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Le travail, c’est la santé?

Retrait préventif menacé, employées enceintes discriminées, problèmes musculo-squelettiques et santé mentale mise à rude épreuve …

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Retrait préventif menacé, employées enceintes discriminées, problèmes musculo-squelettiques et santé mentale mise à rude épreuve: disons que ça pourrait aller mieux pour les travailleuses québécoises.

Le monde du travail connaît une période houleuse, marquée par des emplois précaires, des horaires atypiques qui empiètent de plus en plus sur les temps libres, etc. La situation affaiblit forcément le rapport de force des travailleurs — particulièrement des travailleuses. On n’a qu’à penser aux vaines tentatives de syndicalisation des employés de Walmart. Un secteur de la vente — les grandes surfaces — qui compte beaucoup d’emplois féminins.

Les travailleuses enceintes figurent parmi les plus vulnérables. Certes, elles sont les seules, dans tout le Canada, à bénéficier d’un retrait préventif rémunéré, qui relève du programme Pour une maternité sans danger, créé en 1981 en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité du travail. Mais attention, prévient Katherine Lippel, professeure, chercheuse spécialisée et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit de la santé et de la sécurité du travail : « De plus en plus, ce droit est menacé.Le Conseil du patronat du Québec 1 le remet en question. Il faut aujourd’hui se battre pour conserver cet acquis. »

Karen Messing est chercheuse en ergonomie et en santé au travail au Cinbiose, un centre de recherche collaborateur officiel de l’Organisation mondiale de la santé, et professeure titulaire retraitée du Département de sciences biologiques de l’Université du Québec à Montréal. Elle note qu’encore en 2011, les travailleuses enceintes 2 sont victimes de préjugés, comme celui voulant que ce ne soit pas à l’employeur de payer leur congé de maternité puisque ce sont elles qui ont choisi d’avoir un enfant. « Les femmes sont donc parfois réticentes à revendiquer ce droit », souligne-t-elle.

Même chose avec la famille. Elle constate que les femmes ont tendance à ne pas aviser leur employeur lorsque leur enfant est malade. « Elles se sentent obligées de rendre leur famille invisible. Il y a là un danger de surmenage et d’anxiété, s’inquiète-t-elle. Surtout quand on sait que des femmes choisissent de prendre leurs propres congés de maladie pour s’occuper de leur enfant malade et non pour se soigner. »

Attention au corps… et à la tête

On le sait, plusieurs emplois typiquement féminins imposent de longues heures de travail debout ou dans une position statique. Et malgré les mesures visant à limiter les douleurs qui pourraient en découler, les améliorations tardent à venir. La preuve : en 1989, un jugement a reconnu que les caissières québécoises devaient s’asseoir afin de ménager leur santé, comme les caissières européennes. « Mais dans les faits, rien n’a changé, sauf dans les banques où un siège est mis à leur disposition. Mais est-ce réellement facile pour elles d’y avoir accès? s’interroge Mme Messing. Malheureusement, dans notre culture nord-américaine, les caissières doivent rester debout! » Ce qui, avouons-le, est absurde. D’autant plus que les troubles musculo-squelettiques, fréquents chez plusieurs travailleuses, sont souvent liés à la position debout et statique ou au travail rapide et précis sollicitant les membres supérieurs. Pensons aux caissières, mais aussi aux réceptionnistes, aux vendeuses, aux serveuses et aux travailleuses en usine.

Karen Messing a pu observer que, typiquement, les femmes souffrent de douleurs chroniques alors que les hommes subissent plutôt des accidents. Les problèmes de santé au travail sont donc moins frappants chez les femmes, mais plus sournois, car plus difficiles à cerner.

Mais il n’y a pas que leur corps qui souffre. Les problèmes liés à la santé mentale, dont l’anxiété et la dépression, sont également élevés chez les travailleuses. Depuis 1988, plusieurs jugements sont venus rappeler que le stress chronique peut être considéré comme une lésion professionnelle. Petite victoire : en janvier, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) a enfin reconnu le lien entre le stress au travail et la santé mentale. « Elle n’a eu d’autre choix que de se rallier à la jurisprudence. Une première! On admet ainsi que le stress peut mener à une indemnisation et on reconnaît que la santé mentale relève de la CSST. Pour la prévention, mais aussi pour l’indemnisation. C’est une très bonne nouvelle pour les femmes! » se réjouit Katherine Lippel.

Peut-on espérer pour autant que les conditions de travail des femmes s’amélioreront? Karen Messing se dit relativement optimiste, rapportant notamment qu’un grand commerce de détail a entrepris des démarches en vue de permettre une plus grande conciliation travail-famille à son personnel. « En raison du trou démographique qui s’en vient, dit-elle, les employeurs seront peut-être plus enclins à faire des compromis et à améliorer les conditions des travailleuses. » Espérons-le.

  1. 1Le Conseil du patronat du Québec

    Dans une lettre adressée à l’ensemble des députés de l’Assemblée nationale en juin 2010, le président du Conseil du patronat du Québec, qui regroupe plusieurs des plus grandes entreprises de la province, plaidait en faveur d’une réforme du programme Pour une maternité sans danger. Selon lui, les coûts annuels, de l’ordre de 250 millions de dollars et payés entièrement par les employeurs, sont trop élevés et dépassent largement les prévisions de 1981, estimées alors à 8 millions de dollars par année. La solution proposée? Intégrer le programme au Régime québécois d’assurance parentale afin de s’assurer que les coûts soient partagés en parts égales entre les travailleurs et les employeurs. Le Conseil soulignait en outre qu’aucune étude d’impact n’avait été effectuée au cours des 29 ans d’existence du programme, et que les statistiques ne montraient aucune amélioration significative liée aux issues défavorables de la grossesse que ce programme veut éviter.

  2. 2Les travailleuses enceintes

    Pendant l’année financière 2009-2010, la Commission des normes du travail a traité 325 plaintes de femmes enceintes qui ont été congédiées ou qui ont subi des représailles en raison de leur grossesse. Et 250 autres plaintes contestent un congédiement à la suite d’un congé de maternité ou d’un congé parental (plaintes déposées sans distinction de sexe).