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Refuser la maternité par choix

La lente levée d’un tabou

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Temps estimé de lecture :5 minutes

Bandeau :Photo : Claire Legendre – © Lou Scamble

La femme enceinte est un symbole encore largement exploité pour illustrer la féminité. Mais qu’en est-il de celles qui se sentent exclues de ces représentations? Les femmes qui refusent la maternité prennent de plus en plus la parole pour faire valoir leur choix, lui donner le droit d’exister.

Lassées de devoir sans cesse justifier leur absence de désir d’enfant et de déroger au mythe populaire du réveil de l’horloge biologique, ces femmes longtemps décrites comme « dysfonctionnelles », « égoïstes », voire carrément « sorcières » signent et persistent : non, elles n’ont pas de « vide à combler » et disposent du droit de ne jamais devenir maman.

En mai 2020, l’ouvrage collectif Nullipares (Hamac), dirigé par l’autrice Claire Legendre et auquel ont participé neuf autres écrivaines, libère la parole des femmes qui n’ont pas donné naissance. Plusieurs d’entre elles sont nullipares par choix, d’autres par circonstance. Saturées de stéréotypes à leur égard, ces autrices témoignent noir sur blanc de leurs réalités.

« Qu’on le vive bien ou moins bien, je trouve ça important qu’il y ait enfin des représentations de femmes sans enfant », indique Claire Legendre. « Aux yeux de la société, c’est comme si on ne pouvait être accomplie qu’après avoir vécu la grossesse et la maternité, comme si la vie d’une femme n’est pas déjà une expérience complète en soi. »

Une décision qui fait couler de l’encre

Selon Camille Ingels-Fortier, créatrice de contenu Web âgée de 32 ans, il est grand temps qu’on cesse de contester le choix des femmes. « Il n’y a pas de raison particulière au fait que je ne veuille pas d’enfant. C’est comme une tasse de thé, comme un consentement pour n’importe quoi, si tu n’en veux pas, c’est correct », lance-t-elle.

En 2015, elle rédige un billet sur son blogue où elle explique qu’elle ne désire pas devenir maman. « Ça me fâche parce que c’est comme si j’avais pas le droit. J’suis pourtant pas anormale, j’en connais plein des gens qui ne veulent pas d’enfants. Ça fait pas de moi une personne sans cœur », peut-on lire. Cette prise de position lui vaudra de nombreuses réactions : « tu vas changer d’avis », « tu vas sûrement le regretter », « tu n’as pas encore rencontré le bon »…

Et lorsque les femmes refusent de se reproduire, il leur faut justifier leur non-participation à la survie de l’espèce. « Non, je ne vais pas forcément faire un tour du monde ou bien me consacrer à ma carrière », renchérit Camille avec humour. Son aisance trahit le fait qu’elle se soit fait poser ce genre de questions à plusieurs reprises. Malgré tout, elle reste consciente que sa génération incarne un plus grand progressisme en matière d’égalité et de libertés des femmes. Peu de gens de son entourage immédiat se permettent de la juger.

Depuis déjà trois décennies, le Québec, à l’image des pays occidentaux, accuse une baisse de la natalité : femmes plus nombreuses sur le marché du travail, milieux sociaux et familiaux moins coercitifs, émancipation des femmes grâce à la contraception, recul de la religion, etc. En 2019, selon un sondage Léger, presque la moitié des millénariaux estiment que mettre moins d’enfants au monde serait bénéfique pour faire face à la crise environnementale.

Claire Legendre pense toutefois que l’écoanxiété ne suffit pas à freiner le désir d’avoir ou d’adopter un bébé. « Je pense que c’est moins rationnel que ça. Le désir de maternité, c’est beaucoup plus viscéral. Si on en ressent le besoin, même si on se dit que le monde va mal, on finit par en faire, croit-elle. On en revient donc au fait qu’on a le droit de ne pas en avoir envie sans raison, ça nous appartient! »

L’autrice souligne qu’enfanter est avant tout une immense responsabilité qui ne résonne pas chez tout le monde. À ce sujet, elle se remémore avoir lu un livre qui regroupe des témoignages de mères qui regrettent la maternité. « Et je trouve ça bien plus tragique, se forcer ou bien être forcées, c’est grave pour soi et pour l’enfant qui en paye les conséquences », soulève-t-elle.

Plus facile pour les hommes

Le conjoint de Camille Ingels-Fortier s’est aussi fait dire qu’il changerait d’idée plus tard, mais sûrement moins souvent que les femmes, concède-t-il.

Claire Legendre considère qu’il est bien plus aisé pour les hommes de refuser ouvertement la paternité. « Ils ont la possibilité de se réaliser hors du domaine domestique plus facilement, et ce, dans presque tous les milieux sociaux. Leur domaine d’action n’est pas réduit à la parentalité. Qu’un homme se réalise à travers son métier et ses passions, c’est tout à fait normal! »

De plus, les femmes sont souvent valorisées par le fait qu’elles aient une belle famille, une belle progéniture, ajoute l’autrice. « Et on leur pose presque systématiquement des questions sur leurs enfants, illustre-t-elle. Pas certain que ce soit autant le cas pour les hommes. »

« La société attend encore aujourd’hui de la majorité des femmes en relation hétérosexuelle qu’elles « se fondent » derrière les besoins de leur conjoint… et ceux de leurs enfants.  »

Dans son essai Sorcières : la puissance invaincue des femmes, la journaliste suisse Mona Chollet aborde de front l’indépendance des femmes et, citant Pam Grossman, l’idée d’un archétype féminin souverain qui « ne se laisse pas définir par quelqu’un d’autre ». Selon son analyse, la société attend encore aujourd’hui de la majorité des femmes en relation hétérosexuelle qu’elles « se fondent » derrière les besoins de leur conjoint… et ceux de leurs enfants. L’essayiste revendique alors une autonomie radicale, qui « ne signifie pas l’absence de liens, mais la possibilité de nouer des liens qui respectent notre intégrité, notre libre arbitre, qui favorisent notre épanouissement au lieu de l’entraver, et cela, quel que soit notre mode de vie, seule ou en couple, avec ou sans enfants ».

Le début d’une réflexion

Remettre en question la fibre maternelle et le désir de procréation relève encore du tabou en 2021. Pourquoi les réactions sont-elles aussi nombreuses lorsqu’une femme assume le fait que la maternité ne fait pas partie de ses plans? C’est essentiellement un réflexe de survie, selon l’hypothèse de Claire Legendre. « Il y a quelque chose qui fait peur dans le fait de s’imaginer qu’on va disparaître et qu’on ne va pas laisser de trace. C’est rassurant d’assurer la pérennité de l’espèce, et c’est donc subversif de remettre ça en question. »

Optimiste, elle perçoit un élan féministe fort depuis quelques années et espère que les nullipares en bénéficieront aussi. Après la parution de Nullipares, elle a reçu beaucoup de commentaires enthousiastes de la part de jeunes femmes qui, comme Camille, assument vaillamment le fait qu’avoir des enfants n’est pas le but de leur vie.

Outre le droit inconditionnel de ne jamais enfanter, Claire Legendre et Camille Ingels-Fortier évoquent aussi celui de douter, de s’affranchir des attentes sociales, et ainsi de faire de la maternité un choix de vie, et non plus une pression collective exercée sur les femmes.