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Une année sans ami·e·s ni colleux

Le printemps de nos jeunesses

Date de publication :

Auteur路e :

Temps estimé de lecture :5 minutes

Bandeau :Photos : © Meggie Turbide – Oneland.media

Maude Vigneau est arrivée à son école secondaire à l’heure dite avec une amie. Elles ont foulé le tapis rouge, se sont fait applaudir par les professeur·e·s placé·e·s en rang d’honneur, ont bu le verre de mousseux sans alcool qu’on leur a tendu.

Voilà sa cérémonie de finissante.

« Le secondaire V, c’est une grosse année. C’est la fin du secondaire, le bal, l’après-bal, l’album. J’étais dans le parlement étudiant, on avait un projet qui devait se terminer en mars pour que les étudiants priorisent l’eau plutôt que des boissons énergisantes. On devait mettre des affiches à la cafétéria, on en était rendu·e·s à faire les dessins, on avait tout notre matériel… »

Il est toujours là, laissé en plan, comme le reste.

De chez elle aux Îles-de-la-Madeleine, la COVID-19 semblait si lointaine. « Au début, on ne pensait pas que ça nous toucherait comme ça, c’était en Chine… Lorsque le premier ministre Legault a annoncé la fermeture des écoles, je n’en revenais pas. Pas d’école pendant deux semaines! J’aime l’école, j’étais triste et déçue. »

Elle comptait les jours. « On s’est dit : “C’est une petite pause de deux semaines et ça va recommencer après”, mais c’est devenu une très longue pause. »

Le périmètre de son quotidien se résumait aux quatre murs de sa maison, où elle était confinée avec sa mère contrainte au télétravail et son jeune frère qui était en troisième secondaire. Seul son père a pu continuer d’aller travailler, à l’hôpital. « Ça a été toute une épreuve. »

La bulle familiale a tenu le coup, non sans turbulences. « C’était une situation anxiogène, déjà que je suis anxieuse de base. Nous trois à la maison avec Internet pas trop stable, c’était difficile. Et on était complètement dans le néant. Les enseignants essayaient de nous rassurer, mais ils n’en savaient pas plus que nous. Ils nous donnaient des travaux en disant “vous pouvez les faire”. Ils nous envoyaient la trousse pédagogique [du ministère de l’Éducation], ils ne savaient pas trop quoi nous faire faire. Je me disais : “Je ne peux pas rien faire, trois mois sans école.” »

Maude Vigneau

Maude avait beau chercher, elle ne trouvait plus la motivation dont elle débordait à l’école. Devant son écran, toute seule, le feu sacré n’y était plus.

Et elle s’ennuyait de ses quatre meilleures amies, un « cercle » soudé. « On se parlait par vidéo, on s’écrivait des textos, mais ce n’était pas pareil. J’avais l’impression que des relations étaient en train de se briser. J’ai trouvé ça très, très, très difficile, mais je me disais que s’il y avait ces mesures-là, c’est que c’était nécessaire, je m’accrochais à ça pour me motiver. »

Elle s’est accrochée fort.

C’est privée de la proximité avec ses amies qu’elle en a réalisé la valeur. La nécessité. « Quand on a pu se revoir à deux mètres, on s’est rendu compte de l’importance d’avoir des contacts. » Ce qu’elle avait toujours tenu pour acquis ne l’était plus. Ne l’est toujours pas. « On ne peut pas encore vraiment se voir. Ça reste compliqué, il faut être à deux mètres, il faut que ce soit dehors. »

C’est comme ça, à deux mètres de ses amies, à l’extérieur, que Maude a fêté ses 17 ans à la fin du printemps.

À l’été, elles sont allées monter des buttes de sable.

Son secondaire s’étant terminé en queue de poisson, Maude ne savait pas trop à quoi s’attendre pour sa rentrée au cégep. La sienne et celle de tous les cégépien·ne·s allaient se faire avec un nouveau mot, « présentiel », et son lot d’inconnus. « Ça a été moins pire que je pensais. Après quelques semaines, je me suis habituée. J’allais sur place une fois par jour, mais il y avait une barrière à cause de la distance. C’était une vitre entre nous et les professeurs. On devait partir tout de suite après les cours. »

Elle qui aurait tellement voulu s’impliquer, comme elle l’avait toujours fait au secondaire, mais il n’y avait aucune activité.

Rien.

C’est comme ça, à deux mètres de ses amies, à l’extérieur, que Maude a fêté ses 17 ans à la fin du printemps. À l’été, elles sont allées monter des buttes de sable.

Début février, le gouvernement Legault a donné un peu d’air aux cégépien·ne·s en permettant plus de « présentiel », mais on est tout de même loin de la normalité. « Au début, c’était environ 30 % en présence; là, je dirais que c’est plus 50-50, ce qui est déjà vraiment plaisant. Et on peut rester après les cours. »

Elle retrouve, un peu, le plaisir d’être à l’école.

Elle se retrouve aussi. « Au secondaire, je donnais beaucoup de mon temps. Ma mère me disait même que c’était trop. Je m’oubliais. S’il y avait une idée, un projet, j’embarquais! Maintenant, j’arrive à prendre du temps pour moi, je réalise que je n’en prenais pas assez. »

Maude prend aussi la mesure du temps qui passe, des moments qui nous filent entre les doigts, qu’on ne peut rattraper. Comme ses grands-parents qu’elle ne peut plus serrer dans ses bras. « Ils nous disaient : “On va aller vous voir!”, mais on leur disait : “Ce n’est pas comme ça que ça fonctionne.” J’avais l’impression de les repousser, mais je faisais ça pour leur bien. Ils ont appris à se servir de l’ordinateur, de leur portable, c’était drôle : “Va à droite, en haut, OK, là je te vois!”. »

Ils n’auraient jamais imaginé ça.

Les Madelinots sont habitués aux vagues qui viennent du large, celles qui sèment la mort par les naufrages. Pas par un virus. Et même si l’archipel a été relativement épargné, ils ont dû se plier aux directives d’Horacio Arruda. Il y a eu en tout et pour tout 36 cas sur l’archipel depuis le début de la pandémie.

Aucun décès.

Rare privilège d’être en zone orange, Maude a pu avoir une vraie bouffée d’air, une bouée : elle a pu voir son monde pendant les Fêtes. Ce n’était pas l’habituelle veillée à 40 à jouer de la musique et à danser dans une salle, mais c’était mieux que rien. « On s’était organisé des soupers avec quelques personnes, à quatre ou à cinq. On s’était fait un petit calendrier, une soirée avec tels, une autre avec tels. C’était merveilleux de voir les étoiles dans les yeux, c’était magique. »

C’était comme avant. « Pendant un moment, on a pu oublier la pandémie. »

Comme la mer à l’étale, entre deux marées.

Titulaire d’un diplôme d’études collégiales en art et technologie des médias du cégep de Jonquière et d’un baccalauréat de l’Université Laval, Mylène Moisan est journaliste au quotidien Le Soleil depuis 1999. Elle y signe depuis 2012 une chronique suivie par des milliers de lectrices et lecteurs. Elle y raconte des histoires singulières, variées, qui touchent à la fois les gens et la société dans laquelle nous vivons. De 1994 à 1996, elle a travaillé comme journaliste à Toronto pour l’hebdomadaire francophone L’Express, puis à la chaîne télévisée TFO pour l’émission d’affaires publiques Panorama.