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L’économie sociale : un modèle porté par les femmes

S’investir dans plus grand que soi

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Temps estimé de lecture :5 minutes

Bandeau :Photo : © Brooke Cagle (unsplash.com)

Environ 11 200. C’est le nombre d’entreprises en économie sociale au Québec. Celles-ci sont dirigées par des conseils d’administration composés à 50,5 % de femmes. Elles œuvrent dans des domaines variés, de l’agroalimentaire à l’immobilier en passant par la santé, la communication, le transport, les arts et bien d’autres. L’apparition des premières coops remonte à la fin du 19e siècle, mais c’est vers la moitié des années 90 qu’on parle de plus en plus « d’économie sociale » ici. Aujourd’hui, comment s’illustrent les femmes dans ces initiatives?

« Au Québec, les femmes occupent une place particulière dans l’écosystème de l’économie sociale. Quand on regarde ailleurs, en Europe notamment, il n’y a jamais autant de femmes à la tête de ces organisations que chez nous », explique Béatrice Alain, directrice générale du Chantier de l’économie sociale.

Active au Chantier depuis plus de 10 ans, elle a vu fructifier de nombreuses initiatives de développement et continue de croire en ce modèle économique, de plus en plus reconnu un peu partout. « C’est une façon différente d’entreprendre, de réfléchir ensemble, collectivement. En économie sociale, une personne égale une voix. On veut changer les choses parce qu’on pense que le système dans lequel on vit n’est pas équitable ni soutenable sur le plan social et écologique. »

C’est dans cet esprit de changement que Béatrice Amyot a lancé Ré/Forme, une entreprise en économie sociale qui offre des outils pédagogiques ludiques et inclusifs pour l’enseignement de la sexualité, au primaire et au secondaire. « Ma mission collait davantage à un organisme à but non lucratif (OBNL) qu’à une entreprise privée. J’avais vraiment à cœur que les gens qui m’entourent soient animés par le projet et non par les retombées financières », explique la jeune femme de 24 ans.

Désireuse, elle aussi, d’avoir « un réel effet » sur la société, Gynet Séguin s’est lancée dans l’économie sociale en 2015. Après une carrière en ressources humaines dans plusieurs entreprises privées, elle a réalisé que « la tête et le cœur n’étaient plus alignés ». « C’est l’humain qui doit être au cœur des décisions, pas uniquement l’aspect financier. Je n’en pouvais plus d’être dans un système qui pense seulement au profit », confie celle qui est aujourd’hui directrice générale de la Coopérative de soutien à domicile de Laval.

Figures de proue

Diplômée du baccalauréat en design de produits de l’Université Laval à Québec en 2020, Béatrice Amyot entre ensuite à l’École d’entrepreneuriat de Québec pour suivre un cours de démarrage et gestion d’entreprise. « Je voulais me concentrer sur une problématique qui allait pouvoir aider les gens directement et j’avais aussi envie de faire grincer des dents parce qu’en design de produits, il y a beaucoup d’hommes », s’amuse-t-elle.

Elle décide alors de concevoir des outils destinés aux enseignants pour le cours d’éducation sexuelle et lance une campagne de sociofinancement en février 2021. En 35 jours, elle récolte 40 000 $ et constate un réel engouement pour son projet.

Pour Béatrice Amyot, Gynet Séguin et Béatrice Alain, il n’y a pas de milieu et d’emploi plus gratifiants que l’économie sociale.

Selon Béatrice Amyot, le fait d’être une femme entrepreneure est plutôt bien vu. « Je suis assez surprise qu’être une femme puisse être un défi en entrepreneuriat, en 2022 », raconte celle qui a gagné le premier prix dans la catégorie Économie sociale du Défi OSEntreprendre – Région Capitale-Nationale. La nature de son entreprise fait davantage jaser. « Les seuls commentaires négatifs que j’ai eus, c’était deux hommes, dont un qui m’accusait de pervertir les enfants », se désole-t-elle.

Béatrice Alain rappelle d’ailleurs que de plus en plus de femmes se lancent dans l’entrepreneuriat en économie sociale et que des entreprises majeures sont désormais dirigées par des femmes. « Les deux plus grands investisseurs privés au Québec, soit le Fonds de solidarité FTQ et Fondaction, sont dirigés par des femmes. »

Même constat chez Gynet Séguin. Être une femme à la tête d’une entreprise n’a jamais posé problème. « L’économie sociale est un domaine ouvert. Je n’ai jamais senti de poids comme au privé du fait d’être une femme. » Pour elle, le plus gros défi a surtout été de prendre la barre d’une entreprise au début de la pandémie. « Mon but, c’est de toujours trouver les ressources nécessaires pour bonifier les conditions de travail de nos employé·e·s, tout en respectant les capacités financières de nos aîné·e·s. Et depuis le début de la crise sanitaire, ça a été tout un enjeu. »

Des apports majeurs

Béatrice Alain, directrice générale du Chantier de l’économie sociale

Selon Béatrice Alain, les entreprises en économie sociale ont une véritable incidence sur la société. Elle cite notamment la création des centres de la petite enfance (CPE) il y a 30 ans. « Les CPE ont permis aux femmes d’investir le marché du travail. Ces entreprises collectives ont aussi été des vecteurs de cohésion sociale et ont entraîné une chute de plus du tiers du taux de pauvreté des familles monoparentales. »

Avec Ré/Forme, Béatrice Amyot souhaite « changer les choses » et développer son projet au fil des années. « Après le jeu de construction anatomique, on espère faire un jeu de société sur les agressions sexuelles. Le but serait de créer un nouvel outil chaque année. Il y a vraiment de grands besoins dans le milieu scolaire. Les enseignant·e·s n’ont rien! »

De son côté, Gynet Séguin se réjouit que la Coopérative de soutien à domicile de Laval, qui compte aujourd’hui 200 employés, s’occupe de plus de 3 500 personnes en perte d’autonomie à Laval. « On aide les gens à rester le plus longtemps possible dans le confort de leur foyer, dans la dignité et la sécurité, et ce, à un moindre coût. On aide aussi des personnes à trouver du travail, on les soutient, on les forme et on leur offre un salaire concurrentiel. »

Pour Béatrice Amyot, Gynet Séguin et Béatrice Alain, il n’y a pas de milieu et d’emploi plus gratifiants que l’économie sociale. Leur fierté d’être des femmes à la tête de telles organisations est lumineuse. « En économie sociale, on a deux salaires : notre paye et les retombées qu’on génère pour la société, pour les gens, dit Gynet Séguin. On contribue à quelque chose de plus grand que nous et ça, ça n’a pas de prix. »