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Ce qui ne tue pas rend plus fort

Semer, grandir, cueillir…

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Temps estimé de lecture :5 minutes

Bandeau :Photos : © Audrey H. Arsenault – Oneland.media

Le 13 mars 2020, quand François Legault a mis le Québec sur pause, « ça a été une journée stressante. On nous a dit “il faut que vous fermiez”. On avait 16 employés, ça me brisait le cœur de les mettre sur la PCU ».

Andrea Gomez s’est revirée sur un 10 cennes.

Omy, l’entreprise de cosmétiques sur mesure qu’elle a cofondée, commençait à avoir le vent dans les voiles. « Comme on a beaucoup de chimistes, on a développé une formule de désinfectant pour les mains, et ça a été vite approuvé. On n’a jamais fermé, on a pivoté notre modèle d’affaires au complet. »

Dans le plan d’affaires initial, seulement la moitié des ventes devaient se faire en ligne, l’autre moitié dans les centres d’esthétique et en boutique. « Tout était fermé, alors on a mis toutes nos ressources sur le désinfectant et on a investi dans le numérique. Les gens se tournaient vers le Web et l’achat local, ça a été juste du positif! »

« Moi, la cause des femmes me tient à cœur. J’ai vu les difficultés pour les femmes dans d’autres cultures et quand je suis arrivée au Québec, j’ai eu un choc, un choc positif. »

Andrea a simplement fait ce qu’elle avait fait si souvent avant : rebondir. Elle et sa partenaire se sont retroussé les manches au lieu de baisser les bras. « Le stress, ça nous a fait agir plus rapidement, on s’est mises en mode solution. »

C’est dans son ADN.

Originaire de la Colombie, la jeune femme de 29 ans est arrivée à Québec avec ses parents il y a 12 ans. « Je ne parlais pas français. J’ai appris à la dure, mon père m’a inscrite aux Compagnons de Cartier. Même la directrice [de l’école secondaire] n’était pas certaine, elle disait qu’elle n’avait pas les ressources. »

Andrea a bûché. « Je me suis donnée, je ne voulais pas décevoir mon père. »

Mais elle ne voulait pas suivre ses traces. « Mon père était entrepreneur. Ce n’était pas positif pour moi, être entrepreneur. Il n’était pas souvent à la maison, il avait parfois de la misère à se faire payer.

Mais c’était plus fort qu’elle. Petite, elle vendait déjà tout ce qui lui tombait sous la main, « des chocolats, des bonbons, des bracelets ».

Alors, quand est venu le temps de s’inscrire au cégep, Andrea a opté pour un DEC en gestion. Passionnée par les cosmétiques, elle y flairait déjà la bonne affaire. « Quand j’étais jeune, j’avais de l’acné sévère avec de la rosacée, et je n’arrivais pas à trouver le bon traitement. Et j’avais aussi de la difficulté à trouver le bon fond de teint, il était soit trop pâle, soit trop foncé. »

Elle a eu l’idée des produits sur mesure.

Andrea Gomez

Elle est allée à l’université en administration, a travaillé comme gestionnaire à Revenu Québec le jour, comme vendeuse de cosmétiques le soir dans une pharmacie. « J’ai travaillé sept ans à la pharmacie. Je n’étais pas beaucoup rémunérée, mais j’ai eu accès à tous les produits, à ce que les clientes aiment, ce qu’elles veulent. Ce n’étaient pas des efforts, c’était vraiment un plaisir de conseiller les clientes. »

Fonder une entreprise n’apparaissait pas sur son écran radar. Elle gardait toujours le souvenir de son père absent qui courait après les clients. Diplôme en poche, elle s’est présentée à une entrevue pour une grosse compagnie de cosmétiques, le poste de ses rêves. Elle avait « tout fait pour arriver là ». Mais les ressources humaines en ont décidé autrement. « On m’a dit que je ne m’impliquais pas assez en dehors de l’université, que j’aurais dû participer à des concours ou des missions commerciales. Mais je devais travailler pour payer mes études… »

Andrea a-t-elle abandonné? Que nenni. Elle a ravalé sa peine et sa rage, a relevé la tête.

Omy est née.

« Je me suis dit “je vais lancer mon entreprise!” » Elle a contacté des fournisseurs, on lui a dit qu’elle manquait d’expérience en chimie. Elle a déniché la perle rare, une chimiste spécialisée en maladies de la peau, Rachelle Séguin. Ensemble, elles ont décidé de se lancer en affaires. « On ne s’est pas lâchées depuis! »

Mais elles n’avaient pas un rond.

Les deux femmes ont investi toutes leurs économies et ont dû s’endetter pour éviter la faillite. Andrea est même retournée vivre chez sa mère.

Elles ont pleuré. « Quand tu te lances en affaires, c’est comme des montagnes russes. Des fois, on monte vite, il y a de belles choses et d’autres fois, c’est vraiment difficile. On ne parle jamais des nuits blanches, du stress, de ces moments où on se demande si ça vaut la peine de continuer. »

La COVID-19, pour elles, c’était une embûche de plus.

Et comme les autres avant, Andrea en a tiré du positif. « Tout ce qu’on a vécu, ça nous a rendues plus fortes. On ne serait pas rendues là si on n’avait pas vécu ces moments difficiles. Ça a solidifié notre relation, on a vu nos limites. On évolue beaucoup quand on travaille en équipe. »

Omy souffle sa troisième bougie, la pandémie n’a pas fait vaciller la flamme. « Pour notre troisième année, on va doubler notre chiffre d’affaires. Et, beau problème, les locaux qu’elles louaient à l’Université Laval sont devenus trop petits. Omy aura ses propres laboratoires cet été. »

Andrea a de quoi être fière, elle est passée « d’employée d’une pharmacie à gestionnaire de 30 personnes! ».

Elle récolte le fruit de ses efforts.

« L’entreprise va bien. On n’a jamais créé l’entreprise pour l’argent, on l’a fait pour les bonnes raisons, pour aider les femmes à avoir une belle peau. Moi, la cause des femmes me tient à cœur. J’ai vu les difficultés pour les femmes dans d’autres cultures et quand je suis arrivée au Québec, j’ai eu un choc, un choc positif. »

Contrairement à sa Colombie natale, tout lui semblait possible. « Je viens d’une société patriarcale, mon père a toujours eu un rôle décisionnel. Et j’arrive dans une société où les femmes, on peut faire ce qu’on veut, on a le pouvoir de faire ce qu’on veut. »

Mais tout de même, parfois, avec un bon vent de face. Des relents d’un Québec pas si lointain où la place de la femme était à la cuisine. « Au début, on s’est fait dire que notre idée n’avait pas de potentiel, que deux femmes en cosmétiques, c’était ridicule, que ça ne marcherait pas. On nous a dit “vous ne pourrez jamais survivre, vous ne pourrez jamais compétitionner les géants de l’industrie”. »

Il ne faut jamais dire jamais, surtout à Andrea.

Titulaire d’un diplôme d’études collégiales en art et technologie des médias du cégep de Jonquière et d’un baccalauréat de l’Université Laval, Mylène Moisan est journaliste au quotidien Le Soleil depuis 1999. Elle y signe depuis 2012 une chronique suivie par des milliers de lectrices et lecteurs. Elle y raconte des histoires singulières, variées, qui touchent à la fois les gens et la société dans laquelle nous vivons. De 1994 à 1996, elle a travaillé comme journaliste à Toronto pour l’hebdomadaire francophone L’Express, puis à la chaîne télévisée TFO pour l’émission d’affaires publiques Panorama.