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Quel monde pour Hector?

Un citoyen pas comme les autres

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Temps estimé de lecture :5 minutes

Bandeau :Photos : © Mitch Cayouette – Oneland.media

« 

Quand j’ai été élue mairesse, je me suis toujours demandé comment je réagirais si j’avais une grosse crise à gérer. Je pensais à la mairesse de Lac-Mégantic et je me demandais ce que je ferais, moi, si ça arrivait. »

Audrey Boisjoly a pris les rênes de Saint-Félix-de-Valois en 2017.

Elle avait 26 ans.

« C’est évident que la pandémie, ce n’est pas comme Lac-Mégantic, ce n’est pas une catastrophe de la même ampleur. » Mais tout de même. Quand le souffle de la COVID-19 a atteint son village de 6 000 âmes dans Lanaudière, c’est elle qui devait prendre les décisions. Et vite. « Le matin, mon directeur général est venu me voir, il m’a dit : “Il y a des employés qui ont peur. Si on ne fait rien, il y en a qui ne rentrent pas cet après-midi.” »

Une cellule de crise a été créée sur-le-champ.

Audrey et le directeur se sont retroussé les manches. Ils ont planché sur des recommandations concrètes. « Il fallait qu’on arrive avec de nouvelles façons de fonctionner. On a arrêté de prendre l’argent, on laissait les papiers 48 heures avant de les manipuler. Pour moi, la pandémie a d’abord été une crise de ressources humaines. On a été à l’écoute de nos employés, on les a rassurés. »

Une autre question s’est vite posée : « Qu’est-ce qu’on peut faire pour aider la population? »

« La période avant que la PCU arrive, ça a été difficile. Il y a des citoyen·ne·s qui n’avaient plus d’argent pour faire leur épicerie. On a mis en place des bons d’alimentation, on a débloqué 10 000 $ pour ça, puis on a mis un autre 10 000 $. Il y a eu des bénévoles qui ont distribué les bons. »

Les pompiers n’ayant presque plus d’appels, ils ont été envoyés dans les quelques commerces encore ouverts pour distribuer des dépliants dans lesquels on expliquait les règles sanitaires.

Audrey Boisjoly

En fait, c’est tout le village qui s’est serré les coudes. « Ce qui m’a impressionnée, c’est comment les gens étaient prêts à aider, à quel point il y a eu une solidarité et une mobilisation. Des gens m’écrivaient pour s’offrir : “Si vous avez besoin d’aide, je suis là.” Il y a même des entreprises, celles qui allaient bien, qui ont dit “on veut aider” : elles ont bonifié notre budget d’aide. Ça m’a vraiment marquée. »

La crise a réveillé le sens de la communauté.

Il était en dormance.

« On a beau faire des formations sur la gestion de crise, tant que tu ne le vis pas, tu ne réalises pas. Je me suis rendu compte que lorsqu’il arrive quelque chose, je réagis rapidement. Je trouve qu’on a bien géré ça, les citoyen·ne·s étaient plutôt content·e·s. On était tout le temps en avant, avant qu’ils le demandent. […] Le premier mois a amené une grosse surcharge de travail, mais après ça, une fois que tout a été mis en place, que tout s’est mis à rouler, ça a été plus tranquille. »

Les plages de son agenda n’avaient jamais été aussi désertes. « Je n’avais plus aucun événement en soirée, rien les jours de fin de semaine. Ça a beaucoup diminué ma charge de travail, ça prenait moitié moins de temps. Ça a été comme une pause. » On n’attendait plus madame la mairesse nulle part.

Mais une surprise de taille l’attendait. « Vers la mi-avril, j’ai su que j’étais enceinte. Moi et mon conjoint, on voulait avoir une famille, mais c’est arrivé plus vite qu’on l’avait prévu… Je me rappelle un samedi, on était dehors et on se posait plein de questions : à quoi ressemblera son enfance? Est-ce qu’il va pouvoir socialiser? Est-ce qu’il va pouvoir voir ses grands-parents? On avait beaucoup de questionnements. »

Hector était pressé de voir ses parents. Il s’est pointé le nez au début décembre, deux semaines avant la date prévue. « J’ai travaillé le lundi et j’ai perdu mes eaux dans la nuit de mardi à mercredi. »

Il est en pleine forme.

Audrey prendra ses 18 semaines de congé de maternité, c’est le maximum pour les mairesses mères. « Le monde municipal a un régime particulier. On a obtenu le droit d’avoir un congé en 2016. Avant, si tu arrêtais, tu perdais ton siège. »

Les élues de l’Assemblée nationale n’y ont toujours pas droit.

La femme de 29 ans a pris goût au télétravail et aux réunions à distance, choses qui étaient impensables pour une mairesse avant la COVID. À Saint-Félix-de-Valois comme à peu près partout, les séances du conseil sont devenues virtuelles du jour au lendemain. Les citoyen·ne·s peuvent y assister de leur salon.

« Je me rappelle un samedi, on était dehors et on se posait plein de questions : à quoi ressemblera son enfance? Est-ce qu’il va pouvoir socialiser? Est-ce qu’il va pouvoir voir ses grands-parents? On avait beaucoup de questionnements. »

Audrey y voit une occasion en or. « Je ne vois pas cette pandémie seulement de façon négative. Il y a des choses qui vont rester, qui vont amener des améliorations. Il y a des changements qui ont été précipités, par exemple la vidéoconférence pour les séances publiques. Ça fait longtemps qu’on demande au gouvernement d’avoir cette possibilité-là à l’occasion, mais on nous sort toujours une raison : des problèmes de sécurité, de technologie… Maintenant, on a la preuve que c’est possible. Le gouvernement a adopté un décret qui nous permet de le faire. Il faudrait qu’il change la loi. »

« Est-ce qu’on peut avoir ce changement pour la conciliation travail-famille? Pour qu’il y ait plus de femmes en politique? »

Grâce à la techno, elle peut même garder le lien avec sa municipalité entre deux tétées. « Comme mairesse, je dois continuer à être présente, c’est un peu comme un entrepreneur. Je continue à être présente, j’assiste à des réunions que je trouve importantes. La semaine prochaine, je vais participer à une réunion des ressources humaines et en mars, je vais revenir aux séances. »

Dans le confort de son foyer.

Elle est convaincue qu’elle arrivera à jongler avec ses chapeaux de mère et de mairesse. « Les gens ont peur de la conciliation. J’ai appris à utiliser la flexibilité, je vais continuer. Ça va très bien se concilier. »

Audrey a toujours su qu’elle ferait de la politique un jour. Être mère, moins. « Le milieu professionnel a toujours pris beaucoup de place dans ma vie. J’ai été attachée politique, j’ai été élue au conseil municipal, puis mairesse. Je me suis toujours demandé si j’allais être une bonne maman… J’adore être maman, ça donne une autre perspective à ma vie, j’ai envie de mettre du temps dans ma famille. »

Peu importe ce à quoi ressemblera le monde d’Hector, elle sera là.

Titulaire d’un diplôme d’études collégiales en art et technologie des médias du cégep de Jonquière et d’un baccalauréat de l’Université Laval, Mylène Moisan est journaliste au quotidien Le Soleil depuis 1999. Elle y signe depuis 2012 une chronique suivie par des milliers de lectrices et lecteurs. Elle y raconte des histoires singulières, variées, qui touchent à la fois les gens et la société dans laquelle nous vivons. De 1994 à 1996, elle a travaillé comme journaliste à Toronto pour l’hebdomadaire francophone L’Express, puis à la chaîne télévisée TFO pour l’émission d’affaires publiques Panorama.