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Progressiste un jour…

Sur la galerie de sa maison de l’île d’Orléans, face au fleuve, j’ai rencontré Jean-Claude St-Amant, qui vient de publier Les Garçons et l’école.

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Sur la galerie de sa maison de l’île d’Orléans, face au fleuve, j’ai rencontré Jean-Claude St-Amant, qui vient de publier Les Garçons et l’école. Les oiseaux pépient dans mon bureau tandis que j’écoute l’entrevue réalisée avec ce passionné de réussite scolaire et de justice sociale. Ancien professeur — il faisait partie du groupe de recherche La maîtresse d’école, qui a inventé la pédagogie progressiste dans les années 1970 —, l’homme aujourd’hui retraité a encore beaucoup à dire et à écrire. Difficile pour lui de déposer le crayon.

Vous avez mené au cours des dernières années plusieurs recherches qui ont confirmé l’importance du facteur socioéconomique dans la réussite scolaire. Vous avez également établi le rôle des stéréotypes; vous y revenez dans votre livre. En fait, vous nous dites que l’on crée bien les garçons que l’on veut.

On « fabrique » effectivement les garçons et les filles. Du côté des filles, comme les mères ont redéfini leurs valeurs avec le féminisme, on a assisté à une ouverture dans la conception du rôle des femmes. Les filles pensent encore au couple, au fait d’avoir des enfants, mais elles y réfléchissent maintenant en visant l’autonomie financière, l’indépendance.

Vous expliquez que les filles ont nettement pris conscience de l’importance des études pour obtenir de la reconnaissance dans la société, ce qui n’a pas été le cas des garçons car pour eux, jusqu’à tout récemment, c’était possible d’avoir un poste bien rémunéré sans avoir persévéré à l’école.

Effectivement. Si on regarde les taux de chômage, celui des filles sans diplôme est quatre fois supérieur à celui des garçons. Cette statistique a tout pour inciter le clan féminin à rester à l’école ! Mais la réalité du travail change et les emplois très bien rémunérés dans l’industrie sont en voie de disparition — sauf exception, comme en Alberta. Tous les nouveaux emplois demandent une certaine scolarité. Les jeunes hommes sans diplôme restent donc de plus en plus sur le carreau. D’où l’inquiétude qu’on remarque actuellement sur le plan social.

Vous avez constaté que les garçons ont des notes semblables à celles des filles, sauf en lecture et en écriture où elles dominent de façon plus marquée. Le problème n’est donc pas aussi grave et généralisé que le discours ambiant le laisse croire. Vous indiquez en fait très clairement que ce sont les garçons des milieux défavorisés qui ont des difficultés à l’école. Cela dit, comment expliquer que les filles du Québec soient si fortes, plus fortes que les filles du reste du Canada et même de tous les pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ?

Le féminisme.

Mais le féminisme existe aussi ailleurs.

Dans les années 1970, au Québec, les femmes ont choisi l’éducation comme moyen d’intervention. Il y a eu une forme de connivence entre les enseignantes, les femmes du ministère de l’Éducation et des autres ministères et celles des comités de femmes des centrales syndicales. Toutes ont voulu se servir de l’éducation comme outil. Le ministère de l’Éducation a mené des actions contre les stéréotypes qui freinaient les filles. Les écoles et les syndicats ont emboîté le pas. On est intervenu pour convaincre les filles qu’elles étaient bonnes en mathématiques, pour les inciter à aller en sciences et à choisir des métiers non traditionnels. Et cela a porté fruit. Cela a eu un impact réel.

Cela nous ramène au principe de base de votre ouvrage, soit le fait que la réussite scolaire a un lien avec l’identité.

Absolument. C’est la façon de se penser dès sa jeunesse, de se projeter dans l’avenir et de prendre les moyens pour arriver à ses buts qui fait qu’on réussit ou pas. Les filles ne se disent pas féministes, mais elles n’acceptent pas d’être limitées parce qu’elles sont des filles. Elles ont appris de leurs mères qu’elles ont des droits. Malgré tout, il y a encore des ghettos où les filles n’ont pas réussi à s’introduire réellement : les sciences appliquées, les sciences pures et le génie. Dans ces milieux, la discrimination systémique existe toujours. On ne voit cela nulle part pour les hommes. Rien ne les empêche de travailler partout, par exemple au primaire.

Vous dites que de façon générale, les filles ont une attitude différente de celle des garçons, une motivation particulière à l’école, qu’elles prennent en main leur scolarisation.

Il y a deux choses qui favorisent la réussite. Premièrement, il faut être capable d’être autonome, c’est-à-dire de s’organiser pour faire ses devoirs, et pour les faire quand c’est le temps. Deuxièmement, il y a le plaisir de faire. Ça, les filles l’ont. Prenons la lecture, par exemple; tu commences à lire un peu, tu aimes ça, tu continues, tu lis un peu plus et finalement, assez rapidement, cela devient une habitude systématique. Les filles ont découvert ce plaisir.

Est-ce que les filles sont mieux « coachées » pour arriver à cette autonomie dont vous parlez ? Est-ce que les parents interviennent différemment avec elles ?

Même si les parents disent qu’ils traitent leurs filles et leurs garçons de façon égale, on constate dans les faits qu’ils sont plus exigeants avec leurs filles. Les filles développent donc leur autonomie à travers cette dynamique. Elles apprennent à faire ce qu’il faut, à s’organiser. Autre fait à noter : les mères, mais aussi les pères, rappellent aux filles qu’elles seront plus indépendantes grâce aux études. Les parents sont conscients d’un enjeu propre aux filles, celui de ne pas dépendre de quelqu’un.

Et avec les garçons, que font les parents ?

Les parents veulent le bien de leurs enfants et ils ont le même message pour leurs garçons que pour leurs filles. Ils leurs disent de continuer d’aller à l’école, que c’est important, qu’ainsi ils vont s’assurer un meilleur avenir. Le problème, c’est qu’il n’y a pas que les parents qui interviennent auprès des jeunes. Il y a les pairs. Et ce qu’on voit, c’est que du côté des garçons, le message des parents est en contradiction avec la culture masculine ambiante. Le père et la mère doivent combattre l’influence des pairs, ce qui n’est pas le cas pour les filles. La culture des filles ne les mène pas vers cette prise de distance avec l’école qui caractérise un bon nombre de garçons.

Il y a donc une culture ambiante qui confirme les garçons dans certains comportements, qui les excuse aussi.

Effectivement, et il y a des choses qu’on ne leur apprend malheureusement pas. Dès l’entrée à la maternelle des garçons, et cela a été vérifié notamment en France, on constate qu’il y a des lacunes dans leur éducation. Des lacunes qui ont trait à la sociabilité. Un certain nombre d’entre eux deviennent violents, ont tendance à s’isoler ou refusent de participer à certaines activités. Pourquoi ? Parce qu’on n’est pas intervenu à la maison quand ils manifestaient ce type de comportements. On leur laisse plus de liberté, on leur impose moins de contraintes. Parce qu’ils sont des gars, on accepte qu’ils aient un comportement différent. On commence là à construire des différences, à « fabriquer » des garçons. Le manque de sociabilité est la principale lacune des garçons qui arrivent à l’école, et on trouve cela normal. Pire, on revendique maintenant qu’ils puissent rester comme cela.

Et donc on suggère d’adapter l’école à eux. De là toutes sortes de stratégies — les faire bouger davantage, leur offrir un modèle masculin… — qui ne peuvent selon vous régler quoi que ce soit.

Non, parce que ces stratégies ne s’attaquent pas au vrai problème. La question de l’énergie par exemple. Les filles en ont aussi, de l’énergie, mais elles ont appris à la contrôler, à la canaliser, à l’exprimer quand c’est le temps. Pas quand il y a autre chose à faire. Les garçons, eux, ne l’ont pas appris. On les excuse et on les laisse faire en disant qu’ils ont trop d’énergie. Et puis quand ils sont rendus au secondaire, on les fait jouer au football en se disant qu’ils vont aller mieux à l’école. Mais cela n’a aucun sens. On perçoit les gars d’une certaine façon, et on les pousse à devenir encore plus conformes à cette perception. Ce qu’il faut, c’est les responsabiliser. Ce principe est d’ailleurs à la base des écoles de raccrocheurs. Tu as un devoir à remettre demain, tu le remets. On leur martèle ce discours.

Il n’y a pas de raccourci possible, donc. Si tu veux faire un apprentissage intellectuel, tu dois t’arrêter, te concentrer, mémoriser…

Oui, et ce qui est frappant — c’est d’ailleurs une perception assez répandue au sein du personnel scolaire, notre dernière recherche le démontre —, c’est que bien des gens considèrent que les filles utilisent cette stratégie parce qu’elles sont dociles. C’est renversant. Ça c’est un stéréotype.

Comment expliquer cette attitude du personnel scolaire ?

On a vérifié d’où viennent les « croyances » des professeurs. On s’est rendu compte que leur principale source de renseignements, ce sont les médias. Et que trouve-t-on dans les médias en ce moment ? Le discours des masculinistes. La deuxième source d’information des professeurs, c’est l’observation en classe. Mais s’ils ont déjà une idée préconçue…

Comment expliquez-vous la facilité avec laquelle le discours des masculinistes circule au Québec ?

Il y a des hommes qui ont décidé de prendre l’offensive, qui ont évalué que c’était possible de le faire. C’est un back­lash. Et les médias ont diffusé les prétentions masculinistes en disant que c’était nouveau. Des hommes qui parlent, c’était nouveau. Comme si cela n’avait pas toujours existé. Enfin, les médias ont dit qu’ils agissaient dans un souci d’objectivité…

Tout cela crée une telle ambiance dans la société que vous vous dites inquiet pour les filles.

Oui. Parce que quand on entend que le problème des décrocheurs est lié au manque de modèles masculins ou à la mixité et qu’on fait face à des propositions comme celles d’ajouter des activités sportives à l’école ou de séparer les garçons des filles, on ne peut pas répondre seulement : « Non, ce n’est pas une voie prometteuse. » On est obligé de démontrer que ça ne tient pas la route, ce qui est long. Conséquence ? Pendant ce temps-là, on ne fait pas ce que l’on devrait faire, c’est-à-dire des programmes adaptés.

Selon vous, quels gestes faudrait-il poser pour aider les garçons et les filles qui risquent de décrocher ?

Je suggère trois pistes. La première : une intervention contre les stéréotypes masculins et féminins. Les filles sont fortes, mais ce sera quoi dans 10 ans si on ne continue pas à les encourager ? Cesser de soutenir les filles n’est pas une façon de réduire les écarts entre elles et les garçons. Il y a dans cette lutte contre les préjugés un gain à faire sur le plan scolaire mais aussi sur le plan social. Si l’on souhaite avoir des gens équilibrés et ouverts dans notre société, je pense qu’on doit poursuivre ce qu’on a commencé, en jetant un regard critique sur les stéréotypes. La deuxième piste, c’est la lecture. On sait depuis longtemps que plus les jeu­nes lisent, mieux ils réussissent à l’école. Une découverte encore plus importante est que la lecture peut renverser l’effet de l’appartenance à un milieu pauvre. Même si le facteur socioéconomique reste déterminant pour la réussite scolaire, la lecture est une avenue royale pour surmonter cet obstacle-là. Lors d’une expérience menée récemment dans un milieu multiethnique défavorisé, le taux de réussite des élèves était de 95 % après trois ans de lecture fréquente, et l’écart entre les garçons et les filles avait disparu. Enfin, la troisième avenue est l’autonomie. Être autonome, ça s’apprend. On peut éduquer les jeunes à ça. On les éduque en leur donnant des responsabilités, en étant exigeant, sans passe-droits. En leur disant que des efforts, il faut en faire. Que plus t’en fais, plus ça va être facile, et que plus tu vas aimer ça. On le voit chez les filles du secondaire. Elles aiment faire leurs travaux. Chez les garçons, on doit contrer la culture du jeu extrêmement présente qui s’oppose à l’effort.