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Femmes autochtones et justice sociale : le combat d’Édith Cloutier

Trente ans d’engagement pour les droits des peuples autochtones

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Temps estimé de lecture :5 minutes

Bandeau :Photo : Édith Cloutier – © Paul Brindamour

Sa fougue pour la justice sociale lui a fait mériter un doctorat honoris causa de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), l’Ordre national du Québec et l’Ordre du Canada. Depuis 33 ans, Édith Cloutier dirige le Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or. Son parcours, grandement inspiré de femmes, l’a amenée à changer la donne dans la lutte contre le racisme envers les Autochtones partout au pays.

Le Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or est la deuxième maison d’Édith Cloutier. En fait, peut-être même sa première! « J’ai commencé en 1989 comme directrice. C’est plus de la moitié de ma vie et plus de la moitié de celle du Centre. Et mon histoire avec le Centre d’amitié n’est pas une histoire d’emploi, c’est une histoire de communauté, c’est un cheminement de vie », commence-t-elle.

Édith Cloutier est née au Témiscamingue en 1966. Alors qu’elle était encore une fillette, au milieu des années 1970, sa famille élargie vient s’installer à Val-d’Or. Le « clan » faisait partie des premières familles autochtones à s’établir dans le secteur de cette minière. « On a tous déménagé dans la même rue, dans trois immeubles d’habitation voisins », se souvient-elle.

En 1974, le Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or venait d’être créé. Inévitablement, Édith Cloutier et sa famille fréquentent régulièrement le lieu, qui a été situé dans deux autres bâtiments du centre-ville avant son emplacement actuel. Son grand-père a entre autres siégé au conseil d’administration du Centre. « On allait là. C’était un lieu communautaire, une place de rencontre et d’échanges. Il y avait des activités pour les jeunes, comme les camps de jour d’été. C’est devenu le lieu de mon premier emploi d’été. J’ai travaillé pendant trois étés dans la cuisine, et après, comme animatrice des camps de jour pour les enfants. »

Une leader est née

Les premiers signes qui allaient faire d’Édith Cloutier une leader apparaissent alors qu’elle participe aux premiers rassemblements organisés pour les jeunes autochtones. Elle a entre autres fait partie de la première cohorte qui a fondé le Conseil des jeunes autochtones de l’Association nationale des centres d’amitié. « À l’époque, on ne disait pas “on va impliquer les jeunes”. C’étaient les jeunes qui étaient au cœur de l’action politique autochtone », dit la militante.

« J’ai le sentiment que ce que je fais à l’échelle communautaire et locale a une portée plus large.  »

– Édith Cloutier

À 23 ans, à la fin des années 1980, Édith Cloutier est l’une des rares jeunes autochtones à être diplômée universitaire. La suite logique de ces grandes premières – et la fin de ses études en sciences comptables – l’amène à la direction du Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or. « Ma cousine était comptable et mon oncle était cuisinier. J’étais bien entourée et appuyée. »

Inspirée de femmes

Plusieurs femmes ont teinté le parcours d’Édith Cloutier, en commençant par sa mère, sa grand-mère et ses tantes. Selon elle, ces femmes ont joué un rôle dans sa soif de justice sociale. « Je les ai vues se préparer à aller sur la colline du Parlement à Ottawa avec des pancartes, rejoindre un grand mouvement au Canada », se remémore-t-elle.

Édith Cloutier

Pendant les années 1980, une importante mobilisation autochtone s’est orchestrée pour faire modifier la Loi sur les Indiens, qui discriminait les femmes autochtones. « Ma mère fait partie de la génération de milliers de femmes autochtones qui mariaient des “non-Indiens” et qui ont perdu leur statut. Dans ma famille élargie, les femmes s’étaient vues dépouillées de leur identité et toute leur vie, je les ai vues militer. »

Édith Cloutier a aussi hérité de la verve de sa mère qui, semble-t-il, n’hésitait pas à débarquer à l’école pour dénoncer fermement les incidents reliés à l’identité autochtone de ses enfants. Cet héritage se renforce alors qu’elle côtoie des militantes de l’organisme Femmes autochtones du Québec.

Michèle Rouleau, une Ojibwée de l’Abitibi-Témiscamingue, fait partie de celles qu’elle a grandement admirées. « Quand j’ai commencé au Centre, elle était présidente de Femmes autochtones du Québec. C’est quelqu’un qui a rayonné même à l’échelle nationale. J’ai donc été portée par ces femmes déterminées, qui ont mené de grosses luttes avant moi, et qui m’ont montré à nous tenir debout pour nos droits. »

Retombées systémiques

Malgré toutes les décorations qui lui ont été décernées et les possibilités – notamment politiques – qui lui ont été présentées, Édith Cloutier reste solidement sur sa chaise de directrice du Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or. Pourquoi? « Je pense que je fais vraiment avancer les choses. J’ai le sentiment que ce que je fais à l’échelle communautaire et locale a une portée plus large », répond-elle.

Elle cite en exemple le rôle d’accompagnement qu’elle a joué avec les femmes autochtones qui ont dénoncé les abus de pouvoir et les abus sexuels de la part de policiers de Val-d’Or. Ces révélations chocs ont entre autres mené à la création de la Commission sur les relations entre Autochtones et certains services publics au Québec.

Édith Cloutier et toute l’équipe du Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or s’étaient aussi mobilisées pour la création de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées. « Ç’a eu des retombées majeures sur le plan systémique. Et c’est ça qu’on a comme ambition, comme personne autochtone militante. C’est de faire avancer les droits des peuples autochtones. »

Dans les prochaines années, Édith Cloutier jouera un rôle important pour mesurer les progrès de la réconciliation avec les peuples autochtones au Canada. Avec quatre autres Autochtones du pays, elle aura comme mission de créer le premier Conseil national de la réconciliation. « Pour créer l’institution, ça prend une loi et c’est la première démarche sur laquelle on est en train de travailler. »

Cette détermination sans fin d’Édith Cloutier ne fait pas toujours l’unanimité et elle le sait. « Il y a des gens qui ne m’aiment pas et il y en a qui trouvent que je fais un bon travail. Mais la motivation d’œuvrer à la justice sociale et d’avoir une influence positive sur le collectif est plus grande que la peur d’être contestée. »