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Séraphine l’oubliée

Alors que tout le monde connaît les toiles du Douanier Rousseau, rares sont ceux qui ont déjà posé les yeux sur celles de Séraphine Louis dite de Senlis, peintre à la même époque.

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Alors que tout le monde connaît les toiles du Douanier Rousseau, rares sont ceux qui ont déjà posé les yeux sur celles de Séraphine Louis dite de Senlis, peintre à la même époque. Le film Séraphine, dont le rôle-titre est tenu par l’actrice belge Yolande Moreau, corrige cette injustice de l’histoire. Entrevue avec une comédienne qui gagne à être connue. En France, Yolande Moreau n’a plus besoin de présentation. Pilier de la troupe de théâtre loufoque Les Deschiens — popularisée par une série de capsules télé –, elle a aussi gagné sa place dans le cœur du public grâce à son rôle de concierge éplorée dans Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain. En 2004, elle dévoilait l’étendue de son univers poétique singulier dans sa première réalisation, Quand la mer monte, lauréat du César du meilleur premier film. Au Québec, par contre, son nom reste peu connu, malgré la présentation, il y a 20 ans, de son one-woman show La Sale Affaire du sexe et du crime au Festival Juste pour rire. Heureusement, Séraphine, réalisé par Martin Provost, nous permet enfin de la découvrir. Yolande Moreau y joue Séraphine de Senlis, une femme de ménage au destin hors du commun dans la France de 1912, dont les toiles naïves furent découvertes par un collectionneur d’art. Rencontrée en octobre lors du Festival du Nouveau Cinéma, à Montréal, Yolande Moreau nous a parlé de ce rôle émouvant.

Gazette des femmes : Qu’est-ce qui vous a plu dans le personnage de Séraphine ?

Yolande Moreau : Son parcours absolument exceptionnel m’a touchée. Je l’admire beaucoup. À l’époque, les femmes qui pouvaient faire de l’art étaient rares. Surtout quand elles étaient pauvres et seules, comme Séraphine. Mais rien ne l’a arrêtée, elle s’est jetée corps et âme dans la peinture, en autodidacte. Elle n’a jamais été victime de sa situation : c’était une femme de la campagne, une femme forte. Elle était riche, complexe, singulière. Pour une comédienne, c’est un personnage fabuleux à interpréter. Un véritable cadeau. Et je dois ajouter que j’éprouve aussi une certaine tendresse pour les gens qui, comme elle, trouvent un exutoire dans l’art.

Quand on regarde le film, on a vraiment l’impression d’une rencontre entre une comédienne et un personnage. Avez-vous aussi eu ce sentiment ?

Lorsqu’on interprète un personnage réel, c’est toujours plus complexe : on veut s’approprier son histoire sans tomber dans l’imitation. Le réalisateur et moi, nous avons donc fait en sorte que notre approche reste très pudique. Mais il est exact de dire qu’une connexion s’est établie entre elle et moi. En fait, dès que Martin Provost m’a proposé le rôle, je me suis dit : « C’est pour moi ! » Par exemple, pour l’interpréter, j’ai dû apprendre des chants religieux, ce qui m’a rappelé ce que j’appelle ma grande période mystique, à 12 ans (rires). J’ai aussi suivi des cours de peinture qui ont réveillé des souvenirs de mon adolescence. Et Martin m’a montré une caricature de Séraphine, faite par un habitant de Senlis, qui me ressemble vraiment ! Le plus troublant, c’est que bien qu’étant agnostiques, nous avions vraiment l’impression que Séraphine était avec nous pendant le tournage. Comme si elle nous accompagnait tandis qu’on essayait de lui rendre une partie de ce qu’elle n’avait pas eu, en faisant découvrir son travail. Parfois, quand je me sentais décrocher, je disais tout haut : « Séraphine, reste avec moi. »

En voyant Séraphine, on pense à Isabelle Adjani dans Camille Claudel. Ce film faisait-il partie de vos références pour interpréter le personnage principal ?

Je ne l’ai pas vu. Je ne voulais pas voir de films dont le sujet se rapprochait trop du nôtre. Par contre, Martin m’a suggéré plusieurs films pour me montrer ce qu’il aimait et me suggérer des pistes. Il voulait que mes gestes soient à la fois crédibles et bien à moi. Il m’a donc fait voir Les Portraits d’Alain Cavalier, une série de 24 films sur des femmes exerçant des petits métiers en voie de disparition. Mais pour construire le personnage, le film qui m’a le plus marquée, c’est Last Days de Gus Van Sant. De façon indirecte, je me suis inspirée de ce personnage qu’on voit souvent de dos, de sa façon d’effleurer les arbres et de parler à la rivière, de sa démarche qui transmet déjà quelque chose de douloureux. Séraphine aussi était empreinte de ce rapport très puissant et très intime à la nature.

Pensez-vous qu’il est plus difficile d’être artiste quand on est une femme ?

J’ai l’impression que l’histoire est plus injuste avec les femmes artistes, notamment avec celles du début du siècle. Heureusement, les choses ont changé. Je crois que c’est aujourd’hui plus facile pour une femme de réussir à se faire une place et à s’exprimer artistiquement. Le combat est cependant loin d’être gagné. Il n’y a qu’à regarder le milieu du cinéma : les femmes ont encore du mal à occuper des postes de pouvoir, en production ou en réalisation.

Justement, vous êtes vous-même réalisatrice. Après ce passage devant la caméra, retournerez-vous bientôt derrière ?

J’aimerais en effet réaliser de nouveau. Mais je laisse les choses au hasard. En tant que comédienne, mes projets sont plus précis. Je vais jouer dans Louise Michel, de Benoît Delépine et Gustave Kervern, un film sur l’histoire d’ouvrières qui veulent se venger de leur patron, et dans Attila Marcel, le prochain film de Sylvain Chomet [NDLR : réalisateur des Triplettes de Belleville], pour lequel je suis en train d’apprendre le ukulélé. De belles aventures en perspective !