Dans le contexte actuel tragique de violences faites aux femmes, le romancier et poète David Goudreault choisit de s’adresser aux garçons et aux gars dans un slam puissant qui touche sa cible. Le magazine GF publie aujourd’hui ce texte remarquable, lu publiquement le 14 avril dernier à l’émission Bonsoir bonsoir! à la télévision de Radio-Canada.
Ti-gars, je veux te donner de l’amour
Ça brasse pour toi, pour nous, ces temps-ci
Turbulence, douleurs de croissance et remises en question de nos relations avec les femmes
Je veux pas parler en leur nom, d’autres l’ont mal fait beaucoup mieux que moi…
Je veux te parler de gars à homme, d’homme à fils, frère, neveu ou chum
Sans tomber d’in jokes de cul
Je veux qu’on sorte de nos cages, de la cage au sport comme de la cage thoracique
Un tien vaut mieux que 2 tu l’auras, mais 2 couilles valent moins qu’un cœur à’ bonne place
Je suis pas un exemple, mais laisse-moi t’en donner
Quel genre de modèle on nous propose?
Des joueurs de hockey qui s’imposent sur la glace
Des batailleurs MMA qui s’imposent sur le ring
Des rappeurs un peu misogynes qui s’imposent dans le game
Les superhéros qui règlent tout’ à coups de poing
Pas simple, d’aller te dire d’être sensible et en contact avec tes émotions
Mais entre Ironman, Rocco Siffredi et Joselito Michaud
Il y a un large spectre, une vaste palette de mecs à être
Complexe, peut-être, mais tu peux être sans écraser l’autre
On peut sortir du vieux moule pourri de l’homme fort à tout prix
On se les fait mettre dans face, nos erreurs et nos errances…
C’est rough, mais y’a eu trop de viols, trop de violence
L’humanisme passe par le féminisme tant qu’on n’aura pas atteint l’égalité
Tant que la sécurité ne sera pas un bien commun, pour toi comme pour elles
Ça t’enlève rien, t’sé, ça va juste embellir le monde, pour tout le monde
T’as le droit d’être qui tu es, de tripper sur les camions, les outils, les lutteurs
T’as le droit d’avoir un pénis, t’as le droit d’avoir envie de t’en servir
D’éprouver du désir et de le nommer
Mais tu ne peux pas imposer tes fantasmes, ou toucher sans consentement
Et tu ne peux pas envoyer des photos de ta graine si on ne te le demande pas explicitement
Même si t’as la plus belle graine de Saint-Hyacinthe
Garde ton petit miracle dans tes bermudas, ti-gars
Pis accepte qu’on te dise non, apprends à différer la gratification
Et à vivre avec la frustration, même la détresse
« Mais les gars se suicident 4 fois plus », rétorques-tu!?
Attends, on revient à la violence, encore
Les femmes vivent pas moins de détresse, elles meurent moins de leurs tentatives de suicide
Nuances; leurs moyens pour passer à l’acte sont moins radicaux
Nous, on tue, comprends-tu, sans retour possible; on SE tue, et on tue trop, beaucoup trop
Pour une seule tueuse, tu as 148 hommes aux mains pleines de sang, ça a pas de sens
Les femmes sont pas parfaites, mais c’est un fait : nous tuons davantage, nous frappons plus souvent, nous assassinons
Pis y’est temps qu’on s’inquiète, qu’on se ramasse entre gars, qu’on se brasse, pour se dire : plus jamais ça
Plus jamais dix féminicides en quelques semaines au Québec
C’est pas digne de la beauté des hommes, de la bonté de la majorité d’entre nous
Mais le danger est là, c’est aussi ça, les hommes, ti-gars
Faque si tu sens monter cette violence, si t’es pour frapper, pour tuer
Sacre ton camp, décrisse le plus loin, le plus vite possible
Tu as le droit de le ressentir, t’as pas le droit de l’agir
Va crier, va te saouler, va demander de l’aide ou te perdre dans le bois
Serre les dents plutôt que les poings
Sers-toi de ta tête quand ton cœur se brise
Serre-moi dans tes bras, range ta corde, range ton gun
Serre-moi dans tes bras, hurle pis braille, braille fort
Fort comme un homme
Mon gars
David Goudreault est romancier, poète et chroniqueur.