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Grossesse et adoption : peut-on parler de libre choix?

Regard sur une option encore stigmatisée

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Temps estimé de lecture :5 minutes

Bandeau :Photo : © Lucas Favre (unsplash.com)

Au Québec, pour une femme ayant une grossesse non planifiée, trois options se présentent à elle : garder l’enfant, avorter ou mener la grossesse à terme afin de faire adopter l’enfant. Pourtant, si cette troisième option est largement méconnue – autant des femmes que du système de santé –, c’est qu’un stigmate existe encore sur ce libre choix, plus de 30 ans après la légalisation de l’avortement. Pendant ce temps, de nombreuses familles québécoises qui désirent adopter ici sont contraintes de patienter, parfois de longues années.

Chaque année, pour un enfant mis en adoption à la naissance, plus d’une centaine de familles espèrent patiemment être les prochains parents élus. De 5 à 10 ans d’attente, c’est le délai auquel font face les nombreux couples qui désirent bâtir une famille grâce à l’adoption québécoise.

Pour la travailleuse sociale Kim Vaillancourt du Service de l’adoption québécoise, ces délais énormes découragent bien des gens qui, au bout de longues années d’attente, ont parfois fait le deuil de la parentalité. « L’adoption québécoise est rarement la première option que les gens choisissent. Ils sont d’abord allés en clinique de fertilité, où ils ont dépensé beaucoup d’argent. Quand ils en arrivent à l’adoption québécoise, ils sont souvent déjà assez âgés », affirme celle qui a accompagné de nombreuses familles à l’adoption.

Un fonctionnement méconnu

Si les années d’attente sont longues, ce n’est pas parce que les femmes ayant des grossesses non planifiées sont peu nombreuses. Seulement au Québec, 21 778 avortements ont eu lieu en 2020, contre 23 837 en 2019.

Ludivine Tomasso-Guez

Selon Ludivine Tomasso-Guez, chargée de projet à la Fédération du Québec pour le planning des naissances, si l’on doit se réjouir des progrès en matière d’avortement (qui n’est légal au Canada que depuis 1988), il est essentiel que toutes les options soient présentées pour que l’on puisse parler de libre choix. « Au Québec, il y a beaucoup de points de service pour l’avortement, c’est un service qui est plus accessible que l’adoption. »

Tellement accessible que même un avortement tardif est pris en charge financièrement par l’État québécois. Pour les grossesses dépassant les 24 semaines, les patientes sont envoyées dans des cliniques spécialisées aux États-Unis, notamment au Colorado ou à New York. Les frais de l’opération, qui peuvent atteindre les 20 000 $, sont assumés entièrement par le Québec.

Durant la première vague de la pandémie, la fermeture des frontières s’est fait ressentir : de nombreuses femmes qui auraient normalement eu recours à ce service ont dû se tourner vers l’adoption. Pour la région de Laval seulement, la première vague de COVID-19 aura été synonyme d’une augmentation de 500 % des mises en adoption par rapport à l’année précédente.

Selon Kim Vaillancourt, il est clair que l’accent mis sur chacune des options n’est pas réparti également. « Ce que je constate, c’est que l’on parle d’adoption quand l’avortement n’est plus une option. Pour nous, c’est important que l’adoption soit bien expliquée. Les femmes s’attendent souvent à ce que ce soit un processus lourd, tandis que dans les faits, ce ne l’est pas. Elles n’ont pas besoin de se présenter au tribunal. »

Déconstruire la « bonne » maternité

En plus de la méconnaissance liée à l’adoption, Kim Vaillancourt croit qu’un stigmate social existe autour de la question. « Socialement, avorter est mieux vu que de donner son bébé en adoption. À une femme qui se fait avorter, on va dire qu’on la comprend, qu’elle ne pouvait pas s’en occuper. Mais une femme qui signe un consentement à l’adoption, culturellement, c’est très peu valorisé », affirme la travailleuse sociale.

Au Québec, la maternité est une norme. Si l’on remarque une diminution du taux de natalité depuis les dernières années, la pression faite aux femmes n’a pas pour autant baissé. « L’adoption est très taboue dans notre société. C’est comme si on s’attend à ce qu’une femme aime automatiquement son enfant, qu’elle veuille absolument être mère », remarque Kim Vaillancourt. Même constat chez Ludivine Tomasso-Guez : « Du côté médical et social, l’injonction à la maternité nous force à dire : “Vous avez mené votre grossesse à terme, vous êtes mieux de garder l’enfant et de l’élever.” »

« Socialement, avorter est mieux vu que de donner son bébé en adoption. Une femme qui signe un consentement à l’adoption, culturellement, c’est très peu valorisé. »

– Kim Vaillancourt, travailleuse sociale

Dans son travail, Kim Vaillancourt constate qu’un autre enjeu agit sur le choix des femmes, soit la fausse association qui est faite entre adoption et abandon. Convaincue que cette mentalité est à déconstruire, elle défend le fait que l’adoption est avant tout un geste d’amour.

Des barrières structurelles

« Moi, je l’ai fait, mon deuil de tomber enceinte. Mon projet, maintenant, c’est d’adopter. » Selon Caroline Nantel, qui est en attente d’adoption depuis les six dernières années, les préjugés rattachés à l’adoption nuisent à la liberté de choix des femmes. « Quand on pense à la DPJ, on pense “famille d’accueil” et “enfants à problème”. Il y a une désinformation autour de tout ça. Beaucoup de femmes croient qu’en mettant leur enfant en adoption, il se promènera de famille d’accueil en famille d’accueil. »

Après avoir tenté sans succès l’insémination artificielle, Caroline et son conjoint se sont tournés vers l’adoption québécoise, conscients que l’attente serait longue. « J’ai l’impression qu’il y a un lien qui ne se fait pas. En tant que famille prête à adopter, on a reçu l’information. Mais pour les femmes qui souhaitent mettre un enfant en adoption, l’information peine à être communiquée. »

Au sein de la Fédération du Québec pour le planning des naissances, l’option est toujours présentée aux femmes, bien que le regroupement féministe admette qu’il existe moins d’information sur le processus de mise en adoption. « Comme il y a moins de demandes, il y a moins de directions. Je ne sais pas de quel côté est le rapport de cause à effet, mais c’est évident que c’est un choix marginal qui doit être abordé davantage », constate Ludivine Tomasso-Guez.

Un système encore fragilisé

Mais qu’en est-il de l’accompagnement réel prévu pour les femmes qui souhaitent recourir à l’adoption? Chaque région possède son service de l’adoption et gère sa propre liste d’attente. Du côté du CISSS des Laurentides, le Service de l’adoption met à la disposition des femmes enceintes une équipe d’infirmières qui les accompagnent dans leur réflexion et dans leur prise de décision. « Une ou deux rencontres, en plus d’une référence personnalisée, peuvent être prévues pour effectuer un suivi psychosocial à plus long terme », témoigne Marie-Christine Gareau, agente d’information du CISSS.

Bien qu’un environnement qui se veut sans jugement soit créé pour ces femmes souhaitant faire adopter leur enfant, une fois l’accouchement passé, elles sont forcées de retourner rapidement à leur vie normale. Elles ne reçoivent pas d’aide financière et n’ont pas droit au congé parental.

« On se bat beaucoup pour le droit des femmes, pour le droit à l’avortement. Mais pour être pro-choix, il faut présenter et rendre accessibles toutes les options », affirme Caroline Nantel. Si l’avortement est aujourd’hui accessible au Québec, c’est grâce au travail de nombreuses femmes qui ont su lever le voile sur cette pratique.

Selon Ludivine Tomasso-Guez, un travail similaire est maintenant à faire avec l’adoption, et il est primordial de réfléchir collectivement aux barrières systémiques et aux préjugés qui peuvent nuire au véritable libre choix.