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Dépression postnatale : La source du mal

Pour surmonter la détresse qui suit l’accouchement, les nouvelles mamans ont davantage besoin de soutien que d’un traitement médical.

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Reconnue officiellement depuis 20 ans, la dépression postnatale affecterait entre 10 et 20 % des nouvelles mamans. Si on l’attribue fréquemment à un déséquilibre hormonal, certains chercheurs examinent la piste de l’environnement social pour élucider ses origines. Défrichage avec la chercheuse Catherine des Rivières-Pigeon.

Souvent, les mères qui font l’objet d’un diagnostic de dépression postnatale traversent une situation financière difficile, vivent une relation de couple tendue et reçoivent peu de soutien familial. Des facteurs dont peu d’études font état. Ne néglige-t-on pas les causes sociales de la détresse, par ailleurs bien réelle?

« La maladie est trop souvent vue comme quelque chose qui se passe à l’intérieur du corps sans égard à l’environnement. Dès qu’un trouble semble relever de la médecine, on offre des traitements médicaux. »

— Catherine des Rivières-Pigeon

L’enseignante en sociologie de la santé à l’Université du Québec à Montréal s’interroge sur l’incidence de la médicalisation de certains phénomènes, en prenant soin de mentionner que rien n’est blanc ou noir. L’alcoolisme est aujourd’hui considéré comme une maladie. À l’inverse, l’homosexualité,qui a longtemps été reconnue comme une pathologie, ne l’est plus.

Il reste qu’en raison des avancées technologiques et de la force du lobby de l’industrie pharmaceutique, la société évolue vers une médicalisation de la santé. De nouvelles maladies apparaissent, et avec elles, de nouveaux médicaments.

Mme des Rivières-Pigeon, qui détient un doctorat en santé publique et qui a consacré ses recherches postdoctorales à la dépression postnatale, s’est beaucoup questionnée sur les conséquences d’un verdict, ou non, de normalité. « À partir de quel moment le fait d’être extrêmement triste à la suite du décès d’un proche ou d’un divorce devient-il pathologique? Une situation difficile ne débouchera pas systématiquement sur une dépression. Et si c’est le cas, on ne parlera pas de dépression post-divorce, mais de dépression tout court. Alors pourquoi parler de dépression postnatale? » demande la chercheuse, qui voit au-delà de la nature heureuse (ou non) de l’élément déclencheur. « Mes recherches ne disent pas que les nouvelles mères ne peuvent pas souffrir de dépression, mais je me demande en quoi ces dépressions sont différentes des autres, et si elles nécessitent un diagnostic particulier. »

Car si la dépression après l’accouchement est fréquemment attribuée à un déséquilibre hormonal, bien peu de données scientifiques appuient cette thèse biologique, signale la chercheuse. Qui plus est, les femmes qui font une dépression dans les six mois suivant la naissance d’un enfant ont souvent vécu un ou plusieurs épisodes dépressifs auparavant. En fait, les mères d’enfants plus âgés sont plus nombreuses à faire une dépression que les nouvelles mamans, et plus nombreuses également à prendre des antidépresseurs. Cet élément s’ajoute au questionnement de la chercheuse sur la pertinence d’un diagnostic propre aux mères de nouveau-nés.

Car être mère et malheureuse demeure très stigmatisant. Un diagnostic officiel pourrait permettre à la nouvelle maman triste et désemparée de se sentir moins coupable, moins mésadaptée, et d’éviter de se qualifier de « mauvaise mère ». Si elle ne se sent pas à la hauteur, c’est qu’elle s’estime malade. Et à soigner.

Mais la honte s’évapore-t-elle avec le sceau du médecin? Mme des Rivières- Pigeon croit que les bénéfices de ce diagnostic sont assez limités. « Rien ne permet de croire que le fait d’avoir un diagnostic propre aux nouvelles mères ait amélioré la condition de celles qui souffrent. Car plusieurs des causes de leur détresse restent oubliées. »

Tissé serré, c’est plus solide

Les travaux de Mme des Rivières-Pigeon confirment que l’environnement social joue un rôle important dans la dépression des nouvelles mamans. À preuve, les taux de détresse varient énormément d’une culture à l’autre, principalement en raison de structures sociales qui permettent de bien (ou de moins bien) traverser la maternité. « J’ai comparé la détresse des nouvelles mères au Québec, en France et en Italie. Les Québécoises étaient davantage déprimées que les Françaises, et les Françaises, davantage que les Italiennes. La grosse différence que nous avons perçue, c’est que les mères, surtout celles à risque, étaient beaucoup plus entourées en Italie », rapporte la chercheuse. En Italie, les nouvelles mères recevaient systématiquement l’aide de leur mère ou de leurs soeurs. Et presque toutes les mères célibataires vivaient chez leurs parents, ce qui n’était le cas d’aucune mère célibataire québécoise ayant participé à la recherche.

En résumé, les mères québécoises se sentiraient plus isolées. Même celles qui vivent en couple sont souvent insatisfaites du soutien apporté par leur conjoint. « Au Québec, le partage inéquitable des tâches domestiques, surtout celles qui concernent les soins aux enfants, est associé à la détresse », signale Mme des Rivières-Pigeon. En Italie, les nouvelles mamans nourrissent moins d’attentes envers leur conjoint. Elles sont donc moins déçues.

S’il est important que les professionnels de la santé accordent une réelle attention aux nouvelles mères souffrantes, la situation dépasse largement le seul travail des intervenants en santé. « C’est à mon avis une question de société. C’est elle qui doit changer afin que les mères se sentent mieux épaulées »,conclut Mme des Rivières-Pigeon.