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La Biennale d’art contemporain autochtone 2022 : perspectives féministes

La mobilisation par l’art

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Temps estimé de lecture :5 minutes

Bandeau :Photo : © Lori Blondeau – Autoportrait tiré de l’œuvre « Asiniy Iskwew »

D’avril à décembre 2022, la Biennale d’art contemporain autochtone (BACA) parcourt huit lieux d’exposition dans quatre villes du Québec : Montréal, Québec, Sherbrooke et Saint-Hyacinthe. La sixième édition de cette exposition bisannuelle rassemble une cinquantaine d’artistes autochtones contemporains autour du thème Land Back, une proposition qui évoque le mouvement activiste pour la restitution des terres. Signée par le commissaire Michael Patten et la chercheuse invitée Alexandra Nordstrom, cette édition de la BACA s’avère un véritable tour de force de mobilisation par l’art, où les perspectives féminines et féministes se font entendre.

À Tiohtiá:ke/Montréal, ce printemps et cet été, les galeries La Guilde, Art Mûr et Stewart Hall de même que le Musée McCord et la Maison de la culture de Verdun sont les lieux désignés pour accueillir l’exposition. Les œuvres présentées témoignent d’enjeux qui traversent le temps, au moyen notamment de la photographie, de la peinture, d’installations, de la sculpture, de la réalité augmentée, de la broderie et du perlage.

Œuvres de femmes

Autoportrait tiré de l’œuvre Asiniy Iskwew

Parmi les œuvres les plus percutantes, la série de photographies de Lori Blondeau Asiniy Iskwew (« Femme de roc » en cri) représente quatre autoportraits de l’artiste, debout sur des roches, arborant un air fier et défiant. L’œuvre souligne la destruction de Mitsaseni, une roche sacrée de 400 tonnes – lieu de rencontre historique pour les nations crie et assiniboine – dynamitée pour faire place à un projet de barrage hydroélectrique en Saskatchewan.

Lori Blondeau y est enveloppée d’une robe rouge, évoquant la Campagne de la robe rouge, cet événement annuel de sensibilisation et de commémoration des filles et des femmes autochtones disparues et assassinées au Canada.

Dans son essai qui accompagne l’exposition, Alexandra Nordstrom, doctorante en histoire de l’art à l’Université Concordia et chercheuse invitée de la BACA, souligne le « lien direct entre la violence envers la terre et la violence envers nos corps ». Les autoportraits de Lori Blondeau mettent en lumière cette intersection et cette pluralité des causes sociales au sein des revendications de Land Back, ici la protection de la terre et celle des femmes.

À la galerie Stewart-Hall de Pointe-Claire, la rencontre du militantisme et de l’art prend une forme à la fois traditionnelle et contemporaine. C’est en épines de porc-épic qu’est brodé le texte de l’œuvre de Julia Rose Sutherland Defund the Police / Refund the Communities. Par ces mots, l’artiste s’allie avec des activistes et des penseurs, notamment au sein du mouvement Black Lives Matter, lesquels proposent des initiatives de soutien et de sécurité communautaires, particulièrement dans un contexte de violences systémiques envers les peuples racisés et autochtones.

Selon Alexandra Nordstrom, Julia Rose Sutherland s’adresse à la communauté au fil du temps par l’utilisation d’une pratique artisanale ancestrale et collective. Elle s’adresse en parallèle à la communauté d’aujourd’hui, en discutant de ce que vivent collectivement ses membres, ici et maintenant. Il y a dans son œuvre un magnifique parallèle entre la protection d’une pratique matérielle et la protection physique de la communauté.

Une troisième artiste à surveiller lors de la Biennale est Camille Seaman. La photographie Protect & Serve (The Corporations) combine l’acuité journalistique avec le regard de l’artiste, en documentant une manifestation tenue en 2016 lors de la construction d’un pipeline sur la réserve Standing Rock, au Dakota. On y voit une personne autochtone qui manifeste, seule, devant un mur entier de policier·ère·s armé·e·s lui barrant le passage. « Il y a une incroyable générosité dans la manifestation, dit Alexandra Nordstrom. La générosité de celles et ceux qui mettent leur vie en péril pour être en relation avec la Terre, notamment la photographe elle-même dans ce cas-ci. »

« Lorsque je réfléchis à Land Back, je pense à Ellen Gabriel, Kanahus Manuel, Sleydo’ Molly Wickham : ces femmes au front de la défense physique pour le territoire. Dans cette exposition, j’ai réfléchi aux façons dont les travailleuses culturelles participent à la résistance sur le front artistique. Car le thème Land Back s’inscrit aussi dans une réclamation des savoirs, des cultures et des façons d’être », poursuit la chercheuse.

Un regard d’avenir

Carrie Allison – Mentha arvensis

La BACA célèbre aussi la résistance autochtone par son regard vers l’avenir. À la Maison de la culture de Verdun, le thème du futurisme a regroupé des œuvres innovantes sous la forme de vidéos, de projections et de réalité augmentée.

Alexandra Nordstrom souligne l’importance du « futurisme autochtone », un terme que l’on doit à la Dre Grace Dillon. « Souvent, les personnes autochtones sont reléguées à un passé perdu, oublié. C’est impératif d’écouter les façons dont elles imaginent l’avenir et entraînent avec elles le savoir ancestral pour faire avancer les choses. L’innovation autochtone – qu’elle soit liée aux technologies, aux ressources ou aux pratiques artistiques – est transmise depuis des générations. »

À l’extérieur de la métropole, le Musée des beaux-arts de Sherbrooke met en scène un dialogue entre des objets de sa collection et l’art d’aujourd’hui. Notons l’incarnation contemporaine de la déesse inuite Sedna dans les photographies de Katherine Takpannie, accrochées parmi des objets de stéatite, de pierre et d’ivoire, représentant eux aussi des figures mythologiques.

À la Maison des Jésuites de Sillery, à Québec, le thème exploré est la résilience. Les œuvres abordent les pensionnats autochtones en réponse à la « découverte » des tombes non identifiées dans certains pensionnats, un événement qui a ébranlé le pays tout entier l’été dernier. Cette édition de l’exposition prend forme après deux ans d’isolement et d’agitation sociale. Pour le commissaire Michael Patten, la BACA est aussi « un moment de rassemblement, un point de rencontre pour les communautés autochtones d’Amérique du Nord ».

L’artiste coup de cœur de la chercheuse Alexandra Nordstrom? Carrie Allison, une créatrice qui utilise le perlage pour dépeindre des plantes médicinales : « Ses œuvres évoquent notre lien à la Terre, qui date de si longtemps. Elles évoquent une relation de care. Elles ont une capacité d’apaisement et de guérison pour moi. »

La Biennale d’art contemporain autochtone est présentée à Québec à la Maison des Jésuites de Sillery jusqu’à la fin de novembre 2022, et à EXPRESSION – Centre d’exposition de Saint-Hyacinthe, d’octobre à décembre 2022. Pour en savoir plus : www.baca.ca.

Merci à Alexandra Nordstrom pour sa généreuse contribution.