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La route est longue

Les 15 000 éducatrices en milieu familial du Québec revendiquent depuis longtemps de meilleures conditions de travail.

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Les 15 000 éducatrices en milieu familial du Québec revendiquent depuis longtemps de meilleures conditions de travail. Représentées par la FIPEQ-CSQ et la FSSS-CSN*, elles ont obtenu gain de cause auprès du ministère de la Famille et des Aînés en novembre dernier, au terme d’une première entente de principe. Congés payés, avantages sociaux… Les nouveaux acquis sont-ils suffisants? Oui et non, selon les principales concernées.

Nous sommes vendredi après-midi, à Buckingham, dans l’Outaouais. Dans une charmante maisonnette attenante à sa demeure, Odette Chartrand, 64 ans, danse la macarena avec sa deuxième famille : les six enfants inscrits à son service de garde Chez mamie. Un royaume éducatif en pleine nature. Par la fenêtre, on aperçoit des aires de jeux à l’orée d’un bois. Tandis que les petites voix clament des « Viva España! » enthousiastes, l’éducatrice achève bientôt sa semaine de 60 heures.

« Tous les jours, je vois les enfants se développer. C’est un cadeau de la vie! » souffle Mme Chartrand. Un cadeau qui coûte cher, toutefois. Malgré son horaire chargé, l’éducatrice a récolté un maigre salaire de 15 000 $ l’an dernier. « Mon emploi me nourrit spirituellement, mais je suis épuisée. » Que pense-t-elle des bénéfices inclus dans la nouvelle entente collective? « Ce qui nous a été accordé, je l’apprécie beaucoup. Trois semaines de vacances payées par année, ça aide à faire passer les journées de 10 h et plus. Cela dit, je ne comprends pas qu’on ait dû se battre si fort pour obtenir cet acquis de base. »

Au Québec, 92 000 enfants fréquentent un service de garde en milieu familial, alors que près de 80 000 petits passent leurs journées dans un centre de la petite enfance (CPE). Pourquoi les éducatrices ont-elles dû attendre si longtemps avant de bénéficier de conditions de travail décentes, comparables à celles de leurs homologues chapeautées par l’État? « Les membres de cette profession sont essentiellement des femmes. Des femmes qui travaillent à la maison, avec un statut de travailleur autonome, affirme Maria Luisa Ittura, membre du comité de négociation à la Centrale des syndicats du Québec (CSQ). Sans compter que le droit de nous regrouper ne nous a été accordé qu’en . Pour toutes ces raisons, la reconnaissance sociale de notre métier a été très longue. Ça fait 13 ans qu’on se bat! »

Source du montant reçuAvant la convention collectiveAprès la convention collective
Subvention par enfant19 $20,07 $
Protections sociales (régimes de retraite et d’assurance collective, CSST, RRQ, RQAP)0 $3,92 $
Congés payés0 $1,35 $
Contribution des parents7 $7 $
Montant par enfant26 $32,34 $

Mme Ittura considère que c’est surtout sur le plan éthique que les éducatrices sortent gagnantes de cette première convention collective. Car avec ce document, le ministère de la Famille et des Aînés (MFA) a reconnu l’importance du rôle des responsables de service de garde en milieu familial dans le système éducatif québécois. Exit l’appellation de la « p’tite gardienne ». « Cette entente oblige à réévaluer la nature de l’emploi. Que vaut le travail d’une éducatrice? Il faut se poser la question », affirme la négociatrice.

Avant l’entente, le travail d’une éducatrice en milieu familial « valait » l’équivalent de 8 $ l’heure, alors que le salaire horaire minimum au Québec est de 9,50 $. Est-ce normal qu’une personne responsable du bien-être et de l’éducation de six enfants au quotidien ait le même revenu qu’une étudiante dans un emploi d’été? Le MFA semble avoir répondu que non. Avec les nouveaux acquis, on peut estimer que le taux horaire des éducatrices grimpe à environ 10,50 $. « C’est toutefois difficile à calculer, car plusieurs dépenses fluctuent : entretien de la garderie, ménage, désinfection des jouets, sorties, achat et préparation de la nourriture… » nuance Mme Ittura.

Stéphanie Sangollo tient une garderie en milieu familial à Montréal. Elle est également très satisfaite d’obtenir 16 jours de congés payés par année. Mais là où le bât blesse, selon elle, c’est sur le plan de l’augmentation de la subvention par jour par enfant versée par le MFA, qui augmente seulement de 1,07 $.

Mme Sangollo s’investit à fond dans son métier et organise deux sorties par semaine avec les enfants : à la bibliothèque, au Jardin botanique, au théâtre… Des activités qu’elle paie souvent de sa poche. Sans compter le matériel pour les jeux et le bricolage. « Rien que la nourriture me coûte 10 000 $ par an si je veux offrir des dîners de qualité, relate-t-elle. Il me reste 20 000 $ en salaire annuel. Et le coût de la vie augmente… »

Pourquoi faire ce métier? lui demande-ton parfois, elle qui détient un bac en éducation et est inscrite à la maîtrise. Un coup de coeur, répond-elle. Mais cela ne l’empêche pas de souhaiter ardemment que le gouvernement investisse plus. Son verdict final sur la convention collective : « Nous verrons dans trois ans, au terme de cette première entente. Les négociations seront plus corsées ensuite.

De son côté, Maria Luisa Ittura insiste sur l’importance d’inciter les parents et le Ministère à réfléchir aux valeurs de notre société. « Plus les éducatrices auront une meilleure qualité de vie au travail, plus les petits seront heureux. L’avenir, c’est eux! »

Elle affirme qu’il faut être patient, y aller progressivement. « Quand on part de rien et qu’on obtient le respect et la protection sociale, on peut dire qu’on a obtenu des résultats satisfaisants. Mais bien sûr, il reste du chemin à faire. »

Sylvaine Dumais, négociatrice à la FSSSCSN (la seconde instance syndicale qui représente les éducatrices), abonde en ce sens. « Nous avons revendiqué une subvention quotidienne de 37 $ par enfant auprès du gouvernement, incluant les 7 $ versés par les parents. Au terme de l’entente, en , nous aurons presque atteint 35 $ par enfant par jour. Nous serons alors près du montant demandé. Mais déjà, nous ne sommes plus considérées comme de simples gardiennes. Avant, nous étions enfermées dans nos maisons. La convention est un gros gain pour l’avancement de ce métier majoritairement féminin », affirme celle qui est également éducatrice à Amqui depuis 20 ans.

Patience, donc. En attendant, Odette Chartrand sera fidèle au poste lundi pour accueillir les petits. Ces derniers auront une discussion sur les chats, bricoleront, joueront dans la forêt, mangeront leurs légumes et, pour faire plaisir à « mamie », feront leur sieste. Pendant ce temps, Odette rêvera éveillée à sa prochaine augmentation de salaire…

  1. *Fédération des intervenantes en petite enfance du Québec-Centrale des syndicats du Québec et Fédération de la santé et des services sociaux-Confédération des syndicat