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Une école dans le désert

En plein cœur du Sahara, dans un désert sans route ni services publics, la Québécoise Jacqueline Lanouette…

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En plein cœur du Sahara, dans un désert sans route ni services publics, la Québécoise Jacqueline Lanouette a ouvert une école pour les enfants nomades. Puis la guerre est arrivée à Tézerzait et l’école s’est trouvée prise en étau entre les rebelles touaregs et l’armée du Niger. Histoire d’un rêve qui s’accroche. C’est la saison sèche et le thermomètre affiche 50 °Celsius dans la vallée de Tézerzait. Une vingtaine d’enfants touaregs entonnent l’hymne national devant une petite école faite de banco et de ciment. Le plus âgé hisse au sommet du mât un drapeau du Niger en lambeaux — à l’image du pays. Quelques dizaines de mètres plus loin, cachés dans la montagne, des hommes discutent de stratégies militaires. Il y a un mois, munis de lance-roquettes et d’armement lourd, ils ont surpris les soldats d’Iferouane, l’oasis la plus proche, à environ 100 km. À la fin d’une violente attaque nocturne qui a coûté la vie à quatre soldats nigériens, ces rebelles ont volé toutes les armes du campement militaire avant de se réfugier ici, déclenchant une deuxième rébellion touarègue* en 17 ans. Mais ce matin du printemps 2007, alors que le soleil semble décidé à battre tous les records de chaleur dans la vallée de Tézerzait, ni la revanche imminente de l’armée nigérienne, ni les mines antipersonnel posées un peu partout dans le secteur ne vont empêcher les enfants de chanter l’hymne national et d’aller en classe. Dans l’unique salle, les jeunes, âgés de 7 à 14 ans, récitent les tables d’addition écrites au tableau par Ahmed Rhissa, l’un des deux professeurs touaregs. Pendant ce temps, le vieux Haillal, chef de campement, soigne un élève qui est tombé dans le feu allumé pour préparer le dîner. Il n’y a aucun hôpital à des centaines de kilomètres à la ronde et, de toute façon, pas de véhicule. Les connaissances du vieux Haillal sont donc essentielles à la santé des enfants qui fréquentent le Centre d’éducation et de santé de Tézerzait (CEST), nom officiel de l’école. Haillal est un vrai nomade. Il connaît cette région du désert comme le fond de sa poche. Mais il a choisi de se sédentariser afin de s’occuper des élèves en dehors des heures de cours. Jumelles constamment accrochées au cou, Haillal scrute régulièrement l’horizon, au cas où des véhicules s’aventureraient dans la vallée. La soixantaine avancée, cet ancien rebelle assure la sécurité des enfants en cette période d’insurrection. En voyant le vieux Haillal soigner son camarade brûlé, le petit Mohamed, 8 ans, qui adore la lecture, me confie qu’il voudrait un jour devenir médecin. S’il réalise son rêve, il pourra remercier Jacqueline Lanouette, mais aussi la Fondation internationale Roncalli. C’est grâce à cette psychologue globe-trotter que Tézerzait possède son école. Ibrahim Amoumoun, mon guide touareg et mandataire du CEST au Niger, raconte : « Après son passage dans la région, Jacqueline a fait une exposition de photos du désert à Outremont, à Montréal. Ça nous a permis d’amasser 12 000 $ pour construire l’école. La Fondation internationale Roncalli a complété avec 13 000 $. Tézerzait est complètement coupée du monde. Le gouvernement ne lui a jamais offert aucune aide et il n’y a évidemment jamais eu d’école dans la région. On peut dire que c’est vraiment du tourisme équitable qu’a fait Jacqueline ! » Ibrahim, lui-même chef des opérations de la rébellion touarègue des années 1990, a choisi de troquer les armes pour l’éducation des enfants afin de mener sa lutte. « La guerre naît dans les esprits des hommes, mais c’est dans les esprits des enfants qu’il faut la combattre. »

Entre tradition et modernité

Quand je la rencontre à Rosemère, à mon retour du Niger, Jacqueline Lanouette, ancienne enseignante aux Beaux-Arts devenue psychologue, m’accueille dans un cabinet aux murs égayés par de magnifiques photos du désert. C’est la splendeur des lieux qui a attiré la femme de 59 ans et son mari photographe, Normand Turgeon, à Tézerzait, à 1 400 km au nord de Niamey, la capitale. « On avait envie de voir les dunes géantes. Je suis tombée amoureuse de l’endroit, tellement que j’y suis retournée trois années de suite. Des émotions indescriptibles surgissent lorsqu’on visite le Sahara pour la première fois, relate-t-elle. Je suis devenue amie des gens de Tézerzait, dont Haillal, et ils m’ont demandé de les aider à construire une école dans le désert. J’ai hésité, puis décidé de me lancer dans l’aventure, même si je n’avais aucune expérience en coopération inter­nationale. » Pays le plus pauvre au monde selon l’indice de développement humain de l’ONU, le Niger a aussi le taux de fréquentation de l’école primaire le moins élevé, soit 30 % — encore moins chez les populations touarègues. Au CEST, les enfants apprennent le français — le Niger est une ancienne colonie française — ainsi que toutes les autres matières du système scolaire nigérien. Pendant ce temps, leurs parents parcourent le désert. Le Sahara se divise en plusieurs types de déserts. La vallée de Tézerzait se trouve entre deux d’entre eux. À l’est de l’école, le Ténéré, surnommé « désert des déserts » par les premiers explorateurs européens, comprend les plus hautes dunes du monde — elles atteignent parfois 300 m — et s’étend sur 350 000 km2 de sable. À l’ouest, le désert de l’Aîr, paysage rocailleux et volcanique parsemé de quelques oasis, couvre 700 000 km2. Juste en face de l’école, le mont Tamgak, un massif qui culmine à 1 988 m, sert de pont entre les deux déserts, mais aussi de quartier général aux rebelles touaregs. Les Touaregs qui sillonnent cette partie du Sahara font halte régulièrement à Tézerzait afin de se ravitailler au puits bâti par l’ancien chef rebelle Mano Dayak. Parfois, quelques touristes téméraires s’arrêtent à Tézerzait pour photographier l’art rupestre qui orne les rocs environnants. Ce véritable musée à ciel ouvert datant de 5 000 ans, qui représente des humains, des éléphants, des girafes et d’autres mammifères, témoigne d’une époque où le Sahara était moins hostile à la vie. C’est sur ce territoire magnifique, mais où l’homme ne semble pas avoir sa place, que l’école a été bâtie. Comment gérer la dualité entre la scolarité et le mode de vie traditionnel nomade ? Jacqueline Lanouette explique : « Les parents nous laissent leurs enfants pendant 10 mois. Il faut les héberger, les habiller et les nourrir, mais ils ont aussi besoin d’affection. En plus d’Haillal et des deux professeurs, on a donc engagé une mère et une grand-mère. Cana et Miloy ont pour mandat de prendre soin des enfants et de garder la tradition vivante. Chez les Touaregs, ce sont les femmes qui transmettent les traditions. On veut offrir l’éducation aux petits, mais on ne veut pas les priver de leurs traditions. » Jacqueline — qui a appris leur langue, le tamasheq — a tenu plusieurs réunions avec les femmes du campement de Tézerzait avant de mettre le projet sur pied. « Elles se sont regroupées et m’ont fait part de leurs souhaits quant au fonctionnement de l’école. C’était important pour elles que des Touaregs soient impliqués dans la gestion et que ce soient des professeurs touaregs qui enseignent aux enfants. »

L’uranium, nerf de la guerre

En ouvrant l’école en 2005, Jacqueline Lanouette ne pouvait se douter qu’une dizaine d’années après les accords de paix de 1995, une autre rébellion touarègue allait éclater et que Tézerzait en serait le cœur. « En parler est très douloureux pour moi, car au mois de juin, une compagnie de l’armée nigérienne a tué trois vieillards à Tézerzait. Abdi était le père de Miloy, la jeune grand-mère qui travaille pour l’école. L’autre était son oncle et le troisième, infirme, était le grand-père d’un des élèves. Ils apportaient souvent des chèvres à l’école pour nourrir les enfants, ils en étaient très proches, alors c’est toute l’école qui est en deuil. » Pour comprendre le conflit qui endeuille le Niger, un recul historique s’impose. Avec leur Mouvement nigérien pour la justice (MNJ), les rebelles touaregs réclament une meilleure représentation de leurs ethnies au sein du gouvernement et de l’armée. Mais le véritable enjeu de leur lutte, c’est l’uranium. D’un côté, les rebelles accusent l’État nigérien d’être à la solde de la France, qui exploite l’uranium du Sahara nigérien depuis 40 ans par le biais de la société Areva, leader mondial de l’énergie nucléaire. La France dépend de l’uranium nigérien pour ses besoins énergétiques : 75 % de l’électricité d’origine nucléaire produite par Électricité de France provient du Niger. Selon les rebelles, les populations touarègues ne profitent aucunement des profits provenant de l’uranium. Non seulement elles vivent dans une extrême pauvreté, mais elles sont aussi victimes de tous les problèmes sociaux et environnementaux qui découlent de l’établissement de mines d’uranium sur les terres de leurs ancêtres. De l’autre côté, paradoxalement, le gouvernement nigérien accuse les rebelles d’être au service de cette même société française, Areva. Une complicité que nient les rebelles et la compagnie. Le MNJ a même attaqué une des mines d’Areva à Imoraren, faisant trois morts. Depuis l’indépendance du Niger en 1960, la France avait le monopole de l’exploitation de l’uranium, qu’elle achetait aux Nigériens à un prix fixe bien inférieur au prix du marché international. Ce « pacte colonial » s’est terminé au printemps dernier, et d’autres multinationales ont pu obtenir des permis d’exploration, dont les canadiennes Global Uranium Corporation et Ivanhœ Mines. Le potentiel est là : le Niger est le troisième producteur mondial d’uranium derrière le Canada et l’Australie. Aghali Alambo, 43 ans, est le chef du Mouvement nigérien pour la justice. À propos de l’acquisition récente de permis d’exploration par des compagnies canadiennes, il s’exprime poliment, dans un français impeccable. « Avec la complicité du gouvernement nigérien, des puissances étrangères pillent les ressources naturelles du Niger, polluent nos terres, notre eau et dénient nos droits, ce qui laisse les populations dans une situation de pauvreté indescriptible. Les Nigériens en ont assez d’être les misérables de la planète. Aujourd’hui, on va prendre notre destinée en main. Si les Canadiens veulent travailler avec les Nigériens, ils sont les bienvenus. D’ailleurs, le Canada et le Niger ont une longue tradition de coopération et nous respectons le Canada. Par contre, je conseille aux sociétés canadiennes qui souhaitent exploiter l’uranium sur notre territoire de le faire avec les populations et pour les populations qui vivent sur ces territoires. Gare aux Canadiens s’ils agissent comme les Français ! Nous n’hésiterons pas. Nous sommes un groupe armé et organisé. »

L’école en danger

Depuis mon passage à Tézerzait en mars 2007, le Niger continue de s’enliser dans la crise. Le gouvernement refuse de collaborer avec les rebelles. Sur le terrain, les forces armées du Niger pourchassent un ennemi invisible. Les « hommes bleus du désert » se sont depuis longtemps forgé une réputation de guerriers impitoyables. Ils sont les seuls à connaître et à maîtriser le Sahara. Ceux qui les combattent sur ce territoire indomptable doivent s’attendre à encaisser des pertes considérables. Pourtant, ce sont surtout les populations civiles qui souffrent de cette guerre. On y massacre des innocents, l’armée multiplie les arrestations arbitraires, et on a éparpillé des mines antipersonnel un peu partout dans le Sahara nigérien. Les conditions de vie déjà précaires des populations prises au piège entre les rebelles et l’armée se sont dégradées. À quel point ? Difficile de le préciser puisque le nord du Niger est aujourd’hui interdit aux journalistes et aux ONG internationales qui voudraient venir en aide aux habitants. Deux journalistes nigériens, Ibrahim Manzo et Moussa Kaka, sont incarcérés depuis le début des hostilités. Moussa Kaka, correspondant de Radio France Internationale et de Reporters sans frontières, risque la prison à vie pour être entré en contact avec les rebelles. À l’automne 2007, Jacqueline Lanouette a senti l’urgence. Même si une entente tacite entre les rebelles et l’armée interdisait à chacun des camps d’attaquer l’école de Tézerzait, la situation était devenue trop risquée pour les enfants. Mme Lanouette est donc retournée dans le désert et a ouvert une nouvelle école à Arlit, une ville minière du Sahara. Arlit est plus sécuritaire que la vallée de Tézerzait, mais pour y aller, il faut emprunter la « route de l’uranium », l’unique axe routier qui se rend dans cette région. Déclarée zone militaire par le gouvernement à la fin août, cette voie a été le théâtre de plusieurs combats armés. Entre sa propre sécurité et celle des élèves, Jacqueline Lanouette a choisi la deuxième. Les enfants nomades seront-ils mieux lotis à Arlit ? Cette ville est au cœur du litige qui oppose les rebelles et le gouvernement nigérien. La société française Areva l’a construite de toutes pièces dans les années 1960 autour de ses deux mines d’uranium, en plein milieu d’un territoire qui servait de pâturage aux Touaregs. De l’Arlit florissante promise par le gouvernement et les prospecteurs, il ne reste qu’un mythe, un vague souvenir. Les Touaregs qui habitent dans le bidonville environnant vivent dans des conditions déplorables. Ils doivent se nourrir dans « les jardins d’Arlit », aménagés par la compagnie minière et arrosés avec les eaux usées de la ville. Leurs abris sont essentiellement construits à partir de matériaux récupérés et de ferrailles de la mine. Des matières radioactives, donc. Dans cette ceinture de pauvreté, des humains et des animaux meurent de façon inexpliquée. Les protégés de Jacqueline Lanouette gagneront-ils une éducation en perdant leur santé ? À des centaines de kilomètres de là, l’école désertée de Tézerzait tient toujours debout, tel un fragile symbole de paix.
Ce reportage a été réalisé grâce à la participation financière de l’Agence canadienne de développement international (ACDI).

Le Niger en bref

  • Langues :  français (officielle), haoussa, djerma, peul, tamasheq, kanouri…
  • Religions :  musulmans (90 %), chrétiens et animistes (10 %)
  • Population :  13 957 000 habitants
  • Indice de développement humain :  177e sur 177 pays
  • Taux de fécondité :  8 enfants par femme
  • Espérance de vie :  45 ans
  • Accès à l’eau potable: 46 %
  • Travail des enfants (5-14 ans): 67 %
  • Taux de fréquentation de l’école primaire: 30 %
  • Alphabétisation: 28,7 %
Sources : UNICEF et L’État de l’Afrique 2007 (publié par Jeune Afrique)