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Pionnières des ondes : la radio d’hier à demain

Investir la parole

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Les femmes importantes de l’histoire souffrent d’un perpétuel oubli. Un dépoussiérage d’archives est bien souvent nécessaire pour redonner leurs lettres de noblesse à celles qui devraient marquer nos mémoires. Le milieu de la radio n’y échappe pas. Publié en septembre dernier, l’ouvrage Women in Radio, Unfiltered Voices from Canada de la journaliste Geneviève A. Bonin-Labelle offre un portrait historique des femmes à la radio. À travers des témoignages et des récits, le livre met en lumière les freins significatifs qui se maintiennent encore aujourd’hui pour celles qui veulent y travailler.

« Dans la radio commerciale, ce sont des hommes qui ont les postes en majorité. Les relations de pouvoir et toutes sortes de barrières systémiques existent toujours », affirme Geneviève A. Bonin-Labelle, qui cumule plus de 20 ans d’expérience en radio et en télévision. Au fil d’une carrière chargée, la journaliste a ressenti le besoin d’imprimer l’apport des femmes dans ce domaine, avant tout parce que la radio est un média de l’instant, qui est rarement écrit ou préservé.

Le défi consistait donc à retrouver les contributrices marquantes et à offrir une perspective actuelle sur un média encore majoritairement dominé par les hommes. « Beaucoup de femmes qui ont collaboré au livre y voyaient de l’intérêt parce qu’elles ont elles-mêmes vécu des expériences de discrimination dans leur milieu de travail », explique l’autrice.

Elle affirme d’ailleurs que parmi les obstacles rencontrés par les femmes, le mythe de la voix radiophonique idéale, qui doit être grave et masculine, est encore répandu. Les voix féminines ou avec des accents demeurent moins entendues et doivent souvent se conformer et s’approcher du « standard » pour être admises. « Les hommes ont créé et continuent de créer la norme. C’est inhabituel de voir des femmes dans certains milieux et plus encore des femmes issues de la diversité. Il reste encore des plafonds de verre à éclater », défend Geneviève A. Bonin-Labelle.

De nombreuses pionnières

De gauche à droite : Marcelle Barthe, Judith Jasmin et la réalisatrice Berthe Lavoie de C.B.F. (Radio-Canada) réunies en studio à Montréal en 1945. Source : Wikimedia Commons

Plusieurs femmes ont, à travers les années, osé ouvrir des portes qui leur étaient fermées. Au début du 20e siècle, Idola Saint-Jean et Thérèse Casgrain utilisent la radio comme porte-voix pour la cause féministe. En 1932, l’Alliance canadienne pour le vote des femmes du Québec inaugure L’actualité féminine, une émission d’information publique sur les réalités des femmes, qui les invite à l’engagement social. Idola Saint-Jean, qui, sa vie durant, mène un combat pour le droit de vote des femmes, en est l’instigatrice.

Première femme à devenir cheffe d’un parti politique au Canada et fondatrice de la Ligue des droits de la femme, Thérèse Casgrain recourt elle aussi à la radio pour parler de féminisme. En 1937, elle anime l’émission Fémina, qui marque la radio montréalaise pendant plus de 30 ans.

Grâce à leurs émissions, les deux femmes suscitent des débats d’idées et agissent comme vecteur de conscientisation auprès des femmes, jusqu’alors peu informées de leurs droits et de leur pouvoir en société.

Décloisonner les espaces masculins a également été l’œuvre de nombreuses « premières » en radio.

En 1939, la société d’État Radio-Canada embauche Marcelle Barthe, la toute première femme à occuper un poste d’annonceur. En 1941, Michelle Tisseyre devient la première femme à présenter le radiojournal. Judith Jasmin, pionnière du journalisme au Québec, s’impose quant à elle comme première Canadienne correspondante à l’étranger. Elle est également la première femme à faire du journalisme politique. Le 8 mai 1945, Claire Martin, qui est la première femme à animer à la radio à Québec, est la voix qui annonce aux Canadiens français la fin de la Seconde Guerre mondiale. Après quatre ans de loyaux services, Claire Martin, dorénavant mariée, est remerciée. À l’époque, les femmes mariées ne peuvent pas animer…

Des inégalités qui demeurent

Selon Lise Millette, journaliste radio à Radio-Canada, le milieu a beaucoup changé depuis le début de sa carrière. Celle qui a collaboré au livre Women in Radio, Unfiltered Voices from Canada raconte qu’à la fin de ses études en 1998, elle a postulé comme annonceur pour une émission matinale de radio. Après l’entrevue, elle n’a pas été rappelée, sous prétexte que le matin, il fallait une voix masculine pour « bien commencer la journée ». Lise Millette est pourtant reconnue pour sa voix grave, réconfortante et très radiophonique.

« Parmi les obstacles rencontrés par les femmes, le mythe de la voix radiophonique idéale, qui doit être grave et masculine, est encore répandu. »

– Geneviève A. Bonin-Labelle, autrice

Plus tard, alors animatrice radio à la Presse canadienne, la journaliste se voit refuser d’amener son enfant sur son lieu de travail. « Mon enfant devait rester quelques jours à la maison pour plusieurs raisons. J’ai demandé à mon employeur si je pouvais l’amener au travail et il m’a dit non. Je l’ai fait quand même, car je n’avais pas d’autres options : c’était ça ou je ne rentrais pas ». Pour Lise Millette, c’était un cas de force majeure qui demandait simplement de concilier la famille et le travail. « Parfois, il faut juste le faire. Il faut montrer que c’est possible, et s’assumer », pense la journaliste.

Des relations de pouvoir

Bien qu’aujourd’hui, des lois et des mesures existent pour faciliter la conciliation famille-travail, les mères doivent parfois se battre pour défendre leurs droits. En 2008, le cas d’Alexandra De Coster, qui anime alors l’émission matinale de Rythme FM à Québec, suscite un tollé : elle est victime de discrimination en raison de sa grossesse et poursuit la station en justice. Le tout se règle dans une entente hors cours.

Geneviève A. Bonin-Labelle explique qu’à un moment de sa carrière, on lui a fait des propositions inappropriées pour « monter les échelons ». Elle raconte qu’une collègue avait succombé, prête à tout pour accéder à des postes plus importants. « Les hommes en position de pouvoir qui commettent des abus ne sont pas toujours dénoncés. C’est encore parfois ce qui nous attend, en tant que femmes, pour “avancer” », se désole la journaliste.

Une confiance à bâtir

« Je remarque une hypervigilance chez les femmes autour de moi. Je pense qu’en moyenne, elles ont tendance à moins tenir pour acquises les occasions favorables qu’elles ont. Elles se remettent davantage en question », croit Rosalie Bonenfant, qui a été chroniqueuse à Énergie et à Rouge FM. Selon elle, ce double standard s’explique d’abord par une pression sociale et personnelle qui pèse sur beaucoup de femmes.

Dans des milieux majoritairement masculins, faire sa place demande une certaine confiance qui est parfois difficile à acquérir. « Moi, je me disais souvent : “Il faut que je sois drôle, mais pas nunuche; pertinente, mais pas moralisatrice” », raconte la jeune femme de 24 ans, qui est également comédienne. « Je me suis souvent sentie sur la ligne, avec la certitude que peu importe ce que j’étais, je ne devais pas l’être trop, parce que ça allait faire peur. »

Bien qu’il reste encore beaucoup à faire, celles qui ont fait leur place ont pavé la voie pour les femmes de radio de demain. « Il y a du beau, des projets novateurs. Que ce soit dans les années 20 ou aujourd’hui, elles sont nombreuses ces femmes créatrices et créatives! » affirme Geneviève A. Bonin-Labelle.