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Małgorzata Wołyńska : la « mamie polonaise » de tous les combats

Féministe et humaniste à la défense de l’État de droit

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Dissidente sous le communisme, féministe, militante prodémocratie : en Pologne, Małgorzata Wołyńska est une activiste de la première heure. Trente ans après la chute du Rideau de fer, c’est contre la dérive autoritaire du gouvernement national-conservateur du PiS, au pouvoir depuis six ans, que la septuagénaire déploie toute son énergie. Portrait.

Au pied d’une barre d’immeuble typiquement soviétique, ses couleurs politiques sont bien affichées, là‑haut, sur la fenêtre qui surplombe sa petite véranda. Ça et là, une étoffe de l’Union européenne, un drapeau arc‑en‑ciel, un autre à l’effigie du mouvement Strajk Kobiet (« Grève des femmes »), symbole de la défense du droit à l’avortement en Pologne… Il n’y a pas à dire, Małgorzata Wołyńska est une femme engagée, et son appartement, situé en lisière de Varsovie, en est la preuve.

« Ce sont des valeurs qui me sont chères. C’est dommage, je suis la seule à exposer des affiches militantes dans mon lotissement, explique-t-elle. Au moins, les voisins sont gentils avec moi, même s’il est déjà arrivé qu’une personne refuse d’entrer dans l’ascenseur avec moi à cause de l’épinglette prodémocratie que je portais! »

À la défense de l’État de droit

Małgorzata Wołyńska

Entre ses étagères débordant de bouquins, un recoin de salon dévoile la petite fierté de cette bibliothécaire à la retraite : sa collection de pancartes, brandies des centaines de fois depuis six ans en manifestation. « La vieillesse, c’est la liberté », « Éducation, contraception, choix », « Constitution! »… À 78 ans, Małgorzata – ou Gosia, pour les intimes – est de tous les combats, à commencer par la défense de l’État de droit. Elle en veut surtout au parti national-conservateur Droit et Justice (PiS) qui, depuis son retour au pouvoir en 2015, multiplie les atteintes à l’encontre de la séparation des pouvoirs en Pologne.

Que ce soit au nom de la liberté de presse, de l’indépendance de la justice, du climat, de la séparation entre Église et État ou de la cause LGBTQ+, Gosia n’hésite pas une seconde à faire entendre ses griefs. Voilà quatre ans qu’elle a rejoint les rangs des Polskie Babcie (« Mamies polonaises »), un regroupement informel de sexagénaires (et plus) remontées contre la politique « illibérale » du PiS.

Chaque jeudi, sur le coup de 16 h 30, beau temps, mauvais temps, Gosia Wołyńska retrouve la vingtaine de ses consœurs dans le centre de la capitale pour y battre le pavé. « Notre slogan à nous, les grands-mères polonaises, c’est “La force des sans-pouvoirs” », explique-t-elle, dans une allusion à l’essai éponyme du dissident tchèque Václav Havel, publié en 1978. « Nous nous battons aussi contre la fascisation de la Pologne, comme en organisant des contre-rassemblements face aux nationalistes. » Manifester au seuil des 80 ans, une opération risquée? « C’est pour mes petits-enfants que je fais tout cela, se justifie-t-elle. Si l’État de droit est garanti, alors tout le reste en découle, le droit pourra nous protéger. »

L’IVG jugée illégale

Plus récemment, c’est le droit des femmes à disposer de leur corps qui a donné le ton aux rassemblements hebdomadaires des Polskie Babcie. Le 22 octobre dernier, le Tribunal constitutionnel, inféodé au PiS, jugeait « illégale » l’interruption volontaire de grossesse (IVG) en cas de malformation du fœtus. Soit 98 % des avortements effectués légalement en Pologne tous les ans. Dans ce pays à majorité catholique, la restriction – entrée en vigueur fin janvier – a suscité cet automne la plus importante mobilisation depuis la chute du Rideau de fer.

Rejoindre la vague de contestation allait de soi pour Gosia, même en temps de pandémie. « Nous ne sommes pas révolutionnaires, on se bat pour récupérer ce qu’on nous a pris. À commencer par notre constitution, le droit à l’IVG : on ne traite pas la femme comme une citoyenne consciente de ses choix, on n’est pas traité comme un être humain, et c’est terrible. Ce gouvernement hait les femmes, ça se voit dans le discours des ministres. Ils veulent se retirer de la convention d’Istanbul. Et que dire du ministre de l’Éducation, une vraie catastrophe! » Pas plus tard que l’an passé, au sujet des homosexuel·le·s, ce dernier, Przemyslaw Czarnek, sommait d’ailleurs la population de « cesser d’écouter ces idioties sur de prétendus droits de l’Homme ou une prétendue égalité ».

C’est en face des tribunaux qu’est née cette solidarité entre « Mamies polonaises », ces dernières années, alors qu’une poignée de retraitées s’y rassemblaient régulièrement pour dénoncer la prise en main de l’appareil judiciaire. Gosia en faisait partie. Il n’a pas fallu longtemps avant que des amitiés se forgent. « Au début du premier mandat du PiS, nous étions partout, debout devant le Parlement, le Sénat, la Cour suprême… » En vain. Depuis 2015, l’indépendance de la justice s’est réduite comme peau de chagrin, l’audiovisuel public se fait le relais de la rhétorique gouvernementale, sans parler de l’accès à la contraception, plus limité que jamais.

« Notre café, c’était de la chicorée »

Fougueuse et déterminée, Gosia l’a toujours été. C’est dans une Pologne encore assiégée par la Wehrmacht que la septuagénaire voit le jour, en 1943. Les années se succèdent et la jeune Gosia – dont les parents, plutôt absents, confieront la garde à sa grand-mère maternelle – se découvre rapidement une passion dévorante pour la littérature. Une époque qui lui fait aussi connaître la dure réalité de l’après-guerre, celle des privations et d’une Varsovie ravagée par les combats.

Alors que la censure fait rage en République populaire de Pologne, Gosia refuse de céder à l’indifférence. Dissidente active, elle fait circuler cassettes et publications interdites par le régime.

« Ma grand-mère, croyante, louait des chambres en guise de gagne-pain. Je dormais dans le même lit qu’elle pour économiser des sous. Nous étions démunies, et je lisais beaucoup. Notre “café”, c’était de la chicorée maison. Je ramassais les restes alimentaires de mes camarades, jamais personne ne m’a rien dit. Et à 16 ans, avec ma première paye d’un camp d’été, j’ai pu m’acheter des livres. »

Des années plus tard, alors que la censure fait rage en République populaire de Pologne, Gosia refuse de céder à l’indifférence. Dissidente active, elle fait circuler de concert avec son défunt mari, lui aussi démocrate de la première heure, cassettes et publications interdites par le régime.

« Ce colportage était capital pendant la loi martiale (instaurée en 1981), surtout en l’absence d’Internet », raconte Gosia, qui ressort aussitôt l’une de ses fameuses cassettes clandestines, soigneusement rangées dans une armoire. « Cela nous permettait de savoir qui avait été arrêté, quand il y aurait des grèves… Nous faisions circuler ces informations dans toute la Pologne. » Sur la table de chevet de sa chambre douillette trône un exemplaire de Gazeta Wyborcza de la veille. Gosia a même un temps travaillé à l’administration de ce même quotidien ayant facilité la transition démocratique, en 1989.

Le moment est venu de glisser dans son sac son drapeau multicolore des Polskie Babcie, et de descendre à l’arrêt de bus. Direction le centre-ville pour l’immanquable rassemblement, en ce jeudi de mi-mai. Et en arrivant sur place, le petit cortège de s’exclamer : « Gosia, on t’attendait! »