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Entrepreneures autochtones : un pont entre l’histoire et le futur

Le cœur d’une mission communautaire

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Temps estimé de lecture :5 minutes

Ce qui caractérise les femmes leaders autochtones encore aujourd’hui, malgré les préjudices qu’elles ont subis à travers l’histoire, ce sont leurs grandes valeurs familiales et communautaires de partage et d’entraide. Ces femmes ont toujours gardé ce même respect envers tous les êtres vivants et la Terre mère, une priorité qui définit nos peuples depuis des millénaires.

À l’époque où le nomadisme existait toujours, les femmes des premiers peuples jouaient un rôle fort et central dans les clans. Leur travail était considéré comme complémentaire à celui de l’homme. Elles possédaient le pouvoir, exerçaient et contrôlaient la distribution des ressources, en plus d’apporter une contribution majeure à la survie culturelle et physique de leur collectivité. Plus proches de la Terre mère et de la création, elles étaient respectées. On les considérait comme les piliers de la nation.

Aujourd’hui, à travers mon parcours entrepreneurial et la fondation de mes entreprises, je réalise de plus en plus l’importance des femmes des Premières Nations au sein de leur communauté. Et la nécessité pour elles de reprendre leur place dans le développement et l’épanouissement des communautés. Heureusement, depuis quelques années, on sent un vent de changement et un intérêt grandissant des femmes autochtones envers le leadership et l’entrepreneuriat.

Redonner à la communauté

Mélanie Paul

Ce qui est remarquable chez ces femmes leaders, c’est leur motivation première lorsqu’elles lancent leur propre entreprise : ce désir de trouver une solution endogène au développement économique et de promouvoir le bien-être social de leur communauté. Nous pouvons constater, par leurs modèles d’affaires, ce souci de contribuer au bien-être des membres des Premières Nations, d’aider les gens à retrouver leur fierté, à s’épanouir, à réaliser leur rêve, à trouver un sens à leur vie. Accompagner les femmes et les hommes de leur communauté dans leur cheminement personnel et professionnel est primordial pour elles.

D’ailleurs, l’étude sur l’entrepreneuriat autochtone de Pearson et Daff, publiée en 2014, vient appuyer le fait que les entrepreneures autochtones sont motivées par la création d’une nouvelle économie basée sur le partage de la culture autochtone et de leurs valeurs communautaires. Chez les autochtones, la création d’une entreprise est ainsi perçue comme un moyen d’émancipation pour leur communauté.

Bien que plusieurs obstacles se dressent toujours sur le chemin des femmes des Premières Nations qui souhaitent se lancer en affaires, des mouvements se mettent en branle pour améliorer les choses.

Sur le plan individuel, l’étude de Francesca Croce (2019), à laquelle j’ai moi-même participé, démontre que c’est souvent le manque de soutien familial, de modèle ou de formation générale qui rend difficile le démarrage d’une entreprise. Les répercussions du changement de rôle entre les femmes et les hommes, dans une culture devenue beaucoup plus patriarcale, demeurent aussi un frein majeur pour les femmes, particulièrement dans la perception de leur capacité à se lancer en affaires.

Sur le plan structurel, le manque de financement, d’accompagnement et de connaissance des marchés de même que la concurrence sont autant de barrières au démarrage de leur entreprise.

Enfin, sur le plan socioculturel, outre les difficultés sociales présentes dans leur entourage, un élément important qui limite les femmes à se lancer en affaires est leur vision du capitalisme. Leur lien d’attachement au mode de vie de la communauté et aux valeurs collectives amène en effet chez elles cette volonté de porter une mission plus collective.

De l’histoire à l’émancipation

Il est évident qu’il existe toujours une corrélation entre ces obstacles et les effets, bien réels, des pensionnats et de la Loi sur les Indiens sur la perte d’identité et d’autonomie des autochtones, particulièrement chez les femmes. Notamment parce que cette même loi excluait automatiquement les femmes autochtones de la communauté lorsqu’elles épousaient un homme allochtone.

Cette discrimination historique explique certainement en grande partie cette volonté de la plupart d’entre elles de contribuer, par-dessus tout, à faire changer les choses et à soutenir leur communauté. Ce qui démarque les entreprises féminines autochtones, c’est cette interrelation entre leur raison d’être personnelle et professionnelle, qui est basée sur leur essence profonde qui est de redonner à la communauté.

Depuis des années, nous parlons de réconciliation entre nos peuples. Je pense sincèrement que le monde des affaires – en particulier les femmes – a un rôle important à jouer dans ce processus. Je suis de plus en plus persuadée que c’est par le rapprochement et par la cocréation de projets communs et porteurs de sens que nous pourrons apprendre à mieux nous connaître.

Il est important de reconnaître le passé et l’histoire. Les démarches d’aide et de reconnaissance sur le plan social doivent se poursuivre. Mais il faut aussi que nous passions à l’action et que nous mettions en place des espaces où nous pourrons nous rassembler, échanger et partager, des espaces où nous pourrons mieux nous comprendre.

Je sais que les jugements sont issus de la méconnaissance et de l’incompréhension. Lorsque l’on connaît et comprend, on ne peut plus juger. Il est primordial de créer des ponts et des projets de cœur qui nous rassemblent. Car c’est ensemble que nous allons réussir à construire un avenir meilleur pour toutes et tous!

Mélanie Paul est présidente d’Inukshuk Synergie, coprésidente et directrice générale d’Akua Nature et cofondatrice du Cercle Mocassin et Talons Hauts. Titulaire d’un baccalauréat en service social de l’Université Laval, l’entrepreneure innue se joint à l’entreprise familiale en 2002.

Elle est tour à tour commissaire au Conseil Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, vice-présidente de la Société de Développement Économique Ilnu, coprésidente de la Chambre de commerce et d’industrie de Roberval et présidente de la Table Premières Nations. En novembre 2020, elle est reconnue par Femmessor parmi les 100 entrepreneures québécoises qui changent le monde selon des objectifs de développement durable fixés par l’ONU.

Conférencière et formatrice, Mélanie Paul a été nommée en 2019 à un comité d’expert·e·s chargé d’émettre des recommandations sur l’inclusion de la main-d’œuvre autochtone dans les entreprises québécoises.