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Le feu sacré de Louise

À 68 ans, Louise Gareau a accroché son sarrau avec regret. Même privée de son stéthoscope, l’infirmière en elle n’hésite pas à établir son diagnostic …

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À 68 ans, Louise Gareau a accroché son sarrau avec regret. Même privée de son stéthoscope, l’infirmière en elle n’hésite pas à établir son diagnostic : le système de santé québécois est gravement malade. Première cause de ce mal : un cloisonnement des métiers qui empêche la collaboration entre les différents acteurs du système. « Il faut mettre fin aux chasses gardées et organiser les soins en fonction des compétences de chacun », affirme t-elle avec aplomb. Celle qu’on surnomme « l’objectrice de conscience » n’en démord pas : les médecins doivent déléguer davantage à leurs collègues infirmières. En 2002, affectée au triage d’un CLSC de la région de Québec, elle a eu l’idée de compter les patients qui attendaient de voir un médecin alors que l’examen d’une infirmière leur aurait suffi. En une journée seulement, plus de la moitié des patients auraient pu consulter une infirmière plutôt qu’un médecin, ce qui aurait considérablement réduit l’attente, selon elle. « Les infirmières peuvent très bien diagnostiquer une otite ou prescrire une radiographie. Elles le font en région, mais une fois en ville, elles n’ont plus le droit de prendre cette responsabilité. » Une pointe d’ironie dans la voix, elle rappelle que « les médecins sont payés à l’acte : si les patients ne les voient pas, ils ne seront pas payés ». Lorsqu’elle a présenté les résultats de son sondage maison à ses supérieurs du CLSC, ils lui ont tout bonnement répondu « qu’ils n’étaient pas encore rendus là » dans l’organisation des soins. Quelques années plus tard, Louise Gareau constate sans étonnement que la situation ne semble pas avoir évolué. Cette Abitibienne qui a obtenu son premier diplôme d’infirmière auxiliaire en 1959 en a vu d’autres. Car la tension entre les médecins et le personnel infirmier ne date pas d’hier. Le médecin reste le maître d’œuvre et l’infirmière est toujours perçue comme l’éternelle exécutante. « Nous sommes encore dans une relation de dépendance, déplore la nouvelle retraitée. Si le personnel infirmier était majoritairement composé d’hommes, son rôle serait reconnu davantage. » Une question de sexe, alors ? Elle insiste : « Dans le dossier du CHUM [NDLR : ce méga-hôpital montréalais dont la construction piétine], pourquoi entendons-nous toujours les différents lobbys de médecins et jamais ceux des infirmières ? » Elle est convaincue que la réponse est culturelle. Contrairement à ce que son éducation lui prescrivait, Louise Gareau n’a jamais attendu l’approbation des médecins pour mettre en œuvre ses idées. « Je suis quelqu’un qui dérange », avoue-t-elle en riant au bout du fil. Parce qu’elle croyait en des accouchements plus humains et moins médicalisés, parce qu’elle défendait le droit à l’avortement, le planning familial et l’autodétermination des femmes, elle a fondé avec d’autres le Centre de santé des femmes, première clinique d’avortement de Québec. Et parce que les droits des femmes étaient au cœur de toutes ses luttes, l’infirmière s’est souvent heurtée au club des hommes que formaient les médecins. Cinquante ans de métier dans les pattes et jamais à bout de souffle. Est-elle une exception ? « Quand cela ne faisait plus mon affaire, je partais », répond-elle simplement. Et elle a souvent fait ses valises. Son métier d’infirmière « engagée », elle l’a même pratiqué au Nicaragua, au Rwanda, en République Dominicaine et en Haïti. Dans son cas, l’expression feu sacré semble banale, insuffisante. Louise Gareau a décidé qu’elle serait infirmière lorsqu’elle a vu la garde de son village natal — La Corne — sauver sa mère d’une hémorragie utérine. Pour l’enfant de 10 ans, être infirmière signifierait toujours « changer le monde, particulièrement celui des femmes ». Pari tenu. Louise Gareau, infirmière de combats, a changé la vie de milliers de femmes au Québec et à l’étranger. Elle affirme sans hésitation qu’elle recommencerait n’importe quand, peu importe les conditions. Et on la croit.