leur majorité légale et démographique, et donc, leurs privilèges.

Ces idéologies créent une anxiété raciale, à laquelle viennent répondre les mouvements antiavortement en faisant la promotion de la reproduction. Ces mouvements en appelleraient à l’exclusion des personnes trans, puisque celles-ci, par leur rapport « non conventionnel » au genre, remettraient radicalement en question la traditionnelle binarité femme/homme de la reproduction.

Pour un féminisme plus inclusif

Celeste Trianon, activiste en droit trans

Malgré les liens qui unissent féminisme et transidentité, la transphobie est encore un enjeu bien présent dans plusieurs milieux féministes, mais aussi dans certains milieux LGBTQ. « Le féminisme, historiquement, a surtout bénéficié à quelques femmes : les plus privilégiées », explique Florence Ashley. Les femmes trans et les personnes transféminines vivent encore de nombreuses discriminations à l’embauche et au quotidien. L’accès à des soins de santé, pour des raisons d’accessibilité ou de moyens financiers, est également largement limité

Au Canada, selon les données de 2021, plus de 100 000 personnes s’identifient comme transgenres, et environ 41 000 s’identifient comme non binaires. Bien que 71 % des personnes trans détiendraient un diplôme collégial ou universitaire, une étude menée par Trans Pulse Canada démontre que 58 % d’entre elles gagneraient en dessous de 30 000 $ par année.

« La communauté trans est en grande partie en situation de précarité financière. C’est un enjeu majeur, car ça normalise plusieurs autres différences, et ça crée un fossé énorme dans l’accès aux possibilités », défend Celeste Trianon.

« Tellement de choses horribles se passent envers les communautés trans en ce moment. Le niveau de haine est sans précédent. On se sent vraiment seuls. On a besoin que des organismes féministes prennent position, qu’ils affirment clairement des positions pro-trans. Il faut que les gens entendent cette solidarité-là », revendique Florence Ashley.