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D’eau et de mémoire : la Maison de la culture innue d’Ekuanitshit

Regards sur la culture – Des femmes et des lieux

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Temps estimé de lecture :6 minutes

En roulant sur la route 138 vers l’est, deux heures après Sept-Îles, on arrive à Ekuanitshit, un village innu d’environ 600 âmes. C’est dans cette communauté, nichée entre la rivière Mingan et l’archipel bordant le littoral, que vit Rita Mestokosho. Poétesse et militante, elle a participé à la fondation de la Maison de la culture innue d’Ekuanitshit. Ce lieu aux fonctions communautaires accueille aussi des touristes une fois la belle saison venue.

« J’ai encore plus envie de partager aujourd’hui. La Maison me permet de le faire à mon propre rythme. Ici, je suis chez moi », raconte Rita Mestokosho, une grande dame à la présence inoubliable. En plus d’assurer la coordination de la Maison de la culture depuis son ouverture en 2015, elle occupe un poste de conseillère au Conseil des Innu de Ekuanitshit. Son premier recueil de poésie, Eshi Uapataman Nukum – Comment je perçois la vie, grand-mère, est paru en 1995, puis a été réédité en Suède en 2011 avec une préface du prix Nobel de littérature Jean-Marie Le Clézio.

Par la suite, la première poétesse innue publiée fera paraître régulièrement des livres et des textes dans divers magazines et collectifs. « J’ai écrit en français pour faire comprendre aux gens un message important : le respect. » Respect des droits de son peuple, mais aussi respect de la Terre.

« Ce qu’on écrit, soit on l’a vécu, soit on en vit. » Un bel aphorisme de la diplômée en science politique de l’Université du Québec à Chicoutimi, qui associe à l’Est les souvenirs d’enfance peuplant ses premiers textes. Aujourd’hui, sa plume s’oriente plutôt vers les aîné·e·s et le territoire, symbolisés à ses yeux par le Nord.

Un lieu d’éducation

« Ce ne sont pas les murs qui font la Maison, c’est l’énergie qu’il y a autour : l’eau, les îles », explique Rita Mestokosho. L’endroit doit aussi sa vitalité aux événements, aux fêtes et aux activités de transmission culturelle – pharmacie traditionnelle, artisanat, etc. – que la communauté y organise. Les plus âgé·e·s apportent leur histoire, les plus jeunes trouvent leur histoire.

En accueillant des personnes de l’extérieur, la Maison de la culture joue également un rôle d’éducation plus large. L’univers des Innus d’Ekuanitshit, l’exposition permanente inaugurée en 2015, constitue une porte ouverte sur l’histoire et la vision du monde des Ekuanitshinnuat, les résident·e·s d’Ekuanitshit.

« La Maison de la culture est un lieu d’histoire, d’objets, d’êtres humains. Elle porte des messages vers d’autres lieux – les îles, le Nord, le territoire  ».

– Rita Mestokosho.

Des dizaines de personnes de la communauté ont en effet offert savoirs et objets d’artisanat pour peupler la salle d’exposition. Ici, une vidéo présente des cueilleuses partageant leurs connaissances sur les petits fruits constellant les îles. Là, on découvre un canot fabriqué de façon traditionnelle. Plus loin, une toile ombragée d’arbres surplombe un coin de la pièce, ce qui donne l’impression d’être sous la tente.

Cette exposition conçue de manière collaborative s’inscrit dans une volonté de réappropriation. Une occasion de contrer en partie les pertes culturelles et les dépossessions subies par la communauté au fil du temps. Le projet s’est accompli avec le soutien de La Boîte Rouge VIF de Chicoutimi, un organisme dont la mission est de mettre en valeur les cultures autochtones par la recherche, la formation et la conception de dispositifs de transmission culturelle.

Une Maison ouverte sur les îles

Rita Mestokosho, poétesse et coordonnatrice de la Maison de la culture innue d’Ekuanitshit

Les aîné·e·s, raconte Rita Mestokosho, imaginaient la Maison au bord de la mer, avec la porte tournée vers l’est, comme les tentes qu’érigeaient autrefois celles et ceux qui venaient y construire leurs canots. Un projet rêvé depuis les années 1970. « La Maison de la culture est un lieu d’histoire, d’objets, d’êtres humains. Elle porte des messages vers d’autres lieux – les îles, le Nord, le territoire », expose Rita Mestokosho.

En 1984, Parcs Canada fait de l’Archipel-de-Mingan une réserve de parc national. Les Innu·e·s se voient interdire l’accès à une partie de leur territoire ancestral de cueillette, de pêche et de chasse. Il faudra une trentaine d’années de discussions pour que Parcs Canada cofinance la construction de la Maison – entamée vers 2011 – en collaboration avec le gouvernement fédéral, les fonds de redevance d’Hydro-Québec et Tourisme Côte-Nord.

Selon Rita Mestokosho, l’ouverture de la Maison modifie la relation des Ekuanitshinnuat à l’archipel. Par exemple, la communauté peut désormais y animer des activités culturelles, notamment sur Massishk napaut minishtikᵘ – l’île du cèdre debout, aussi connue sous le nom d’île Quarry.

De la culture à la Terre : militer pour le vivant

« En accordant des droits à la Terre, nous nous donnons plus de temps pour nous, humain·e·s, et les générations à venir », énonce Rita Mestokosho. Et ce ne sont pas des paroles en l’air. Il y a une dizaine d’années, elle a fait partie du mouvement d’opposition au harnachement de la rivière Romaine, située près d’Ekuanitshit. Cet engagement contre le projet d’Hydro-Québec ne passe pas inaperçu, comme en témoigne Valérie Cabanes, juriste en droit international qui œuvre pour les droits de la nature et la reconnaissance du crime d’écocide.

« Tout a commencé à Ekuanitshit », s’est remémoré Valérie Cabanes lors d’une table ronde sur le fleuve Saint-Laurent tenue en mai 2022, à Montréal. C’est en effet à Ekuanitshit, en rencontrant les femmes en lutte, que la juriste a décidé d’abandonner sa thèse pour se consacrer aux combats environnementaux. Car la voie juridique permet de réaliser des avancées.

En 2021, le Conseil des Innu de Ekuanitshit et la Municipalité régionale de comté de Minganie reconnaissent à la rivière Magpie – Muteshekau Shipu une personnalité juridique dotée de droits. « La rivière où l’eau passe entre des falaises rocheuses carrées » – traduction littérale de son toponyme innu – jouit désormais de neuf droits, notamment celui d’être protégée de la pollution.

L’obtention du statut de personnalité juridique pour une rivière – une première au Canada – émane du travail conjoint de plusieurs associations, dont l’Alliance pour la protection de la rivière Magpie – Muteshekau Shipu et l’Observatoire international des droits de la nature (OIDN).

Plusieurs militant·e·s, dont Rita Mestokosho, sa fille, Uapukun Mestokosho, l’OIDN et l’Alliance Saint-Laurent, désirent aller plus loin en réclamant la reconnaissance d’une personnalité juridique au fleuve Saint-Laurent. Un projet de loi en ce sens a été déposé en mai dernier à l’Assemblée nationale du Québec ainsi qu’au Parlement fédéral. Aux yeux de Rita Mestokosho, s’engager pour le vivant, « c’est notre devoir d’être humain ».