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Les études et la recherche féministes à l’Université Laval : venir à bout de l’entre-soi

Perspectives d’avenir

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Temps estimé de lecture :4 minutes

Bandeau :Photos : © Clay Banks (unsplash.com)

Réunies sur le campus de l’Université Laval le 9 novembre dernier dans le contexte des célébrations des 20 ans de l’Université féministe d’été, quelques dizaines de personnes ont arrêté momentanément leurs occupations pour réfléchir aux défis que pose la pérennité des études et de la recherche féministes. L’événement s’est déroulé à l’invitation de la Chaire Claire-Bonenfant – Femmes, savoirs et sociétés. Retour sur une journée riche en échanges et tournée vers l’identification de leviers structurants.

Créée en 2003 à l’Université Laval par des pionnières des études et de la recherche féministes au Québec, l’Université féministe d’été (UFÉ) est une école annuelle tenue sous la forme d’un colloque scientifique. L’UFÉ s’affirme comme un espace d’apprentissage et d’échange, articulé autour de perspectives féministes variées, sur des thèmes et des réalités qui touchent les femmes et les rapports de genre.

Cette formation intensive réunit chaque année plus d’une centaine de participant·e·s venant des milieux universitaire et de pratique. Sa réussite tient à la conjugaison d’efforts de plusieurs professeures et étudiantes, a soutenu Huguette Dagenais, cofondatrice de l’UFÉ, invitée pour l’occasion à retracer les moments phares du développement des études féministes à l’Université Laval. « La collaboration féministe, ça marche! » a lancé la professeure émérite associée au Département d’anthropologie pour clore sa présentation, donnant ainsi le ton à cette journée de réflexion.

Un champ d’études face aux défis

Isabelle Auclair, titulaire de la Chaire Claire-Bonenfant | © Chaire Claire-Bonenfant – Carol-Ann Belzil-Normand

Plusieurs tables rondes, composées de panélistes étudiantes et professeures, ont permis d’aborder les défis et les leviers liés à la pérennité de ce champ d’études à l’Université Laval, dont l’essor remonte au début des années 1980. En sont issus depuis d’innombrables travaux multidisciplinaires, qui éclairent les dynamiques sous-jacentes aux rapports sociaux et les conditions de vie des femmes et des filles.

En ce sens, « les études et la recherche féministes constituent un apport incontournable à toute démarche visant à réduire les inégalités et à atteindre plus de justice sociale », a précisé la titulaire de la Chaire Claire-Bonenfant et professeure en management, Isabelle Auclair.

Les panélistes ont partagé leur expérience relative à l’intégration des approches féministes dans leurs disciplines respectives. Certains domaines d’études comportent des spécificités propres, comme celui de l’ingénierie, où la présence de modèles féminins est rare et la culture qui domine, masculine. Néanmoins, nombre d’enjeux sont communs à plusieurs disciplines.

Par exemple, présenter des demandes de subvention et de bourses constitue un défi doublement exigeant pour les personnes qui travaillent avec des approches féministes, souvent perçues comme marginales. Elles doivent non seulement être au fait des enjeux particuliers à leurs disciplines respectives, mais aussi maîtriser les théories et méthodologies féministes, souvent complexes, de manière à exposer clairement la validité de leur démarche aux comités de sélection.

La mise de l’avant de ces approches en milieu universitaire est souvent tributaire d’initiatives individuelles pouvant être suspendues au lendemain d’un départ à la retraite, par exemple. Une telle situation peut mener à des lacunes en matière d’encadrement étudiant pour celles et ceux qui souhaitent appliquer une approche féministe dans un projet de maîtrise ou de doctorat.

Sortir de l’isolement représente également un défi pour les personnes étudiantes qui recourent à des approches féministes, particulièrement si elles sont seules à le faire dans leur département. Des participantes ont aussi mentionné le discrédit jeté sur elles et leurs travaux en raison de leur posture féministe, et parfois, le refus que soit intégrée une perspective féministe à des travaux pratiques. Dans ce contexte, la création d’espaces sécuritaires comme le Cercle étudiant de bienveillance féministe, qui permet aux étudiant·e·s aux études supérieures de partager leurs préoccupations, devient essentielle.

Décloisonner l’approche féministe

Au terme des échanges, la nécessité de mettre en place des leviers structurants est toutefois apparue évidente. Par exemple, des participantes ont avancé l’idée de sensibiliser l’ensemble du corps professoral aux approches féministes, et de promouvoir l’intégration, dans les syllabus, d’ouvrages écrits selon des perspectives et des approches théoriques variées.

Sortir de l’isolement représente un défi pour les personnes étudiantes qui recourent à des approches féministes.

Une panéliste, préoccupée par la difficulté d’appliquer les concepts féministes en milieu de travail, a proposé de vulgariser les savoirs féministes. Elle cite à l’appui le concept de charge mentale, théorisé dans une perspective féministe dans les années 1980, et ayant profité d’une appropriation populaire sans précédent grâce aux illustrations de la blogueuse française Emma.

Une autre participante a suggéré de réfléchir à la configuration des espaces numériques – par exemple l’arborescence d’un site Web – et physiques – comme la bibliothèque – pour faciliter l’accès aux connaissances féministes.

En somme, la logique d’action individuelle doit faire place à des changements structurants. Si la collaboration féministe demeure incontournable, le défi posé en creux touche inévitablement au décloisonnement. Pour des participantes, cette sortie de l’entre-soi passe notamment par la construction de ponts entre les milieux universitaire et de pratique ainsi que par un engagement institutionnel concret.