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L’ADS, un outil essentiel pour l’après-pandémie

Pour des prises de décisions égalitaires et éclairées

Date de publication :

Auteur路e :

Bandeau :Photo : © NathB

Il y a maintenant 25 ans, en 1995, se tenait à Beijing la quatrième Conférence mondiale sur les femmes, sous l’égide des Nations Unies. Le gouvernement du Québec prenait alors l’engagement d’instaurer l’analyse différenciée selon les sexes (ADS) dans les pratiques gouvernementales.

L’ADS se définit comme une approche de gestion visant à discerner de façon préventive, au cours de la conception d’une intervention gouvernementale, les répercussions potentielles que pourrait avoir leur adoption sur les femmes et les hommes compte tenu de leurs conditions socio-économiques particulières. L’ADS se veut un outil de prise de décisions dans le respect du principe de l’égalité entre les femmes et les hommes.

Selon la Stratégie gouvernementale pour l’égalité entre les femmes et les hommes (2017-2021) du Secrétariat à la condition féminine du Québec, la mise en œuvre de l’ADS dans l’appareil gouvernemental est difficilement mesurable et ses résultats demeurent mitigés, ou peu visibles, malgré les efforts déployés. Il est permis de penser que l’un des freins majeurs à sa plus grande utilisation réside dans la perception que l’inégalité socio-économique entre les hommes et les femmes n’est plus un enjeu comme ce fut le cas auparavant. Ceci dit, et bien qu’il faille reconnaître que des progrès considérables aient été accomplis, il nous reste encore un long chemin à parcourir pour atteindre l’égalité.

Les femmes rencontrent encore aujourd’hui plus de difficultés que leurs collègues masculins au cours de leur parcours professionnel en raison des biais, des stéréotypes, des enjeux de la conciliation travail-famille, des absences dues à la maternité et des politiques d’entreprise peu ou mal adaptées aux particularités de la condition féminine. Tout ceci fait en sorte que trop peu de femmes atteignent les plus hauts échelons de nos organisations. En effet, encore seulement 4 % des postes à la présidence et chef de la direction dans la grande entreprise au Canada sont occupés par des femmes. Aucune femme n’occupe cette fonction parmi les entreprises membres du TSX60.

Nous sommes donc loin d’avoir atteint l’objectif d’une égalité des chances. De plus, la pandémie et la crise économique qui en découle semblent déjà indiquer que les défis associés à la relance de l’économie dans l’après-pandémie pourraient être fort différents chez les femmes et les hommes. Voyons cela de plus près.

Impacts et conséquences de la crise sanitaire

Au Canada et au Québec, comme partout ailleurs dans le monde, la pandémie a durement frappé le marché de l’emploi. Le taux de chômage au Québec est passé d’un plancher de 4,5 % en février à 17 % en avril. Or, sur le marché du travail, les femmes continuent d’être surreprésentées dans des postes moins bien rémunérés ou à temps partiel, rendant leur statut d’emploi plus fragile que celui des hommes. De surcroît, le phénomène est amplifié en période de crise.

Statistique Canada a estimé que les catégories d’emplois temporaires ou vulnérables, où les femmes sont surreprésentées, avaient été particulièrement affectés par les pertes d’emplois. La majorité des emplois perdus se trouvait dans les secteurs de l’hébergement, de la restauration et du commerce de détail, là où les femmes sont les plus nombreuses. Ces résultats laissent supposer que les défis associés à la relance de l’économie à la suite de la crise économique liée à la COVID-19 pourraient être différents chez les hommes et chez les femmes, a indiqué Statistique Canada dans son rapport.

Il est permis de penser que l’un des freins majeurs à la plus grande utilisation de l’ADS réside dans la perception que l’inégalité socio-économique entre les hommes et les femmes n’est plus un enjeu comme ce fut le cas auparavant.

La pandémie a également eu des impacts significatifs sur la conciliation travail-famille chez les ménages en raison de la fermeture des écoles et des garderies ou de leur ouverture partielle. Bien que la distribution des responsabilités familiales au sein du couple tende vers un meilleur équilibre que par le passé, les femmes demeurent toujours davantage sollicitées par les aléas de la conciliation travail-famille, avec la multiplication des tâches reliées à la famille et à l’éducation des enfants qui se complexifient en temps de pandémie.

Au Canada, un rapport récent rendu public par la Canadian Women’s Chamber of Commerce, a dévoilé des statistiques accablantes dans la foulée de la pandémie. Selon cette étude, 53 % des femmes entrepreneurs ont dû composer avec un fardeau familial additionnel, contre 12 % pour les hommes entrepreneurs. Le même sondage a révélé que 61 % des entreprises détenues par des femmes avaient perdu des contrats ou des clients, contre une moyenne de 34 % pour l’ensemble des petites entreprises canadiennes. La crise de la COVID-19 ne semble donc pas frapper les hommes et les femmes de la même manière.

Une approche différenciée requise pour la relance économique

Ces quelques exemples plaident pour une approche différenciée selon les sexes pour élaborer les politiques qui sous-tendront la relance socio-économique en faisant appel, notamment, aux nouvelles technologies et au télétravail. Or, les femmes demeurent minoritaires dans les domaines tels que les technologies numériques, l’ingénierie et l’informatique.

En mars 2019, le magazine Québec Science rapportait que les femmes ne forment que 20 % de la main-d’œuvre dans le domaine des sciences et des technologies au Canada. Elles obtiennent moins de subventions de recherche que les hommes, touchent de moins généreux salaires, accèdent plus difficilement aux postes de professeurs et de gestionnaires, sont moins souvent invitées comme conférencières lors de rencontres internationales et reçoivent moins de prix prestigieux.

Cette disparité entre les sexes est d’autant plus alarmante que les carrières en sciences, technologie, ingénierie et mathématiques (STEM) sont souvent désignées comme les emplois du futur et, en quelque sorte, le moteur de l’innovation, du bien-être social, d’une croissance inclusive et du développement durable.

Dans le monde de l’après-pandémie, tout semble indiquer que les entreprises feront de plus en plus appel au télétravail. En supposant que les femmes seront probablement plus enclines à favoriser ce mode de travail pour faciliter la conciliation de travail-famille, des effets pervers sont vraisemblablement à prévoir. La progression de carrière étant basée sur la performance des employé·e·s, mais également sur les relations en personne que ceux-ci entretiennent avec leurs supérieurs, les femmes pourraient être défavorisées et connaître dans le futur des évolutions de carrière plus lentes que les collègues masculins.

Il est donc essentiel que l’ADS soit utilisée dans une relance qui s’appuiera sur de nouveaux talents, de nouvelles façons de faire, et où l’équité entre les sexes devra s’imposer comme l’un des paramètres fondamentaux du monde de demain.

Si cette situation n’est pas prise en compte dans la relance économique, le pouvoir pourrait dangereusement basculer entre les mains des hommes, comme ce fut le cas auparavant. Si nous manquons de vigilance, les gains réalisés par les femmes au fil des ans pourraient être grandement fragilisés, voire anéantis. Cela n’est aucunement un scénario souhaitable. Nous devons tout faire pour éviter qu’il ne se produise.

Louise Champoux-Paillé est économiste. Titulaire d’une maîtrise en administration des affaires et d’une deuxième en muséologie, administratrice de sociétés certifiée, elle se distingue par une carrière de pionnière dans le domaine des services financiers et professionnels. Elle a siégé à une cinquantaine de conseils d’administration et s’engage depuis plus de trente ans dans la promotion de la représentation des femmes au sein des instances organisationnelles. Membre de l’Ordre du Canada, chevalière de l’Ordre national du Québec et Fellow de l’Ordre des administrateurs agréés du Québec, Louise Champoux-Paillé est récipiendaire de nombreux prix et distinctions, dont le prix du Gouverneur général du Canada. Récemment, elle a été reconnue en recevant le prix Égalité Thérèse-Casgrain, qui vise à souligner l’apport de toute une vie à la cause des femmes.