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Violence conjugale : agir en temps de confinement

Des besoins énormes dans les maisons d’hébergement pour femmes

Date de publication :

En contexte de lutte contre la COVID-19, c’est le branle-bas de combat dans les maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale, où les besoins sont plus criants que jamais.

« Il est déconseillé de sortir, mais il n’est pas interdit de fuir. » Rapidement après l’annonce des premières mesures de confinement par le gouvernement du Québec à la mi-mars, le slogan, dont on attribue l’origine à l’Italie, s’est mis à circuler sur les réseaux sociaux. Quelques jours plus tard, le 27 mars, François Legault indiquait, lors de l’un de ses points de presse très écoutés, qu’un fonds d’urgence de 2,5 millions était débloqué pour venir en aide aux femmes subissant de la violence. Le premier ministre exhortait les voisins et la famille à dénoncer les cas de violence conjugale dont ils étaient témoins.

Les organismes qui viennent en aide aux victimes de violence conjugale s’en réjouissent. Ils étaient déjà sur un pied d’alerte, voyant venir dès les premiers jours les conséquences de la crise de la COVID-19 sur les plus vulnérables. « La première stratégie des conjoints violents, c’est l’isolement », rappelle Manon Monastesse, de la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes. « Avec le confinement, ils ont le terrain de jeu parfait. Ça leur donne un levier de contrôle encore plus important sur les femmes et les enfants. » Plusieurs facteurs, comme l’anxiété ou le sentiment de perte de contrôle du conjoint, peuvent en outre exacerber un climat de violence déjà présent.

Personne n’a donc été surpris de l’annonce de Legault parmi les intervenant·e·s de première ligne en violence conjugale. « Au jour un de la crise, on prédisait l’apocalypse et on commençait à trouver des solutions avec les différents paliers de gouvernement », indique Claudine Thibaudeau, travailleuse sociale et responsable du soutien clinique à SOS violence conjugale. Son service téléphonique a été en moyenne 15 % plus achalandé depuis le début de la pandémie. « Ça varie d’une région à l’autre », précise madame Thibaudeau, ce qui n’est pas nécessairement pour rassurer, dans les régions où le téléphone sonne moins qu’à l’habitude. Est-ce parce que les femmes sont tout simplement incapables d’appeler, étant coincées 24 h sur 24 avec un conjoint violent?

« La première stratégie des conjoints violents, c’est l’isolement. Avec le confinement, ils ont le terrain de jeu parfait. Ça leur donne un levier de contrôle encore plus important sur les femmes et les enfants. »

– Manon Monastesse, Fédération des maisons d’hébergement pour femmes

En France, le ministre de l’Intérieur a annoncé une mesure spéciale permettant aux femmes victimes de violence conjugale d’alerter leur pharmacien·ne – à l’aide d’un code si nécessaire – pour que les autorités interviennent. Ce n’est pas la stratégie que l’on a adoptée au Québec. « Ce sont des armes à double tranchant », note Claudine Thibaudeau. « Quand des codes comme ça sont publicisés, ça se rend aussi aux oreilles des conjoints violents. Ça pourrait faire en sorte qu’une femme ait encore plus de difficulté à sortir de chez elle. Nous, on pense que si la femme est capable de se rendre à la pharmacie, elle est capable de nous appeler. »

Plutôt que de développer des stratégies d’appels à l’aide codés, on propose de maintenir le lien avec les femmes que l’on soupçonne être victimes d’abus. « On recommande aux gens d’appeler les femmes sans leur parler nécessairement de leur situation. Juste pour qu’elles sachent que s’il y a un problème, elles peuvent joindre quelqu’un », explique Mathilde Trou, du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale. Claudine Thibaudeau rappelle en outre aux femmes prises dans des situations de violence qu’elles ont le droit « de répondre à leur conjoint ou à leur ex ce qu’il veut entendre. En situation de confinement, par exemple, on peut faire semblant de reconsidérer la situation de rupture, parce que pour le moment, c’est trop difficile de trouver un logement ».

Des maisons en mode confinement

Les ressources d’hébergement demeurent ouvertes. Le fonds d’urgence servira en partie à prendre en charge les coûts supplémentaires associés à l’achat de matériel d’hygiène ou aux ressources humaines dans les maisons d’hébergement qui sont présentement en mode confinement, mais aussi à payer pour des lieux substitutifs pouvant accueillir les femmes vivant une situation d’abus.

Car en ce moment, les ressources habituelles débordent. « Les femmes sortent moins rapidement des maisons parce qu’elles ne peuvent trouver de logement », explique Mathilde Trou. Cette situation crée forcément un engorgement. Mais on ne voudrait surtout pas que cela décourage les femmes d’appeler. « Nos maisons sont ouvertes, les femmes doivent nous appeler ou nous écrire. Des fonds ont été débloqués : on va toujours pouvoir trouver une solution », dit-elle.

Sur le terrain, les intervenantes gèrent la crise, parfois avec des effectifs réduits. Des lavabos ont été installés aux points d’entrée, des pièces de décontamination ont été prévues, les repas se prennent aux chambres, les rencontres de suivi se font par téléphone. « Ça entraîne un certain conflit de valeurs pour nous », admet Danielle Mongeau, directrice de la maison Dalauze. « Normalement, on adopte une approche plus respectueuse de l’autonomie des femmes, on souhaite favoriser l’empowerment. Avec les règles de confinement, on se trouve à brimer un peu plus les libertés », regrette-t-elle. Tout cela, dans le but d’éviter le pire : une contamination à l’intérieur des murs.

Un contexte de résilience

La crise de la COVID-19 arrive à un moment où l’enjeu de la violence conjugale faisait l’objet d’une attention particulière, étant donné les féminicides largement médiatisés survenus depuis le début de l’année. « Dans les derniers mois, il y avait déjà eu une grande médiatisation de la violence conjugale dans la société, donc il y avait une conscientisation », rappelle Claudine Thibaudeau, ajoutant que les liens entre les organismes communautaires et le gouvernement étaient plus forts que jamais. Selon elle, il y aura des apprentissages à dégager de la crise. « On n’a jamais travaillé aussi rapidement et la collaboration entre les organismes n’a jamais été aussi bonne », dit-elle, optimiste que l’on tirera du positif de tout cela.

À tout le moins, la crise permet de révéler qu’on peut agir en violence conjugale. « En temps normal, on arrive à trouver de l’hébergement dans seulement 60 % des demandes. On était déjà en contexte de pénurie », déplore Claudine Thibaudeau. « Mais là, on trouve des solutions. » Espérons que ces solutions perdureront au-delà de cette situation extraordinaire.