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Génération Z : une relève féministe renouvelée

Militantisme inclusif… à la croisée des luttes!

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Temps estimé de lecture :5 minutes

Bandeau :Illustration : © Kezna Dalz

Trois jeunes femmes issues de la génération Z – nées après 1995 – témoignent de leur rapport avec le mouvement féministe. La nouvelle génération ne redéfinit pas les féminismes, mais elle s’approprie plutôt les luttes de ses prédécesseures avec aplomb et un militantisme pluriel.

Le regard que posent ces jeunes féministes sur leurs pairs est teinté d’espoir, malgré la pression terrifiante de se voir définir comme la « génération de la dernière chance », surtout en matière d’environnement. La volonté d’améliorer les choses est palpable et correspond à un état d’esprit frondeur. « On est moins tolérantes et on a plus d’habilités pour se lever et dire que certaines choses n’ont aucun sens », confie l’artiste visuelle de 24 ans Kezna Dalz. « On a moins la langue dans notre poche que les générations d’avant. »

Ulivia Uviluk

Ce féminisme actuel se veut résolument inclusif, à la croisée de différents mouvements sociaux. Pour Ulivia Uviluk, militante et réalisatrice inuite de 23 ans, cette intersectionnalité est indispensable. « Déjà que rien n’est acquis pour les femmes dans nos sociétés, c’est encore plus difficile lorsqu’on est par exemple une femme trans ou de couleur. En tant que femme cisgenre, je me dois d’être une alliée pour ces personnes. »

Rejettent-elles pour autant les enseignements du passé? Non, mais elles se font critiques d’une histoire féministe qui n’a pas toujours inclus toutes les femmes et dans laquelle elles ont du mal à se reconnaître.

Un pont générationnel demeure toutefois possible si l’ouverture aux réalités actuelles et à de nouvelles notions est manifeste. « Il y a des gens qui pensent qu’on pleure pour rien lorsqu’on demande, par exemple, que nos pronoms soient bien utilisés, alors qu’on devrait voir ça d’une façon positive, exprime Ulivia. C’est dans le but que les gens soient bien dans leur peau. »

Tracé individuel

Kezna Dalz

Kezna s’est approprié l’appellation féministe assez jeune. Le moment où elle a découvert que porter fièrement ses poils était une option a été un déclencheur. Depuis, elle s’engage dans son quotidien à ne plus correspondre à l’image que l’on attend d’elle. « Mon art s’oppose aux standards de beauté qu’on nous propose depuis toujours. Mes personnages ne sont pas blancs, minces et n’ont pas les cheveux lisses. Parfois, ils ont des poils visibles sur les jambes et les aisselles. »

La comédienne de 17 ans Zeneb Blanchet se rappelle la période initiatrice qui a allumé sa flamme féministe. En 2018, elle montait sur scène aux côtés de 10 autres adolescentes dans la pièce La Déesse des mouches à feu de Geneviève Pettersen. « Je me rappellerai toujours la première réunion : c’était un plongeon dans un bassin de choses inconnues. J’ai tellement appris… j’ai appris à m’aimer. »

Ulivia partage son temps entre Montréal et Kangirsuk au Nunavik. Son engagement, elle le doit à sa famille et à l’éducation qu’elle a reçue et qui l’a sensibilisée aux différentes injustices. « Dans ma communauté, il y a très peu de ressources pour les femmes qui vivent de la violence conjugale. Ça donne un certain sentiment de perte de contrôle, de pouvoir et de dignité. »

Laisser le silence à d’autres

Zeneb Blanchet

Les prises de parole de cette jeunesse sont diversifiées et uniques. Ulivia utilise principalement le documentaire comme porte-voix. Avec Not just a MMIW (Pas seulement une femme autochtone disparue ou assassinée), réalisé en 2019, elle attire l’attention sur un sujet intime et douloureux : celui de devoir vivre en sachant sa mère disparue ou assassinée. « Ce n’est pas tout le temps facile et ça peut me rendre émotive. Et on sait que dans le milieu du militantisme, quand on a des émotions par rapport à un enjeu, il y a des gens qui prennent ça comme une perte de crédibilité.  »

De son côté, Kezna s’épanouit dans la voie de la création. « Je pense que mélanger art et protestation amène une accessibilité. C’est peut-être plus facile pour certaines personnes de porter attention à un message quand ça passe par l’art. » Le 8 février prochain paraîtra l’ouvrage illustré Dear Black Girls de Shanice Nicole, dont elle signe les images. Le projet, qui célèbre l’acceptation de soi, est un moyen de guérison pour l’enfant qu’elle a été.

Zeneb Blanchet voit dans son travail d’actrice l’occasion de prendre sa place. L’adolescente anime également le balado Parole d’ados sur les ondes d’Ici Première où elle donne la parole à des jeunes de son âge. « J’ai un pouvoir important avec ma voix, je trouve important de l’utiliser. Quand je ne l’avais pas, j’aurais aimé que quelqu’un me dise que c’est correct d’être qui tu es. Tu as ta place, tu as le droit d’être belle, tu as le droit d’être leader même si tu es une fille. »

Renouveau contestataire

Selon la sociologue et professeure au département de sciences sociales de l’Université du Québec en Outaouais Mélissa Blais, le féminisme de la génération Z n’est pas en opposition avec celui des générations précédentes. Au contraire, elle y observe une continuité et une réactualisation de tactiques de contestation loin d’être nouvelles, comme la dénonciation publique. « Je crois que tous les enjeux de luttes mis de l’avant par les mouvements féministes sont investis par les plus jeunes aussi. Il n’y a pas de rupture quant aux revendications et aux exigences de changement social. »

Si la jeunesse actuelle est souvent qualifiée d’hyperconnectée du fait qu’elle est née après l’émergence d’Internet, elle n’est pas pourtant emprisonnée dans les interfaces virtuelles. « On a eu un excellent exemple cet été avec ces mobilisations en pleine pandémie. Ce que j’y ai vu, ce n’est pas seulement les vieilles générations avec un capital militant et l’habitude de s’organiser, mais des plus jeunes qui ont d’abord expérimenté le militantisme 2.0 et qui se retrouvent à participer à quelque chose de visible. »

Elles font aussi preuve d’une grande impatience face à celles qui prétendent parler en leur nom, souligne Mélissa Blais, non sans ironie. « Ça ne passe plus. Ce qu’on entend, c’est “on a droit à notre espace, on les prend ces espaces, ne parlez pas à notre place”. »

Pour la professeure, cette génération fait partie d’un « nous diversifié, parfois en désaccord, d’autres fois en lien » avec les générations antérieures. « Je pense qu’elles manient très bien la contestation. Il ne faut pas qu’elles se découragent de la tâche en fait. Elles sont belles de leur colère. »