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Parité en cinéma?

Le travail des réalisatrices sous les projecteurs

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Bonne nouvelle : les femmes prennent de plus en plus de place en cinéma. Le travail des réalisatrices se retrouve sous les projecteurs cet automne grâce au labeur de l’organisme Réalisatrices Équitables, mais aussi à la faveur de la programmation du Festival Cinemania, qui fait la part belle aux femmes de l’industrie. Tour d’horizon.

Fruit de nombreuses années de travail, Réalisatrices Équitables a récemment lancé une plateforme Web qui rassemble des statistiques et des dates clés qui témoignent de l’avancée des réalisatrices au Québec. Avec ses chiffres mis à jour régulièrement, cette nouvelle ressource, unique, se veut au diapason de la situation des femmes dans l’écosystème cinématographique.

Né en 2007, Réalisatrices Équitables n’a depuis cessé de faire valoir le travail des femmes cinéastes. « Chaque année, on compile et on analyse les chiffres pour voir comment la situation évolue. En 2016, plusieurs institutions, dont l’ONF et Téléfilm Canada, ont instauré des mesures de parité. La SODEC a suivi en 2017 et ces trois institutions se sont donné comme objectif d’atteindre la parité en 2020, explique Anik Salas, présidente de l’organisme. Au début de l’année 2020, on voyait arriver cette date butoir et on a voulu marquer le coup. »

Ce nouvel outil de visualisation de données, baptisé La part des réalisatrices, offre une navigation fluide et ludique à travers l’évolution des statistiques. On y retrace également l’histoire de quelques pionnières du cinéma au Québec, ce qui nous permet de mieux saisir l’ampleur du chemin parcouru.

« C’est un peu froid et aride, les chiffres, on le sait! C’est pour ça qu’on voulait une manière sympathique de les présenter. Car derrière les statistiques, il y a des histoires, des femmes, des réalités et c’est ça qu’il faut comprendre », affirme Anik Salas, qui a reçu plusieurs commentaires enthousiastes depuis la mise en ligne.

Cerner les enjeux

Anik Salas

Anik Salas estime qu’il est essentiel que les gens comprennent combien la parité est importante et pourquoi il faut avoir accès à plus de films faits par des femmes. En effet, lorsque les réalisatrices sont aux commandes, on voit plus de premiers rôles féminins à l’écran, davantage de rôles féminins parlants et plus de femmes dont l’âge dépasse 35 ans.

« Il faut qu’on ait accès à plusieurs imaginaires : les femmes ont des choses à raconter, elles n’ont pas le même vécu ni le même point de vue. Ce que nous voyons sur nos écrans a une grosse influence sur nous. Ce n’est pas juste du divertissement, c’est une culture, on s’attache aux personnages, aux valeurs. Oui, le public a un grand rôle à jouer dans ce changement de mentalités. »

Si les récentes statistiques sont encourageantes, la parité n’est pas encore atteinte et Anik Salas souligne que des bémols subsistent : les plus gros budgets sont rarement alloués aux femmes et il existe un manque flagrant de films réalisés par des femmes autochtones et issues de la diversité.

« Enfin cette année, des réalisatrices ont eu accès aux plus hauts budgets, autour de 2,5 millions. Il était temps qu’on voie ça! Mais encore faut-il qu’on s’intéresse aux films des réalisatrices chez les critiques, sur le plan du financement et de la distribution, pour que ces films rencontrent leur public autant que ceux des hommes. À chaque étape de la création d’un film, il y a des barrières pour les femmes. »

Un festival résolument féministe

Le vent du changement souffle en tout cas du côté du Festival Cinemania. Lors de sa prochaine édition, il présentera environ 40 % de films réalisés par des femmes. « C’est plus que l’an dernier, se félicite son directeur général, Guilhem Caillard. On est vigilants afin d’assurer une présence féminine sur plusieurs plans. Les projets et événements que nous organisons sont très souvent axés sur des femmes et particulièrement cette année. »

En effet, l’invitée d’honneur de cette édition, présentée en novembre, est la cinéaste et autrice Anaïs Barbeau-Lavalette. Pour l’occasion, l’équipe de Cinemania a réalisé un court documentaire qui met en valeur sa démarche et ses œuvres. Une projection, une rétrospective ainsi qu’une discussion en présence de l’artiste sont prévues à la Cinémathèque québécoise, un événement réalisé en collaboration avec Réalisatrices Équitables.

Un deuxième documentaire également produit par Cinemania s’intéresse aux productrices de Colonelle films (Une colonie, Like a House on Fire), à leur travail, à leur vision et aux problèmes qu’elles rencontrent en tant que femmes productrices de la relève.

Les plus gros budgets sont rarement alloués aux femmes et il existe un manque flagrant de films réalisés par des femmes autochtones et issues de la diversité.

Pour la toute première fois, l’événement a constitué un grand jury dont la présidente est Catherine Corsini. « C’est pour nous un geste fort puisque c’est une réalisatrice engagée et pionnière en France, qui a notamment traité d’enjeux LGBTQ+ », se réjouit Guilhem Caillard. Pour couronner le tout, le film d’ouverture du festival est Une révision de Catherine Therrien.

Selon Guilhem Caillard et la directrice des communications Anne de Marchis, ce désir de mettre les femmes à l’avant-plan n’est pas nouveau pour Cinemania. Si les réalisatrices étaient largement minoritaires il y a 15 ans, le festival s’est bâti en contrepoint de cette réalité.

« On voit qu’un changement total s’amorce. La critique Helen Faradji indiquait l’an dernier que lorsque les réalisatrices n’aborderont plus uniquement des sujets féministes dans leurs films, on aura gagné le combat. Et on s’en rend compte notamment dans les grands festivals : les femmes se démarquent et s’approprient de plus en plus de thématiques », ajoute Anne de Marchis.

Citons au passage l’engagement du Festival du nouveau cinéma de Montréal, qui est signataire de la Charte pour la parité et la diversité dans les festivals de cinéma, d’audiovisuel et d’image animée, portée depuis 2018 par le Collectif 50/50.

Vers une parité pérenne?

« Il semble y avoir un changement réel, abonde Anik Salas. Mais le bémol qu’on met chez Réalisatrices Équitables, c’est qu’il faut que ces avancées soient durables. En ce moment, il y a un intérêt pour les artistes féminines et pour une autre vision. Les femmes gagnent des prix, on les voit… Mais gardons en tête que tout ça n’est pas arrivé par magie. Nous, ça fait 14 ans qu’on travaille à sensibiliser le milieu et les institutions. »

La présidente se plaît à rappeler l’existence, dans les années 70, du Studio D à l’ONF, un studio subventionné de production féministe. « On s’était dit : ça y est, elles ont pris leur place… Et bien non! Il aura fallu attendre 2016 pour avoir des budgets et être financées dans nos projets. »

Selon Anik Salas, le nouvel outil de Réalisatrices Équitables est un témoin tangible de cette évolution, une référence pour le public, les médias et l’industrie. « Pour qu’on puisse mesurer et se rendre compte : est-ce qu’on garde le cap, est-ce que c’est pérenne? »

Festival Cinemania*

Six films de réalisatrices à ne pas manquer

  • Marcher sur l’eau, d’Aïssa Maïga (documentaire)
  • Une révision, de Catherine Therrien (fiction)
  • L’événement, d’Audrey Diwan (fiction)
  • Nous, d’Alice Diop (documentaire)
  • Bonne mère, de Hafsia Herzi (fiction)
  • Suprêmes, d’Audrey Estrougo (fiction)

* Du 2 au 14 novembre en salles et du 2 au 21 novembre en ligne.