Aller directement au contenu

Où sont les femmes dans le débat public?

Le fossé de la représentation médiatique

Date de publication :

Auteur路e :

Temps estimé de lecture :5 minutes

Bandeau :Photo : © The Climate Reality Project (unsplash.com)

La pandémie a mis les femmes à l’avant-plan dans les médias. D’abord, parce qu’elles sont majoritaires à occuper des professions dans les milieux de la santé, des soins et de l’éducation, mais aussi parce que le confinement a exacerbé les violences genrées. Pourtant, les femmes ont été pratiquement éradiquées du débat public. Malgré une parité relative dans certains domaines, les hommes experts ont été radicalement plus sollicités que les femmes pour intervenir médiatiquement durant la pandémie. Aujourd’hui, le fossé entre la représentation des hommes et des femmes dans les médias demeure énorme. Cet écart a des effets majeurs à la fois sur nos imaginaires, sur nos visions du monde, sur les politiques et, surtout, sur la vie des femmes.

En mars dernier, Le Devoir publiait un dossier sur la question de la (sous-)représentation des femmes dans le débat public. Le quotidien établissait que la parole experte médiatisée a été offerte « deux fois plus aux hommes qu’aux femmes » en période de pandémie. Les propos d’expertes femmes ne représentaient que 36 % de ceux cités, tandis que seulement 27 % étaient ceux de politiciennes.

L’étude notait par ailleurs une disparité dans la manière de représenter ces expertes : alors que les propos des hommes seraient plus souvent cités directement, ce serait moins le cas pour les femmes. Cette situation aurait pour effet de banaliser leur discours, de les mettre en second plan. Certains sujets couverts, comme l’économie, l’infrastructure ou la construction, seraient aussi presque exclusivement masculins.

Des facteurs limitant la participation

Caterine Bourassa-Dansereau, professeure de communication sociale et publique à l’UQAM

« Moins on voit de femmes à la tête des débats publics, moins les femmes sont inspirées à y participer. Il faut qu’il existe des modèles pour qu’il y ait des transformations effectives », défend Caterine Bourassa-Dansereau, professeure de communication sociale et publique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Également directrice du nouvel Observatoire francophone pour le développement inclusif par le genre, la professeure Bourassa-Dansereau est la chercheuse principale du rapport Les représentations médiatiques des femmes aux élections municipales.

« Le rapport a démontré qu’on a encore des représentations et des façons de voir la politique et les femmes en politique qui alimentent notre imaginaire. En campagne électorale, on va chercher les représentations qui les nourrissent. Les médias contribuent à cette construction de la réalité. »

Selon la chercheuse, il est clair que des biais sexistes sont encore présents dans la couverture médiatique, et qu’il y a des commentaires genrés dans tous les milieux. « La politique a longtemps été une chasse gardée. C’est très déstabilisant quand on ébranle des instances de pouvoir », croit Caterine Bourassa-Dansereau. Selon elle, les journalistes et les salles de presse ont historiquement couvert les nouvelles au masculin. D’ailleurs, ces professions sont encore aujourd’hui majoritairement occupées par des hommes.

Dans le cadre de son rapport, la professeure a rencontré plusieurs femmes politiques. « Souvent, on leur pose des questions en lien avec leur position de femme plutôt qu’avec leur position d’experte. À une femme responsable des aqueducs, par exemple, on pose des questions sur la conciliation travail-famille plutôt que sur les systèmes d’aqueduc », raconte la chercheuse.

Bien qu’elle admet que ces enjeux sont cruciaux, centrer l’expertise en fonction du genre a pour effet de genrer les questions sociales et de s’éloigner du mandat premier, qui est de servir les citoyen·ne·s. Selon Caterine Bourassa-Dansereau, ce double standard ne toucherait pas les hommes, qui ne reçoivent pas de questions typiquement « masculines ».

Représentation et imaginaire

Mais pourquoi est-il important que les femmes occupent plus de place dans la couverture médiatique et dans la prise de parole publique? « D’abord, parce qu’elles représentent 50 % de la population », affirme Linda Crevier, directrice générale de la Table de concertation des groupes de femmes de la Montérégie. « Les personnes en place doivent prendre des décisions qui concernent les gens qui leur ressemblent, elles doivent être capables de comprendre leurs besoins et leurs réalités. »

« La valorisation des savoirs féministes est un enjeu dans lequel les médias ont une part de responsabilité. »

– Marie-Andrée Gauthier, coordonnatrice du Réseau des tables régionales de groupes de femmes du Québec

« La qualité même de ce que disent les femmes va être différente, en raison de leurs expériences vécues, de la façon qu’elles ont d’évoluer dans le monde », croit quant à elle Laura Shine, ancienne recherchiste de Radio-Canada.

Le rôle des institutions

Si certains facteurs sociaux expliquent ces disparités de visibilité – notamment l’organisation de la vie privée qui favorise l’engagement des hommes –, les institutions médiatiques elles-mêmes jouent un rôle clé dans la représentation des femmes dans l’espace public. « La valorisation des savoirs féministes est un enjeu dans lequel les médias ont une part de responsabilité », défend Marie-Andrée Gauthier, coordonnatrice du Réseau des tables régionales de groupes de femmes du Québec.

« Il est important de faire comprendre aux responsables des médias qu’ils sont en train de déformer la vision du monde, et que celle-ci influence les modèles dans lesquels se projettent les filles, la façon dont on voit le monde et dont on l’organise », alerte la sociologue Cécile Méadel.

Pour répondre à ces défis, des groupes de femmes se sont mobilisés dans les dernières années. Parmi les initiatives innovantes, le travail de Femmes Expertes est essentiel. Fondé par l’ancienne recherchiste de Radio-Canada Laura Shine, Femmes Expertes vise à faire entendre la voix des femmes dans les médias, en proposant entre autres un répertoire de 850 expertes par domaine de spécialisation.

Du côté de la Table de concertation des groupes de femmes de la Montérégie, plusieurs outils destinés aux journalistes ont été élaborés en collaboration avec l’UQAM. Parmi ceux-ci, on compte le Guide des bonnes pratiques journalistiques et un bloc-notes invitant les services de rédaction à faire le « pari d’une couverture neutre ».

Le travail de représentation et de valorisation de la parole publique passe donc à la fois par les médias, tant du côté de la recherche et de la rédaction que de la transmission des nouvelles, mais également par la déconstruction de nos biais sociaux qui sont éminemment genrés. « C’est essentiel que nos représentations changent, que l’on trouve important et naturel qu’il y ait une diversité de points de vue pour toutes les personnes concernées », croit Caterine Bourassa-Dansereau.