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Ultramodernes solitudes

Dans une société qui dessine les contours des relations humaines au pochoir de la logique marchande, la solitude n’est plus l’affaire d’une minorité invisible.

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Dans une société qui dessine les contours des relations humaines au pochoir de la logique marchande, la solitude n’est plus l’affaire d’une minorité invisible. Bien au contraire. Selon Marie-France Hirigoyen, c’est peut-être même le seul moyen de s’extraire de la superficialité des nouveaux mécanismes de l’amour.

La psychiatre et psychanalyste française met brutalement la table dans Les Nouvelles Solitudes, un essai aux prémisses troublantes. Portrait des relations amoureuses d’une noirceur abyssale, son livre se veut aussi un plaidoyer en faveur d’une solitude porteuse de ressourcement, de découverte de soi, mais qui, surtout, permet d’aller vers l’autre.

Depuis sa résidence parisienne, à quelques encablures du cabinet où elle reçoit les patients dont les récits émaillent ce nouvel ouvrage, elle expose son point de vue sur ce cul-de-sac relationnel, tout en entretenant l’espoir.

Disparition des balises sociales et morales, attentes démesurées, consumérisme amoureux… Ce livre est-il une mise en accusation de notre époque comme principale cause des solitudes modernes ?

En partie, oui. Nous vivons dans une époque difficile, où les personnes se sentent de plus en plus seules, où il y a une pression considérable pour aller vite, consommer, être beau, performant… tout le temps. Dans cela, on oublie l’humain, et le relationnel.

Quand vous affirmez qu’on oublie l’humain, vous voulez dire qu’on oublie que nous sommes imparfaits ?

Exactement. Un être humain, ce n’est pas un robot; il a des hauts, des bas, des fragilités… Il faut le prendre comme tel et accepter que l’autre qu’on va rencontrer ne sera pas tout à fait le modèle idéal qu’on nous vante dans les médias.

Ce qui nous place devant les statistiques accablantes que nous connaissons à propos des couples et, par conséquent, devant ces nouvelles solitudes de plus en plus fréquentes. Parmi celles-ci, vous notez qu’un nombre croissant de femmes renoncent à toute vie sexuelle et affective. C’est assez radical comme choix, non ?

Beaucoup de femmes en ont marre d’en faire trop, d’être parfaites en tout. Mais ce repli total, ce désabusement dont vous parlez, je crois qu’il n’est vécu que par une minorité. Ce que je vois, ce sont des personnes qui en ont assez de cette quête amoureuse effrénée où l’on veut trouver le partenaire idéal, bien sur tous les plans. Elles choisissent la solitude comme une façon d’attendre la réapparition du désir. Car quand on sent l’obligation de se remplir avec des rencontres, du sexe, on n’attend plus rien. On n’est plus dans le désir puisqu’on a tout à portée de la main. C’est le problème de certains sites de rencontres?: on a l’impression qu’on a des milliers de partenaires possibles, donc on peut se permettre d’être d’une exigence terrible et passer de l’un à l’autre dans l’espoir de trouver l’amour.

Vous trouvez ce choix de la solitude désespéré ou téméraire ?

Au fond, ce n’est pas vivre seul pour vivre seul, c’est un refus de la superficialité que peut nous amener notre société. Je trouve courageux et excessivement positif que des gens disent?: « ?Nous, ce n’est pas d’un monde comme celui-là que nous voulons.? » Aussi, je vois de plus en plus de personnes qui ont renoncé au couple traditionnel mais qui ne sont pas pour autant isolées des autres. Elles joignent des associations, souvent pour aider d’autres gens. Le relationnel a changé. De nouvelles formes de solidarité se développent. D.D.

Marie-France Hirigoyen, Les Nouvelles Solitudes, La Découverte, , 212 p.