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L’égalité vue par Geneviève Pettersen

Il faut apprendre à nos filles à ne dépendre de personne. Ça signifie aussi qu’il ne faut jamais remettre sa destinée financière entre les mains de quelqu’un d’autre.

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Temps estimé de lecture :4 minutes

Bandeau :Photo : © Krystel V. Morin

Peut-être est-ce parce qu’elle a choisi de plonger à la fois dans les mondes merveilleux de la sociologie des religions et de la littérature pendant ses études que Geneviève Pettersen jette aujourd’hui un regard aussi précieux et précis sur les tendances sociales. Autrice, animatrice et scénariste, elle s’illustre dans tous les médias. Sa bande dessinée romanesque 13e Avenue, parue en 2018 aux éditions La Pastèque, a remporté le Prix des libraires du Québec 2020 dans la catégorie BD Jeunesse Québec. Véritable succès littéraire, son premier roman, La déesse des mouches à feu, a été adapté pour le cinéma sous la direction d’Anaïs Barbeau-Lavalette, avant d’être sélectionné au festival du film de Berlin, la Berlinale. Geneviève Pettersen a accepté de nous parler d’égalité et ses réponses sont à son image : puissantes.

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La femme à laquelle vous devez tout? Pour quelles raisons?

Ma mère. Sans elle, je ne serais pas où je suis. C’est pas mêlant, elle viendrait me porter des oranges en prison quoi que je fasse. C’est grâce à son amour inconditionnel que j’ai pu accomplir tout ce que j’ai réalisé jusqu’à maintenant, en testant chacune de ses limites (pauvre ma mère). Elle m’a montré que je pouvais avancer tête baissée dans l’existence et dans mes projets sans me préoccuper de ce que les autres penseraient de moi. Et dans mon métier, c’est précieux. Pouvoir être ce que l’on est en sachant qu’ultimement, il y aura quelqu’un au bout.

Du sexisme, on en retrouve encore dans l’espace public? Donner un exemple.

Regardez les hommes dans la sphère publique. Et, ensuite, regardez les femmes. Elles sont presque toutes jeunes et belles. L’apparence physique des hommes ainsi que leur âge sont rarement un enjeu dans leur prise de parole. Tandis que les femmes vieillissantes, les femmes qui s’éloignent des standards, deviennent invisibles avec le temps. Alors qu’elles ont toute l’expérience et le bagage nécessaire pour occuper une place de choix dans la discussion sociale.

Parlez-nous d’un moment clé dans votre vie personnelle, dans votre carrière, où vous avez pris conscience que l’égalité n’était pas réellement atteinte.

Un patron m’a déjà dit qu’il fallait que je me méfie de ce dont j’avais l’air à la TV. Il m’a dit que parce que j’avais une apparence physique agréable et que j’étais une femme, je partais avec une prise contre moi. Les auditeurs, d’emblée, me trouveraient moins crédible. C’était… en 2019. Ce n’est pas la faute de ce patron en question. Il essayait de me prévenir contre une injustice qui est encore malheureusement présente dans le monde des médias : on accorde moins de crédibilité aux femmes, encore moins si elles correspondent aux standards de beauté en vigueur. Paradoxalement, on a en quelque sorte besoin de cette « apparence » si on veut avoir une chance d’être à l’écran. C’est comme si on ne pouvait pas gagner à ce jeu-là.

Le plus sûr garant de l’égalité, c’est…

L’indépendance économique. Pour moi, c’est la pierre angulaire de l’égalité entre les femmes et les hommes. Combien de femmes restent prises dans des relations parce qu’elles ne sont pas indépendantes économiquement? Combien d’entre elles subissent de la violence économique? Beaucoup trop. Il faut apprendre à nos filles à ne dépendre de personne et à être maîtres de leur compte de banque et de leur futur financier. Ça implique de comprendre comment ça fonctionne, l’argent (ce qui n’est pas encouragé socialement). Ça signifie aussi qu’il ne faut jamais remettre sa destinée financière entre les mains de quelqu’un d’autre. À cela s’ajoute cet éternel combat pour l’égalité des salaires. C’est inacceptable que dans plusieurs professions, à compétences égales, les femmes soient encore moins bien rémunérées que leurs congénères masculins. Il faut apprendre aux jeunes filles à négocier leur valeur et à se sentir aussi légitimes qu’un homme d’occuper certains postes. Les institutions ont aussi leur bout de chemin à faire.

Le meilleur conseil qu’une femme vous ait donné?

Tu ne pourras jamais tout avoir en même temps. Si tu veux réussir dans la vie, il va falloir que tu acceptes que, parfois, tu négliges ta famille au profit de ta carrière et que, souvent, l’inverse sera aussi vrai. Évacue le sentiment de culpabilité de ton existence. C’est ce dont se sert la société pour te faire rentrer dans le rang. C’est pas grave de vouloir plus et d’être ambitieuse. C’est l’Église qui a essayé de nous rentrer dans la tête que la maternité était le moyen ultime d’accomplissement de la femme et que l’ambition n’était pas une valeur « féminine ». Ce ne sera pas toujours facile, mais envoie tout ça chez le bonhomme, pis sois toi! Pour le meilleur et pour le pire, parfois.