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L’égalité vue par Pierre Thibault

« En enlevant cette place prépondérante donnée à la voiture pour en faire des espaces publics, c’est peut-être comme ça qu’une ville devient plus féministe… »

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Temps estimé de lecture :5 minutes

Bandeau :Photo : © Hélène Bouffard

Professeur à l’École d’architecture de l’Université Laval, Pierre Thibault est un architecte de 32 ans d’expérience. Son œuvre est le résultat d’une pensée qui place en interaction constante l’être humain et le territoire à habiter, qu’il soit naturel ou urbain. Dans ses projets, Pierre Thibault recherche la valeur ajoutée de la création qui permet de tirer le meilleur parti des contraintes. Éternel voyageur, admirateur de l’immense pouvoir de transformation des saisons au Québec, amoureux de la contemplation comme façon de ralentir le temps, il consacre une partie de sa pratique à la réalisation d’installations architecturales éphémères, inscrites tout en délicatesse dans les paysages avec lesquels elles font corps. Avec Ricardo Larrivée et Pierre Lavoie, Pierre Thibault est membre fondateur du Lab-École. Cet organisme à but non lucratif s’est donné comme mission de rassembler une expertise multidisciplinaire pour repenser l’école publique de demain, pour en faire un lieu propice à l’épanouissement, à la réussite éducative et à l’adoption de saines habitudes de vie. Il nous parle d’architecture, d’espace public… et de ville féministe!

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L’architecture ou la pratique architecturale actuelle est-elle genrée ou sexiste?

Oui, malheureusement. Sur le plan du résidentiel, de l’espace privé, les gens ont énormément évolué et on a la chance de travailler principalement sur ce type de projets à l’atelier. En revanche, la pratique architecturale est intimement liée au monde de la construction qui, lui, a peu évolué. Dans l’univers de la construction de condos, où l’on donne tous les pouvoirs aux promoteurs, on a besoin du contrepoids apporté par les femmes. Ce problème est toutefois appelé à changer puisque ce sont majoritairement des femmes qui étudient en architecture de nos jours. Elles ont fait un immense chemin depuis le temps de mes études. C’est une question de temps, mais c’est tout un système à changer.

Trois mots qui décrivent pour moi le féminisme : la bienveillance, l’échange, le bien commun.

L’urbanisme et les espaces publics de nos villes québécoises sont-ils pensés en fonction des besoins et des usages des femmes?

La vision de l’urbanisme et des espaces publics est peu développée au Québec. Cette vision est tellement limitée qu’elle ne répond aux besoins de personne. Mais un vent de changement aux dernières élections a permis d’élire de nombreuses mairesses dans les villes comme Longueuil, Sherbrooke, Drummondville, et ces mairesses semblent avoir la volonté de changer les choses. J’ai été invité à aller marcher dans ces villes pour les réimaginer, une invitation que je n’ai jamais reçue d’un maire. Ces femmes sont ouvertes au changement. Nous en sommes donc aux balbutiements de quelque chose qui pourrait devenir intéressant.

Peut-on envisager une ville, des espaces publics et des bâtiments « féministes »? Des exemples dans le monde?

Pour moi, la ville la plus féministe serait peut-être Copenhague, à cause de cette réappropriation de la façon de déambuler, de la place faite aux vélos (la responsable de ce volet est d’ailleurs une femme) et aux espaces publics. Ma première visite des pays scandinaves remonte à 35 ans et le congé de maternité de 2 ans était déjà un acquis. Les femmes y sont actuellement très présentes en politique.

La ville de Paris aussi, où des routes sont fermées pour faire de la place aux vélos, les quais près de la Seine où les gens prennent du temps en famille. Ces villes deviennent des lieux plus silencieux, où l’on marche, où l’on est attentif à l’autre, où il y a moins d’agressivité. En enlevant cette place prépondérante donnée à la voiture pour en faire des espaces publics, c’est peut-être comme ça qu’une ville devient plus féministe…

Comment les femmes – et les jeunes femmes en particulier – pourraient-elles mieux s’approprier la ville?

En s’investissant dans la sphère politique. En s’impliquant dans les postes qui permettent d’imprimer leur vision et de changer les choses de l’intérieur. Dans une ville, la vision de l’urbanisme doit venir d’en haut. Nous voyons déjà un changement générationnel, de Coderre à Plante et de Labeaume à Marchand, mais il nous manque encore les outils pour mettre en place une vision différente.

Le plus sûr garant de l’égalité demeure la valorisation de la compétence, de l’intégrité et de l’humilité par l’éducation. Tout dans la vie part de l’éducation, et les valeurs égalitaires sont transmises dès l’enfance. Mais il faut aussi qu’il y ait une égalité économique.

Quelle personnalité féministe vous inspire le plus?

L’une des femmes qui ont eu une grande influence sur le monde de l’architecture au Québec est l’architecte montréalaise Phyllis Lambert. Dans les années 60, elle a empêché que le Vieux-Montréal soit détruit pour construire des autoroutes, un exploit dans le contexte de l’époque. Cette femme, qui se disait solidaire aux causes féministes « mais de loin », est tout de même une figure inspirante qui a bousculé les valeurs fondamentales de l’architecture et défendu des valeurs inclusives comme la participation citoyenne au développement urbain. Elle avait une vision qui portait sur le bien commun, sur la préservation de notre histoire. C’est une femme qui a eu de l’influence dans un univers où elle n’en avait pas d’emblée, elle a fait de grandes choses, elle a été vigilante.