Aller directement au contenu

Mieux traiter les plaintes pour violence sexuelle

De meilleures pratiques pour une plus grande justice

Date de publication :

Une étude du Globe and Mail avançait en 2017 qu’une plainte pour violence sexuelle sur cinq était jugée non fondée par la police canadienne. Dans le même ordre d’idées, L’Actualité révélait qu’au Canada, seulement trois agressions sexuelles déclarées sur 1 000 se soldaient par une condamnation. Qu’est-ce qui explique ce phénomène? Existe-t-il des exemples de bonnes pratiques qui permettent aux victimes d’agressions sexuelles d’obtenir une plus grande justice?

Porter plainte pour agression sexuelle n’est pas un processus facile. Pour plusieurs raisons. Dans plus de 70 % des cas, les agressions sexuelles sont commises par un proche de la victime. Il s’agit du crime contre la personne le moins dénoncé (moins de 5 % des victimes portent plainte d’après le Secrétariat à la condition féminine). Le principe de présomption d’innocence, cher au système judiciaire canadien, vise à défendre d’abord l’accusé. Il faut donc que la victime soit prête à s’engager dans un processus officiel de dénonciation.

La police en première ligne

Si une victime d’agression sexuelle décide de dénoncer officiellement le crime qu’elle a subi, elle ira d’abord à la police. Cette dernière n’a pas à établir si la plaignante a été agressée ou non, mais doit plutôt déterminer si les preuves sont suffisantes pour passer à l’autre étape, explique Rachel Chagnon, professeure au département des sciences juridiques de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et directrice de l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF).

Rachel Chagnon, professeure au département des sciences juridiques de l’UQAM et directrice de l’IREF.

Si la police retient la plainte, celle-ci sera placée entre les mains d’un·e enquêteur·se, puis d’un·e procureur·e qui décidera si un procès aura lieu ou non, selon les preuves accumulées. Le fait que la police soit la première à « trier » les accusations explique en partie les écarts entre celles qui sont retenues et rejetées, que l’on observe entre les différents États.

« Il y avait auparavant un effet très délétère sur la volonté des victimes de témoigner, notamment à cause du traitement que leur réservaient des corps policiers peu empathiques et exerçants des protocoles de questions très problématiques. Elles hésitaient longuement à faire face à la police », explique la professeure et chercheuse.

Si la plainte se rend à procès, ce sont les procureur·re·s qui auront une grande influence sur l’issue de jugement final. Rachel Chagnon rappelle qu’un exemple récent d’un procès ayant donné justice aux victimes grâce au bon travail d’un procureur est certainement celui de Harvey Weinstein, condamné à 23 ans de prison. Tout le contraire de celui de l’animateur canadien Jian Ghomeshi, acquitté des allégations pesant contre lui. « Les procureurs n’étaient pas prêts », laisse tomber Rachel Chagnon.

Le rôle des médias

Selon Julie Laforest, conseillère en prévention de la violence à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), les médias ont aussi un rôle à jouer dans la façon dont on y parle des agressions sexuelles, ce qui peut avoir une incidence sur la volonté des femmes de porter plainte ou non.

À ce sujet, l’INSPQ a mis sur pied une trousse médiatique détaillée disponible en ligne sur le site web de l’organisme pour aider les médias à s’exprimer différemment sur cet enjeu, notamment dans le cas de procès très médiatisés. « On ne dit pas qu’il ne faut pas traiter dans les médias, mais plutôt les aborder d’une autre manière, en se basant sur les faits et en expliquant qu’il s’agit d’un enjeu de société et non d’un simple fait divers », affirme Julie Laforest.

D’autres modèles inspirants venus d’ailleurs

Rachel Gagnon soutient que le système judiciaire français offre une avenue intéressante pour la victime d’agression sexuelle. Celle-ci peut s’inscrire comme partie civile dans son procès, puis se prévaloir d’un·e avocat·e et ainsi faire part de ses propres revendications lors de l’audience. Au Canada, ce type de violence est traité en matière criminelle, où la victime est considérée comme témoin et n’a donc pas d’avocat·e. « Mais le triage fait par les corps policiers est plus problématique en France qu’ici : ils rejettent un grand nombre de plaintes et ont plus de latitude qu’ici pour choisir », nuance la professeure.

Des modèles intéressants existent tout autour du globe. Leur objectif premier est de donner une place plus centrale aux victimes d’agression sexuelle plutôt que de les présenter en procès comme simples témoins.

En Afrique du Sud, un tribunal consacré exclusivement aux cas d’agressions sexuelles a été expérimenté. Pas de triage policier (le dossier est automatiquement attribué à un·e procureur·e), meilleur accompagnement des victimes, procédures plus rapides, un seul témoignage de la victime : un ensemble de pratiques ont été mises en place dans le cadre de ce projet pilote. Mais ce système demande énormément de ressources supplémentaires, qui font défaut dans plusieurs pays, observe Rachel Chagnon.

Selon un rapport du Parlement européen sur les meilleures pratiques mondiales de prévention et d’assistance aux victimes d’agressions sexuelles, l’Australie serait un exemple à suivre en la matière. Fort d’une bataille féministe de près de 30 ans, le Yarrow Place Rape and Sexual Assault Service offre une meilleure législation, un plus grand respect des victimes de violences basées sur le genre ainsi que des programmes d’éducation pour les professionnel·le·s du milieu (police, services juridiques, médecins, etc.). La perception publique des agressions sexuelles nécessite cependant des améliorations.

On retrouve au Royaume-Uni un centre intégré qui regroupe sous un même toit tous les services aux victimes, qu’il s’agisse de soins médicaux, de collectes de preuves ou d’accompagnement juridique et psychologique. Le pays a également investi dans des ateliers interactifs de prévention des abus sexuels auprès des jeunes.

En Suède, le mouvement collectif et citoyen #talkaboutit (parlons-en) vise à débattre publiquement des enjeux et de la prévention de la violence sexuelle. Cette initiative permet de souligner que ce type de sévices n’est pas seulement un enjeu privé, mais aussi public et politique.

Des modèles intéressants existent donc tout autour du globe. Leur objectif premier est de donner une place plus centrale aux victimes d’agression sexuelle plutôt que de les présenter en procès comme simples témoins. Ici comme ailleurs, la vague #MeToo a eu des conséquences importantes sur l’ensemble des institutions, dont la police.

« Le mouvement marque assurément une rupture dans la façon de faire des corps policiers. Cette mentalité d’associer les victimes de violences sexuelles à des personnes qui mentent d’emblée commence à être moins prégnante au sein des forces policières, une attitude qui décourageait presque systématiquement les victimes de porter plainte », affirme Rachel Gagnon.

En mars 2019, le gouvernement du Québec a désigné un Comité d’expert·e·s sur l’accompagnement des victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale. L’objectif de l’initiative est de rebâtir la confiance des victimes à l’égard du système de justice. À la lumière du parcours des personnes victimes, le Comité évaluera les mesures actuelles et recommandera celles pouvant être mises en place afin de mieux prendre en compte leurs réalités. En parallèle, le Conseil du statut de la femme a été mandaté par la ministre responsable de la Condition féminine pour produire une étude sur le sujet et, ainsi, alimenter les réflexions du Comité.