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Un automne piquant

Cet automne, au Québec, les filles de 9 et 14 ans sont vaccinées contre le virus du papillome humain. Si la communauté médicale crie victoire, plusieurs regroupements de santé des femmes crient : « Attention ! » Ce qu’il faut savoir avant de retrousser les manches de votre fille.

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Cet automne, au Québec, les filles de 9 et 14 ans sont vaccinées contre le virus du papillome humain. Si la communauté médicale crie victoire, plusieurs regroupements de santé des femmes crient : « Attention ! » Ce qu’il faut savoir avant de retrousser les manches de votre fille.

Alexandra est une petite fille comme les autres. Elle aime se balader à vélo avec sa maman, jouer sur la console Wii avec sa grande sœur, inviter des amies la fin de semaine. Elle vient de souffler neuf bougies sur son gâteau d’anniversaire et d’entrer en 4e année. Comme toutes les fillettes de son âge, Alexandra est visée cette année par la première campagne de vaccination contre le virus du papillome humain (VPH). Sa mère se questionne : outil essentiel pour protéger la santé de sa fille ou piqûre de plus au carnet ?

Il y a quelques années encore, on vivait dans une ignorance relative par rapport au VPH, un des virus transmis par contact sexuel les plus répandus. Le VPH est en fait une constellation de virus de souches différentes : des quelque 100 souches connues, seules quelques-unes auraient des conséquences fâcheuses. Le Gardasil, nom de commerce du vaccin contre le VPH, protège contre quatre souches : les types 6 et 11, qui causeraient 90 % des verrues génitales et anales (condylomes), ainsi que les types 16 et 18, considérés comme redoutables parce qu’ils seraient responsables d’environ 7 cancers du col de l’utérus sur 10. Au Canada, en 2008, on déplorera 1 300 cas de cancer du col utérin et 380 décès liés à ce cancer. Des chiffres attristants, mais loin des 22 600 cas de cancer du sein (5 400 décès).

S’il est vrai que 75 % des Canadiens contracteront au moins une infection par le VPH dans leur vie, pas moins de 90 % de ces infections n’entraîneront aucun symptôme et disparaîtront d’elles-mêmes en deux ans, n’exigeant ni suivi ni traitement. La personne infectée ne s’en rend pas compte; elle pourrait pourtant, à son insu, transmettre l’infection à un partenaire sexuel.

Le budget fédéral de mars 2007 annonçait un financement de 300 millions de dollars pour permettre aux provinces d’établir leur programme de vaccination par Gardasil. De cette somme, 70 millions ont été réservés au Québec, où la vaccination commence cet automne. Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) estime que son programme coûtera 50 millions de dollars la première année.

S’inscrivant dans le calendrier régulier de vaccination, le Gardasil sera administré par des infirmières scolaires et du CLSC en même temps que le vaccin contre l’hépatite A et B aux filles de 9 et 14 ans, en deux doses : l’une à l’automne, l’autre six mois plus tard. La troisième dose (car le vaccin en comprend trois) sera remisée et administrée plus tard pour maintenir la protection, s’il le faut. À ce jour, le vaccin n’est recommandé que pour les filles, mais on étudie la pertinence de vacciner les garçons.

De l’information, SVP !

Les tenants du vaccin et ses détracteurs se livrent une chaude lutte. Le Dr Michel Fortier, gynécologue et professeur agrégé de médecine clinique à l’Université Laval, se réjouit de l’introduction du vaccin : « Le cancer du col est le premier cancer dont on connaît la cause, et c’est le VPH. Si nous découvrions demain un vaccin contre le cancer du sein, attendrions-nous pour vacciner ? » De leur côté, les regroupements de santé des femmes ne remettent pas en question la validité du vaccin, qui pourrait très bien améliorer la santé des femmes en réduisant la souffrance et la mortalité liées au cancer mais aussi les séquelles émotives et physiques qu’entraînent les condylomes. Ils s’interrogent plutôt sur la rapidité de la mise en place d’un tel programme et sur sa pertinence dans un contexte de pénurie de moyens, alors que des questions restent en suspens :

On ne connaît pas la durée de la protection offerte par le vaccin au-delà de six ans. Faudra-t-il des doses de rappel ? Si oui, à quel intervalle ?

Est-ce que 9 ans est le meilleur âge pour vacciner des fillettes théoriquement à des années de leur première relation sexuelle ? Le Dr Fortier précise que le système immunitaire des filles répond mieux à cet âge. Pourquoi alors l’âge de vaccination varie-t-il autant d’une province à l’autre (10 ans à Terre-Neuve, 13 ans en Ontario) et d’un pays à l’autre (14 ans en France) ?

Puisqu’on ne tient pas de registre des cancers au Québec, on ignore quelles souches précises de VPH causent les cancers du col de l’utérus. Surtout, comme ce cancer évolue sur 20, voire 30 ans, il faudra autant de temps pour savoir si le vaccin réduit réellement la mortalité liée au cancer.

La vaccination pourrait-elle faire naître un sentiment trompeur de sécurité par rapport aux infections transmissibles sexuellement (ITS) ? Louise Bouchard, professeure en sciences infirmières à l’Université de Montréal, s’en inquiète. Si on vaccine massivement sans réellement informer les jeunes filles et leurs parents sur la protection offerte par le vaccin, ces filles pourraientelles croire à tort qu’elles sont protégées contre le cancer du col et négliger ainsi l’utilisation du condom ? Au Québec, les ITS sont en recrudescence. Pourtant, dit Nathalie Parent, présidente de la Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN), Québec n’accorde que 20 millions de dollars par année à la lutte contre les ITS, soit 30 millions de dollars de moins que pour la vaccination par Gardasil en 2008-2009. Sur son site Web, le MSSS insiste sur le fait que la vaccination fera partie d’un programme de surveillance plus large, mais il n’a annoncé aucune nouvelle somme pour l’éducation sexuelle et la prévention des ITS.

Comme le vaccin ne peut enrayer que 70 % des cas de cancer du col — 30 % sont causés par des souches du VPH non incluses dans le vaccin –, il faudra que chaque femme passe tout au long de sa vie sexuelle active le test de Papanicolaou, le fameux « Pap test » ou frottis vaginal. Or, le Québec fait piètre figure en ce domaine. Selon la FQPN, 725 000 Québécoises n’auraient pas subi le test ces trois dernières années ou au cours de leur vie. Pour venir à bout de la maladie, il faudra joindre ces femmes.

Surtout, pourquoi est-il nécessaire d’agir si rapidement alors que les taux de cancer du col de l’utérus chutent depuis 40 ans — grâce au « Pap test », principalement — et que ce test permet de déceler le cancer avant même qu’il n’en soit un ?

Respecter le rythme des jeunes filles

À l’automne 2005, les cours d’éducation sexuelle formels disparaissaient des écoles. Depuis la réforme scolaire, il revient aux enseignants de toutes les matières d’aborder la question de la sexualité lorsque l’occasion se présente. Même chose pour le vaccin contre le VPH. Seul document produit par le MSSS pour les écoles : une lettre modèle destinée aux parents des filles de 3e secondaire. L’école est libre de s’en servir ou non. Au-delà de ça, pas de rencontres d’information prévues, pas de formation supplémentaire à l’intention des infirmières scolaires pour les préparer à répondre aux éventuelles questions des filles. Ce rôle reviendra, de ce fait, entièrement aux parents.

Les sexologues et les regroupements de santé féminine déplorent cette situation. « En théorie, les enseignants peuvent parler d’éducation sexuelle partout mais, en pratique, plus personne n’est responsable et il n’y a pas de programme structuré, déplore Nathalie Parent. Quand tout le monde est responsable, personne ne l’est. Et surtout, ce ne sont pas tous les enseignants qui sont à l’aise d’en parler, et aucun n’a les outils pour le faire. »

À cet obstacle s’ajoute la difficulté bien réelle de toucher tous les enfants de la mosaïque québécoise, dont les croyances et les modes d’éducation dictent l’éducation sexuelle. Sexologue clinicienne, psychothérapeute et maman d’une fillette de 9 ans, Josée Lebœuf se porte bénévole dans l’école de sa fille pour parler d’éducation sexuelle. Elle est sensible au fait que certains parents peuvent être heurtés par l’idée qu’on offre de l’éducation sexuelle à leur enfant. « Comme sexologue, je pense que l’administration du vaccin devrait s’inscrire dans une démarche d’éducation sexuelle. En son absence, ce serait intéressant que les infirmières scolaires informent les parents pour qu’ils puissent parler à leur enfant, dit-elle. Et chose certaine, avec ou sans vaccin, il faut leur expliquer les moyens de se protéger. »

Tatiana Muzik, elle aussi sexologue clinicienne, partage l’avis de Mme Lebœuf : il ne faut pas faire un drame de l’éducation sexuelle de nos enfants, ni aller trop vite. « On attend que les questions viennent. Il faut laisser la porte ouverte, être disponible pour écouter l’enfant et être sensible à ses questions », recommande Mme Muzik. Les parents plus timides peuvent partir du dépliant du MSSS que chaque jeune fille en âge d’être vaccinée recevra à l’école et demander à leur fille si elle a des questions. « L’enfant qui pose une question est prêt à avoir une réponse. Mais surtout, on ne devance pas ses questions. On va à son rythme avec un vocabulaire qu’il comprend », précise Mme Lebœuf.

Le droit de poser des questions

Épidémiologiste à l’Université McGill, Abby Lippman s’intéresse à la santé des femmes. En mars 2008, elle signait un argumentaire contre le vaccin dans le journal du Collège des médecins de famille du Canada : « S’il y avait tant de bonne volonté à l’égard des femmes, les fonds pour acheter ce vaccin coûteux serviraient à des programmes généraux de santé sexuelle et de reproduction, et à d’autres démarches de santé sexuelle susceptibles d’avoir des répercussions de plus grande portée sur la santé en général. » Par cette intervention, Abby Lippman espérait lancer un débat. Pourquoi amorcer une campagne si rapidement, à peine quelques mois après l’homologation du vaccin par Santé Canada, alors que les études pour asseoir son efficacité et son innocuité étaient encore en cours ? demandait-elle. Pourquoi à ce prix — à 404 $ pour trois doses, le Gardasil est le vaccin gratuit le plus coûteux jamais produit — alors que d’autres pays, comme l’Australie, ont négocié un prix plus doux avec la compagnie pharmaceutique ? Et surtout, pourquoi allouer autant de ressources à une seule maladie dans un contexte de pénuries endémiques dans le système de santé (manque de médecins de famille et de suivi médical pour tant de femmes, absence d’un registre de « Pap tests » qui assurerait un suivi de santé adéquat pour toutes les Québécoises sexuellement actives) ?

Mme Lippman était loin de se douter qu’elle soulèverait une tempête si féroce que des instances de santé publique l’accuseraient même de mettre la santé des fillettes canadiennes en péril !

Et tout ça pour avoir posé des questions ? C’est sur tout là que le bât blesse. Cela n’a pas échappé au Réseau canadien pour la santé des femmes, qui lançait l’hiver dernier dans sa revue un appel puissant à revendiquer le droit de s’informer en dépit des critiques et des intérêts économiques et politiques en jeu.