Aller directement au contenu

Parentalité : le marketing « mamancentrique »

Une charge mentale à déconstruire

Date de publication :

Auteur路e :

Temps estimé de lecture :5 minutes

Une recherche rapide vous en convaincra : la publicité qui entoure le matériel pour enfants est vraiment orientée vers les mères ou futures mères. Une simple approche marketing? C’est loin d’être aussi anodin, et cela se traduit par des conséquences bien réelles pour les femmes.

S’impliquer comme père signifie notamment faire des recherches sur tout ce qu’il faut acheter pour bébé. Ce qui veut aussi dire être bombardé de publicités plutôt « mamancentriques », où la mère paraît être le parent par défaut.

Au début, je croyais à une illusion de fréquence – cette impression qu’on a de voir partout un élément après l’avoir remarqué une première fois. Tout a commencé en décembre : nouveaux parents en devenir, ma conjointe et moi faisions des recherches sur divers trucs à acheter pour notre fils, dont l’arrivée était imminente. Entre les porte-bébés, les poussettes, les biberons et les vêtements, le phénomène a commencé à se manifester. Un produit « recommandé par toutes les mamans » sur un site Web, ce porte-bébé, « toutes les mères l’aiment », me dit un autre site bien connu, sans compter la poussette qui procure « plus de flexibilité à maman et son bébé ». C’était peut-être un hasard… mais ces listes et recommandations semblaient s’adresser à un seul parent.

À ce stade, je commençais à soupçonner que ce n’était pas une illusion : les femmes sont la cible de choix quand vient le temps de faire la promotion d’articles pour enfants. Et les hommes sont un peu laissés pour compte.

À la remorque des clichés

Samuel Tremblay, l’un des deux compères derrière la page Facebook Nouveaux pères, l’a constaté lui aussi. Leur page se veut une approche humoristique et positive de la paternité. « Que la publicité s’adresse davantage aux femmes, c’est une chose. Ce qui est plus choquant, c’est quand on voit les stéréotypes véhiculés dans la publicité de la maman parfaite et du père légèrement incompétent ou absent. Ça, pour moi, c’est beaucoup plus critiquable », dit le papa de Marguerite, 2 ans, et Lambert, 7 mois.

De quoi maintenir la pression sur les mères pour tout faire et avoir réponse à tout. Et pour les hommes, ajoute-t-il, les attentes demeurent assez basses. « La publicité et le marketing entretiennent ces standards » entre les deux sexes, soutient Samuel Tremblay. « Même dans les ressources gouvernementales, publiques, officielles, faites par des spécialistes, je pense qu’il y a encore un certain retard par rapport à la réalité de 2021. »

Les publicités stéréotypées vendent l’idée de la mère qui fait tous les bons choix.

Selon la sociologue Valérie Harvey, la publicité, « c’est un milieu conservateur ». Elle suit les changements sociaux, avec quelques années de retard, « parce que si on veut parler à la masse, il faut attendre qu’un mouvement naissant soit rendu dans le gros de la vague », souligne-t-elle.

Avec les milliers de dollars qu’elles dépensent chaque année pour élever un enfant, les familles sont un marché lucratif et ce sont généralement de grosses compagnies qui s’efforcent de leur vendre sièges d’auto, vêtements ou poussettes. « On va tenter de faire des publicités le plus “nord-américaines” possible », soutient Valérie Harvey, qui a écrit le livre Révolution papa. Selon elle, ce phénomène est moins présent au Québec que chez nos voisins du Sud, puisque les papas québécois sont plus investis qu’ailleurs sur le continent.

Évidemment, les temps changent, du moins un peu, note Valérie Harvey. Elle fait remarquer qu’on voit moins de publicités qui mettent en scène des pères incompétents qui ne savent rien faire.

Samuel Tremblay observe lui aussi qu’il y a une évolution, et que certaines entreprises mettent de l’avant des pères qui s’impliquent davantage. « Il y a des compagnies qui l’échappent parfois, mais souvent, elles sont rappelées à l’ordre », entre autres sur les réseaux sociaux. À preuve, la chaîne allemande de supermarchés Edeka a récemment fait l’objet de critiques virulentes après avoir diffusé une publicité mettant en scène des pères incapables de se servir d’un mélangeur et de brosser les cheveux de leur fille…

Sonya Bacon

Un changement de direction que confirme Sonya Bacon. La directrice générale de Dada, une agence de marques québécoises, baigne dans le milieu de la publicité depuis plus de 20 ans. Encore aujourd’hui, note-t-elle, des annonceurs veulent des publicités sur la maternité qui mettent en scène des femmes âgées de 25 à 34 ans. « Mais on influence beaucoup nos clients, en leur disant que c’est plus ou moins vrai. »

Parmi les publicitaires qui travaillent pour elle, il y a beaucoup de jeunes parents, qui veulent éviter les clichés. Selon Sonya Bacon, un virage s’est amorcé dans son domaine depuis quelques années. « On a un poids, on a une responsabilité, et on ne peut plus être à la remorque de ces clichés. Au contraire, je pense qu’on a un vecteur puissant pour envoyer de bons messages, et je pense que les clients le comprennent. »

Au-delà de la publicité

Toute cette publicité plutôt « mamancentrique » révèle cependant des problèmes plus larges. Selon la sociologue Valérie Harvey, ces publicités contribuent à la charge mentale des femmes. « C’est la pression de savoir, parmi tous les produits qui te sont présentés, lequel est le bon », ce qui sous-entend aussi de la recherche et des échanges avec d’autres mères. Et même si les pères prennent davantage leur place dans la parentalité, la charge mentale demeure une « montagne » à déconstruire.

Même la publicitaire Sonya Bacon est d’accord : des publicités stéréotypées vendent l’idée de la mère qui fait tous les bons choix. « C’est pour ça que je suis contre ce genre de pub. Ça augmente énormément l’anxiété. Il y a une représentation de la perfection là-dedans. Je suis pour une approche plus authentique. »

De son côté, Samuel Tremblay estime que cette fameuse charge mentale doit être évoquée par les deux parties de l’équation dans la parentalité. « Il faut que les papas en parlent aussi, c’est un dialogue. »

Selon l’autrice du livre Maternité, la face cachée du sexisme, Marilyse Hamelin, les publicités destinées aux mères reproduisent le sexisme structurel de la société, où la mère est considérée comme le parent par défaut. « Ce sont les femmes qui vont les faire, ces achats-là », dit-elle, avant d’ajouter que ces idées reposent aussi sur la perception selon laquelle les femmes sont naturellement plus aptes à prendre soin des enfants. « Il faut valoriser davantage la paternité et les compétences parentales du père », explique Marilyse Hamelin, qui est d’ailleurs loin d’être optimiste. « Je ne vois pas le bout de ça », laisse-t-elle tomber.

Bien entendu, des mois après la naissance de mon fils, je continue de voir les publicités qui s’adressent aux femmes quand je fouille le Web. Maintenant que je suis conscient des enjeux, je tente de remplacer mentalement le mot « mère » par « parent », et ça remet les choses en perspective. Qui sait, d’ici à ce que mon fils soit plus vieux, peut-être que la parentalité sera plus égalitaire, même en publicité?