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Les pères et les mères jouent-ils un rôle semblable ou différent ? Visions croisées de deux experts.

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Les pères et les mères jouent-ils un rôle semblable ou différent ? Visions croisées de deux experts.

Daniel Paquette est chercheur à l’Institut de recherche pour le développement social des jeunes, à Montréal. Auteur de plusieurs travaux liés au développement des enfants en difficulté, ce spécialiste s’intéresse depuis plusieurs années à l’impact de la relation paternelle sur l’enfant.

Certains chercheurs perçoivent peu de différences entre les apports du père et de la mère. Quelle est votre position ?

Je ne suis pas d’accord. Des chercheurs arrivent à cette conclusion parce qu’ils utilisent la mauvaise grille de lecture : ils plaquent sur la relation père-enfant la méthodologie utilisée pour étudier la relation mère-enfant. Plus précisément, ils ont appliqué la théorie de l’attachement. L’attachement est un mécanisme biologique présent chez tous les mammifères, y compris l’humain. Pour assurer son équilibre futur, le petit doit développer un sentiment de sécurité en créant une relation d’attachement avec un adulte, auprès de qui il ira chercher réconfort, protection, stabilité, etc. Cette fonction est généralement assumée par les mères. En utilisant la théorie de l’attachement pour le père, on a trouvé qu’il n’apportait rien de vraiment différent. Normal, on n’avait pas le bon instrument de mesure !

Voilà pourquoi j’ai élaboré la « relation d’activation », la première théorie fondée spécifiquement sur la relation père-enfant.

Comment opère la relation d’activation ?

L’attachement de l’enfant à sa mère se passe essentiellement en mode passif. Quand le petit a besoin de caresses ou de réconfort, il va vers sa mère, puis retourne explorer. Mais le parent peut aussi jouer un rôle actif durant l’exploration. C’est la relation d’activation : ce moment où le parent stimule l’enfant, ce qui l’aidera à accroître son autonomie et sa confiance en lui. Cette fonction est plutôt assumée par le père.

Les pères sont davantage des preneurs de risques. Ils auront tendance à pousser l’enfant à aller plus loin, à oser. Surveillez ce qui se passe quand un enfant grimpe dans une structure de jeu au parc. La mère se postera généralement en dessous, bras tendus, au cas où… Le père, lui, restera probablement à l’écart, mains dans les poches. Il envoie à l’enfant le message qu’il le croit capable de faire face au risque.

Les hommes se livrent plus à des jeux de tiraillage et de combat corps à corps, qui permettent aux enfants de développer leur esprit de compétition, de se mesurer. Bref, ils les préparent à la vie en société. Avant, les pères jouaient rarement de cette façon avec leurs petites filles. Ils le font de plus en plus. Ils pressentent, de façon inconsciente bien sûr, que les filles ont désormais besoin de ces compétences pour réussir leur vie.

Même lorsqu’il change une couche, le père est plus « brasseux » que la mère. L’enfant reçoit des messages différents et c’est bien ainsi. Je n’adhère pas à la théorie voulant que la mère doive être davantage là au début et ensuite le père. Les deux doivent être présents dès le départ. Pour bien se développer, un enfant a besoin à la fois de sécurité et d’activation.

Mais les mères ne font-elles pas de l’activation à leur façon

Parfois. Mais l’activation du père semble avoir un effet plus intéressant. Notamment parce qu’il a moins tendance que la mère à laisser gagner l’enfant. Le défi à relever devient plus grand et le jeu plus stimulant.

Par ailleurs, une question se pose : la mère peut-elle à la fois faire de l’activation, qui sous-entend une prise de risque, et procurer à son enfant la sécurité de base ? Je ne crois pas.

D’autre part, la différence sexuelle la mieux connue est l’agressivité. Parce qu’il sait de quoi il en retourne, le père est donc souvent le mieux placé pour aider l’enfant à maîtriser son agressivité et à contrôler ses impulsions en situation de conflit.

Mon hypothèse est la suivante : la fonction d’activation est surtout adoptée par les pères et la fonction de sécurité de base l’est surtout par les mères. Cela en irrite plusieurs, je le sais. Les gens sont prêts à admettre que les hommes et les femmes sont différents au plan physiologique et hormonal, mais ça bloque quand on arrive aux comportements, qui seraient uniquement culturels. Faux : tout comportement est un mélange d’inné et d’acquis.

Qu’arrive-t-il dans les rares cas où c’est le père qui demeure à la maison dans les premiers temps de la vie ?

Même s’il donne les soins, il continue à faire plus de jeux de contacts physiques que la mère. Et les mères qui travaillent à l’extérieur ne changent pas leur comportement pour autant, sauf exception.

Que se passe-t-il si l’enfant ne bénéficie pas de relation d’activation ?

Il pourrait souffrir d’un manque pour tout ce qui touche l’ouverture au monde : avoir des problèmes de violence, de décrochage scolaire, d’insertion sur le marché du travail, etc.

Que doivent retenir les parents ?

Que leur apport est complémentaire. Les pères n’ont pas à s’occuper des enfants comme une seconde mère. Il ne s’agit pas de dire aux parents ce qui est normal ou non selon le sexe. Je ne prétends pas que les rôles parentaux soient coupés au couteau. Chacun doit aller vers ce qui lui semble le plus confortable. Cependant, il y a de bonnes chances que le père et la mère soient à l’aise dans des zones complémentaires.

Michael Lamb est psychologue à l’Université Cambridge en Angleterre. Le chercheur s’intéresse depuis plus de 30 ans au thème de l’attachement du jeune enfant à son père et à sa mère. Plusieurs le considèrent comme le « père » des recherches liées à la paternité.

Selon vous, il existe peu de différences entre les rôles des deux parents.

En effet. Au cours des années 1970, j’ai mené des études qui ont mis en lumière les différentes façons d’agir des pères et des mères. À cette époque, on évaluait que cela pouvait jouer un rôle clé dans le développement de l’enfant, notamment la façon dont le père se comportait avec lui. Quand il s’adonnait à des jeux de bataille, par exemple, l’enfant en retirait quelque chose de déterminant pour la construction de son identité. Ce genre de contact est bon, sauf que je suis maintenant certain que cette façon d’interagir n’est pas inscrite dans les gènes des pères.

Des études ont montré qu’en Suède, dans certaines parties de l’Inde et de l’Afrique, ou encore en Israël, les pères n’interagissent pas ainsi avec leur enfant. Leur style de jeux se compare plutôt à celui des mères. On pose donc comme universelle une différence père-mère qui ne l’est tout simplement pas.

Donc, un père et une mère fournissent plus ou moins la même chose à leur enfant ?

Oui. Ils auront une relation différente avec lui parce que tous les êtres humains agissent différemment, non à cause de leur sexe. En Amérique du Nord ou dans le monde occidental en général, la différence père-mère est peut-être marquée, mais elle reste néanmoins culturelle.

Bon nombre de nos attentes et de nos croyances ont évolué au cours des 30 dernières années. Des changements majeurs sont survenus dans le partage des tâches parentales. Avant, un père ne changeait jamais une couche; maintenant, s’il ne le fait pas, il sera embarrassé de l’avouer !

Rien ne dit qu’un enfant pâtira si ses parents ne se conforment pas à un modèle. Une seule chose est sûre : si le père s’implique autant que la mère, l’enfant sera gagnant.

Justement, des chercheurs estiment que même dans des gestes quotidiens comme changer une couche, les pères et les mères s’y prennent autrement. L’enfant bénéficierait de ces contacts différents, l’un plus enveloppant, l’autre plus stimulant.

Vous savez, je n’ai pas changé mon premier fils comme j’ai changé mon dernier. Je ne pense pas que leur identité en ait souffert. Encore une fois, je n’adhère pas à cette idée de parler en bloc des pères et des mères. Chaque parent est unique.

Les mères sont-elles prêtes à accepter qu’un père puisse offrir à l’enfant la même chose qu’elles ?

On touche ici un point crucial. Les femmes ont une attitude mixte : elles souhaitent que le père s’engage, sauf qu’elles trouvent difficile de céder du terrain dans un champ considéré comme le leur. Les pères aussi sont tiraillés. Ils veulent s’investir davantage que leur propre père, mais sont souvent peu chauds à l’idée d’assumer les responsabilités qui s’ensuivent. Il y a ambivalence des deux côtés. Chacun ne perçoit pas encore clairement ce qu’il a à gagner ou à perdre dans le nouveau partage. Voilà pourquoi les choses évoluent lentement…

Quel message les parents doivent-ils retenir ?

Chacun doit se comporter de façon authentique. Un père ressent le besoin d’agir de façon dite plus masculine ? Parfait. Si un autre ne le sent pas ainsi, il ne doit pas se percevoir pour autant inadéquat. Les recherches qui tentent de cerner les meilleures conditions de développement de l’enfant arrivent en général aux mêmes conclusions : il a besoin que ses parents entretiennent avec lui une vraie relation, qu’ils soient responsables et se dévouent pour lui. L’essentiel se résume à une chose : une parentalité de qualité. Point. En mettant l’accent sur les différences, on risque de perdre cela de vue.