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Féministe et queer : le nouveau visage du rabbinisme en Allemagne

Helene Shani-Braun, la plus jeune rabbine de l’histoire du pays?

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Temps estimé de lecture :5 minutes

Bandeau :Photo : Helene Shani-Braun – Courtoisie Monty Ott

Helene Shani-Braun pourrait bientôt devenir la plus jeune rabbine de l’histoire de l’Allemagne. À 23 ans, elle tend la main à la jeunesse et affirme ses préoccupations pour redonner goût aux traditions. Portrait d’une jeune féministe pour qui religion peut rimer avec identité LGBTQ+.

Entre deux stations de métro, Helene Shani-Braun note sur son téléphone de courts textes inspirants qu’elle publiera plus tard sur son compte Instagram. Comme bien d’autres de sa génération, la jeune femme peut passer des heures sur les réseaux sociaux. Mais jamais le samedi, jour de repos dans la tradition juive. « Quand c’est shabbat, je ne regarde pas du tout mon cellulaire. Il est là juste pour les urgences », assure-t-elle, attablée à la terrasse d’un café de l’ouest de Berlin.

Avec ses cheveux courts, ses perçages et son manteau de cuir noir typique de l’accoutrement berlinois, Helene rompt avec l’image traditionnelle du chef spirituel. Par sa pratique religieuse aussi, qu’elle partage sur les réseaux à coups de photos, dans l’espoir de donner aux jeunes l’envie de renouer avec le judaïsme.

Helene Shani-Braun

Et pour cause. En Allemagne, depuis 2006, la communauté juive décroît d’environ mille membres annuellement. Un nombre important pour une petite communauté, qui ne comptait que 93 695 personnes en 2020 selon le site allemand Statista. Cette population est vieillissante, et son taux de natalité trop bas.

Toutefois, grâce aux réseaux sociaux, Helene parvient à susciter la curiosité de jeunes Juives et Juifs de troisième génération, souvent issu·e·s de familles où la religion a été abandonnée à la suite des traumatismes de la Shoah.

« On m’écrit pour me raconter des histoires très personnelles, comme par exemple : “Ma grand-mère était juive, et maintenant, toute cette culture est disparue. Je t’ai trouvée sur Instagram et j’aimerais apprendre. Peux-tu m’aider?” », relate celle dont la grand-mère a survécu à l’Holocauste. La jeune femme leur recommande alors des lectures, des séries télévisées, et propose même des séances de discussion en ligne, pour les guider vers des synagogues ou des rabbins de leur région susceptibles de les aiguiller.

Car pour apporter un nouveau souffle à l’identité juive en Allemagne, il faut raccrocher la jeunesse. Précisément la mission que s’est donnée Helene Shani-Braun. « Dans la communauté, la majorité des gens sont âgés de 60 ou 70 ans. Il faudrait réunir les enfants et les jeunes et leur demander : “Vous, de quoi avez-vous envie?” Peut-être pas de célébrer le culte comme ça se fait depuis 2 000 ans… »

Ouvrir le dialogue

Si la popularité de la religion juive est faible auprès des jeunes, c’est aussi parce que certains enjeux qui les préoccupent sont peu discutés dans les communautés. Comme la diversité sexuelle. Une réalité à laquelle Helene a dû faire face. « Dans la synagogue où j’ai grandi, à Hanovre, c’était très libéral. Ce n’était pas un problème pour ma famille. Malgré cela, il m’a toujours manqué quelqu’un avec qui parler de mon identité queer. »

Pour éviter que d’autres se retrouvent dans cette situation, Helene donne de son temps à l’association Keshet Deutschland (« arc-en-ciel » en hébreu), un point de rencontre pour la jeunesse juive issue de la diversité sexuelle fondé à Berlin en 2018. « Plusieurs personnes juives et LGBTQ+ ne savent pas que ces deux aspects sont compatibles. On ne devrait pas avoir à choisir entre son identité juive et queer. »

Cette vision s’inscrit dans l’air du temps, dans une Allemagne où plusieurs communautés font l’effort d’inclure les personnes LGBTQ+. En Bavière, des prêtres catholiques bénissent désormais les couples de même sexe, défiant la position officielle du Vatican. À Berlin, la mosquée féministe Ibn Rushd-Goethe, qui se définit comme un espace sécuritaire pour les personnes musulmanes issues de la diversité sexuelle, a ouvert ses portes en 2017.

Rabbinisme et féminisme

Ces principes guideront aussi le travail d’Helene après l’obtention de son diplôme en études rabbiniques du séminaire libéral Abraham Geiger Kolleg de Potsdam. Tout comme ses convictions féministes, qui teintent sa lecture des textes religieux. « J’aimerais parler aux jeunes des femmes fortes de la Torah, comme Myriam, la sœur de Moïse, une figure marquante, une leader, une prophétesse, ou des personnalités importantes de l’histoire juive, et pas seulement des hommes! » s’exclame-t-elle en riant.

La future rabbine a d’ailleurs tout appris d’une figure féminine centrale : sa mère. C’est à ses côtés qu’Helene a célébré toutes les fêtes juives, observé le shabbat et eu ses premiers contacts avec les récits de la Torah. « C’est à la maison que j’ai appris les bases », raconte celle qui a ensuite voulu approfondir ses connaissances religieuses dans le cadre de ses études.

Il n’en demeure pas moins que faire sa place en tant que femme est un défi dans le monde des études rabbiniques. « Lorsque tu es est la seule femme, c’est souvent impossible de parler », relève Helene, qui étudie majoritairement avec des hommes âgés de 40 à 50 ans.

Être juive dans l’Allemagne d’aujourd’hui

Et le rôle d’une rabbine en 2021? « Simplement être là et écouter », répond sobrement la jeune femme. Outre la célébration du shabbat, les différents rites de passage et l’accompagnement à travers le deuil, sa mission serait donc de tendre l’oreille. « À notre époque, tout est frénétique : tu dois avoir ton cellulaire, répondre à tes courriels et, en temps de corona[virus], il faut être sur Zoom… Parfois on ne se rend pas compte que ça ne va pas bien. »

« Plusieurs personnes juives et LGBTQ+ ne savent pas que ces deux aspects sont compatibles. On ne devrait pas avoir à choisir entre son identité juive et queer. »

– Helene Shani-Braun

C’est là que la spiritualité peut aider. Helene affirme d’ailleurs avoir bien traversé la pandémie, justement grâce à sa vie spirituelle. « Je connais bien les prières, car je les ai étudiées; je sais quoi lire pour me sentir mieux, comment méditer, où trouver ma paix », explique la rabbine en devenir, qui espère pouvoir à son tour aider les gens à trouver la leur.

Reste que cette sérénité pourrait être troublée, car dans une Allemagne où le spectre de l’antisémitisme plane toujours, s’afficher comme personne juive comporte son lot de risques. Dans la foulée des violences du printemps dernier au Proche-Orient, la communauté d’où Helene est originaire a été la cible de menaces. « On a reçu un appel anonyme d’une personne qui disait qu’il allait faire exploser la communauté. » Heureusement, la jeune femme n’a encore reçu aucun contenu haineux sur les réseaux sociaux. « J’ai beaucoup de chance, mais ça pourrait vite en être autrement. »

N’empêche, Helene Shani-Braun demeure convaincue que sa culture a beaucoup à apporter à la société allemande, notamment sur le plan des valeurs. « Comment nous nous traitons les uns les autres, comment nous abordons la question de la durabilité, la valeur fondamentale de tikkoun olam (“réparation du monde” en hébreu), qui signifie améliorer le monde un petit peu chaque jour… Il y a beaucoup de choses à apprendre », conclut-elle avant de repartir vers la station de métro Adenauerplatz.

En jetant un coup d’œil à son cellulaire, la future plus jeune rabbine de l’histoire de son pays se dirige vers ce lieu nommé en l’honneur du tout premier chancelier de la République fédérale allemande, Konrad Adenauer. D’un pas décidé, prête à forger, à sa manière, l’Allemagne de demain.