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Carole David : écrivaine et poétesse essentielle

Récipiendaire du prix Athanase-David 2020

Date de publication :

Auteur路e :

Temps estimé de lecture :5 minutes

Bandeau :Photo : © Lëa-Kim Châteauneuf (Wikimedia Commons)

Carole David a remporté à l’automne 2020 le prix Athanase-David, qui récompense l’œuvre littéraire d’une vie. Une reconnaissance importante pour cette créatrice hors pair, qui n’a jamais cessé de creuser son sillon.

Que signifie pour vous le prix Athanase-David que vous venez de recevoir?

C’est une grande reconnaissance du milieu littéraire québécois, car ce sont nos pairs qui choisissent les récipiendaires. Certains membres du jury étaient issus de plus jeunes générations et je suis touchée de voir que mes livres ont un écho auprès d’elles. Je suis très heureuse, mais aussi, je dois l’avouer, un peu sonnée d’avoir reçu ce prix. C’est extraordinaire!

Pour qui écrivez-vous? Pensez-vous à un public en particulier lorsque vous créez?

J’ai publié mon premier livre à 33 ans. C’était de la poésie, et c’est ce que je voulais faire, pour moi d’abord. Bien que j’aie gagné avec ce livre le prix Émile-Nelligan, je savais qu’en écrivant de la poésie, je m’adressais à un lectorat très peu nombreux. En fait, j’ai toujours été consciente de cela.

Comment avez-vous commencé votre carrière d’écrivaine?

J’ai d’abord fait paraître des articles de journaux, puisque je voulais être journaliste. J’ai publié pour la première fois dans Spirale, une revue culturelle qui venait d’être fondée, et où on m’a donné ma chance. C’était la première fois que j’étais publiée. J’ai ensuite collaboré à des périodiques culturels, et j’ai aussi écrit au Devoir. Or, quand j’ai publié mon premier livre, j’ai dû abandonner le journalisme : je ne parvenais pas à faire les deux en même temps. Et depuis mon premier livre, j’ai toujours peur du jugement, peur de publier, de prendre une place.

J’ai encore ce souvenir très précis de ces « premières fois », avec la peur au ventre…

Croyez-vous que ce soit spécifiquement féminin?

En tout cas, je ne crois pas que les jeunes hommes qui écrivent aient aussi peur du jugement. Se faire publier, pour un homme, est peut-être plus une position « attendue », une posture qui ne surprend pas. Dans le milieu littéraire, j’étais entourée d’hommes pour qui s’exprimer publiquement et publier ne posait aucun problème. Soit, ils étaient un peu plus vieux, mais je crois que leur parole était davantage assumée. Ils se projetaient plus facilement dans un statut d’auteur. Moi, je ressentais plutôt le syndrome de l’imposteur. Même encore aujourd’hui!

Dans presque tous mes livres, je parle beaucoup des marginaux, des laissés pour compte, et pas seulement des femmes. Je m’étais même fait la réflexion que ce thème est tellement actuel qu’on aurait pu en parler lors de la remise du prix l’automne dernier. Mais j’ai été déçue de constater un grand silence autour de cette remise des Prix du Québec.

À propos de votre œuvre, la critique évoque au fil des ans votre vision du féminin, à travers vos personnages. Pourtant, à relire vos livres aujourd’hui, ce qui frappe, c’est plutôt leur portée politique. Qu’en pensez-vous?

C’est assez clair, en effet. Dans presque tous mes livres, je parle beaucoup des marginaux, des laissés pour compte, et pas seulement des femmes. C’est sûr que ce thème de la pauvreté, des enjeux liés aux classes sociales, est un sillon tout au long de mon parcours. Je m’étais même fait la réflexion que ce thème est tellement actuel qu’on aurait pu en parler lors de la remise du prix l’automne dernier. On aurait pu profiter de cette occasion pour aborder les inégalités politiques et sociales, qui sont des sujets centraux pour moi. Mais j’ai été déçue de constater un grand silence autour de cette remise des Prix du Québec.

Vous puisez beaucoup d’inspiration dans l’actualité, si l’on se fie aux sujets de vos livres : l’abandon familial, la violence, les conditions féminines… Des sujets que vous abordez depuis vos débuts.

Je suis très intéressée par les journaux, et passionnée d’information. Je crois pouvoir dire que pas grand-chose ne passe inaperçu à mes yeux. Et d’ailleurs, ça me permet de voir aussi que les femmes en littérature sont encore bien peu représentées. On les passe sous silence encore plus quand elles ne sont pas de nouvelles venues…

Vous êtes-vous sentie interpellée lorsque des femmes du milieu de l’édition, au Québec, sont sorties de l’ombre l’été dernier pour dénoncer les pratiques de harcèlement dont elles se disent victimes?

J’ai connu cette culture de harcèlement et de violence dans le milieu de l’édition, dans lequel j’évoluais alors que j’étais jeune femme. Des choses que j’ai vues ne seraient plus acceptées aujourd’hui. Ma vie n’était faite que de ça : harcèlement et abus de pouvoir, comme beaucoup de femmes de ma génération.

Lors d’une conversation avec ma fille, je lui expliquais que j’avais développé des façons de me défendre, dans la rue jusqu’aux shops de guenille où j’ai travaillé, et même dans le milieu de l’éducation. Naïvement, je pensais que tout cela allait disparaître quand je serais prof, mais pas du tout. Et ça m’a énormément déçue.

Bien sûr, nous, femmes de cette époque, sommes passées à travers, mais… à quel prix?

Carole David est née à Montréal en 1955, à Rosemont, quartier que l’on retrouve parfois mis en scène dans ses textes, tout comme ses origines italiennes (Impala, roman publié en 1994, traduit en italien et en anglais). Autrice de récits, de nouvelles et de romans, elle a publié une dizaine de recueils de poésie dont le premier, Terroristes d’amour, lui a valu le prestigieux prix Émile-Nelligan (1986)

Son œuvre poétique est jalonnée de reconnaissances critiques, dont le prix Alain-Grandbois, en 2011, pour son Manuel de poétique à l’égard des jeunes filles. Récipiendaire du Grand Prix du Festival international de la poésie et du Prix des libraires pour L’année de ma disparition, en 2015, elle a également reçu en 2019 le Grand Prix du livre de Montréal pour Comment nous sommes nés. Elle a été plusieurs fois finaliste aux Prix du Gouverneur général.

La critique relève dans l’œuvre de l’écrivaine un regard singulier sur la société et la condition féminine, mais aussi sur l’Amérique, sa culture populaire et sa littérature. Carole David est titulaire d’un doctorat en création de l’Université de Sherbrooke. Elle a fait carrière comme enseignante au cégep du Vieux Montréal, après avoir tenu des chroniques littéraires et culturelles dans diverses revues et au quotidien Le Devoir. Ses livres sont principalement publiés aux Éditions Les Herbes rouges.