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Elles se relèvent encore et encore

Des femmes autochtones témoignent de leur résilience

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Temps estimé de lecture :5 minutes

Bandeau :Photo principale : Illustration : Meky Ottawa – Courtoisie Éditions Hannenorak

Malgré la violence, les abus, la toxicomanie et l’itinérance, elles renaissent, toujours plus fortes. Elles se relèvent encore et encore. C’est le titre du livre de la chercheuse et autrice Julie Cunningham, publié aux Éditions Hannenorak, quelques jours à peine avant le drame cruel qui a coûté la vie à Joyce Echaquan. L’œuvre regroupe les témoignages résilients de 11 femmes autochtones de Montréal et de Val-d’Or ayant subi des traumatismes reliés aux pensionnats. Des récits illustrés par l’artiste atikamekw Meky Ottawa.

« Ce sont des femmes dont la vie est traversée par l’héritage des pensionnats indiens, que ce soit parce qu’elles y sont passées elles-mêmes ou parce que leur mère ou leur père y est allé », indique Julie Cunningham. Initialement, l’autrice a rencontré ces femmes en 2014, dans le cadre de son doctorat mené avec le Réseau DIALOG (Réseau de recherche et de connaissances relatives aux peuples autochtones). L’idée de rassembler leurs histoires dans un livre grand public est venue en fin de parcours de sa thèse. « Je me questionnais sur la place qu’on allait accorder à leurs récits. C’est à ce moment qu’on s’est dit qu’on pouvait transformer ces contenus-là en livre. »

Les témoignages du livre sont réels, mais Julie Cunningham a imaginé la rencontre qui lie ses héroïnes dans un cercle de partage. « Je voulais replacer le récit dans un contexte culturellement significatif. Mais il y a quand même eu, par la suite, deux rencontres entre les femmes et une aînée dans le cadre desquelles on a discuté du livre. On l’a présenté et elles l’ont commenté », explique-t-elle.

L’artiste atikamekw de Manawan Meky Ottawa a illustré chacun des récits. « C’est un vrai bijou, ce livre », dit celle qui y est pour beaucoup. Entre les témoignages parfois durs des femmes, ses illustrations de mains, de visages, de branches d’arbres ou de bâton de parole accordent aux lecteur·trice·s un temps de pause et de réflexion rempli de beauté. « Moi, j’étais là pour les interpréter. J’ai tout lu et je me suis inspirée de leurs mots – parfois d’une partie de leur histoire ou d’une phrase. »

La résilience

Illustration : Meky Ottawa – Courtoisie Éditions Hannenorak

Le titre Elles se relèvent encore et encore fait référence à la résilience de ces femmes qui, malgré les sévices qu’elles ont endurés et les épisodes de dépendance et d’itinérance qu’elles ont vécus, se sont relevées à de multiples reprises. « Oui, il y a eu plusieurs cycles où elles sont retombées, mais la situation a changé pour beaucoup d’entre elles. Elles portent encore des blessures, mais elles vivent une vie avec leur famille, elles ont renoué des relations avec des enfants, des petits-enfants, ce n’est pas qu’une histoire difficile », soulève l’autrice.

C’est entre autres le cas de Fay Virginia Desjardins, présentée comme Odette dans le livre. Originaire d’une communauté de la Saskatchewan et adoptée à l’âge de quatre ans par une famille québécoise, elle a subi des abus sexuels, connu des problèmes de consommation, un épisode d’itinérance et de la violence conjugale. Dans la trentaine, elle a réussi à renouer avec ses racines et à connaître un mode de vie stable. Malgré les émotions intenses de l’époque, elle a su apporter son aide à d’autres femmes autochtones dans la rue et en services correctionnels. Raconter son histoire fait partie de son processus de guérison. « Plus je raconte mon histoire, plus je me l’approprie. Parfois on se dissocie de ce qu’on a vécu à cause de plein de sentiments de honte et de peur. »

Julie Cunningham constate également que la résilience des femmes autochtones rencontrées est grandement attribuable à la présence d’autres femmes significatives dans leur enfance difficile. « Il y avait beaucoup de souvenirs heureux liés à une grand-mère ou à une tante. C’était une des sources de la résilience qu’elles portaient. Ces rapports positifs, aimants, affectueux et bienveillants avaient laissé des traces et faisaient en sorte qu’elles étaient capables de se relever comme elles le font. »

Un outil pour apprendre

Au-delà de l’esthétisme du livre et des émotions suscitées par l’authenticité de la voix des femmes autochtones, Julie Cunningham croit que l’ouvrage s’adresse à un large public et qu’il peut servir d’outil de sensibilisation. « Il y a très peu de littérature qui est autochtone ou qui parle de leurs points de vue. On réalise que la majorité de la société en sait très peu sur les réalités autochtones. C’est un outil, comme d’autres, pour pouvoir apprendre à mieux se connaître ».

« Comme beaucoup d’autres enfants de l’époque, [ma mère] s’est fait “prendre” alors qu’elle était à l’extérieur de la maison. Puis, on l’a emmenée au pensionnat où elle a vécu un grand nombre de traumatismes. Elle m’a eue à l’âge de seize ans. »

« Bien qu’aujourd’hui j’aie une vie stable, un toit et que je me sente solide spirituellement et émotionnellement, j’ai vécu un épisode d’itinérance qui a duré approximativement un an… »

– Extraits, Elles se relèvent encore et encore

C’est l’une des raisons qui ont incité le Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or à collaborer au projet. L’organisme, qui apporte une pléiade de services aux Autochtones en milieu urbain, a contribué à mettre en contact l’autrice avec des femmes. « C’est plus qu’une lecture de témoignages. Il faut que ça serve! Je pense par exemple à la formation des futurs travailleurssociaux », suggère la directrice générale, Édith Cloutier. « Il y a une constante dans leur message. Elles ont fait ce qu’elles ont fait parce qu’elles ne veulent pas que leurs filles et petites-filles vivent la même chose. »

Remonter la pente et redonner aux suivantes

Maggie Chittspattio, qui a elle aussi livré son témoignage à Julie Cunningham sous le nom de Kirsty, espère que son histoire inspirera d’autres femmes en difficulté – autochtones ou non. « En lisant le livre, j’étais vraiment impressionnée de tout le chemin que j’ai parcouru », se réjouit-elle. Au moment où elle a rencontré l’autrice, elle était sans domicile fixe avec ses enfants, et espérait pouvoir un jour être une de celles qui aident les autres dans des situations de toxicomanie ou itinérance.

« C’est là que je suis aujourd’hui! Wow! Je l’ai fait! » réalise celle qui soutient maintenant des Autochtones en situation d’itinérance à Montréal. Du haut de son cheminement, elle souhaite partager cette leçon. « C’est OK, peu importe où tu en es dans ta vie, d’aller demander de l’aide et de ne pas avoir honte de le faire. Quand on prend le temps de se guérir, c’est un long parcours, mais ça ne fait qu’aller de mieux en mieux. »