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Pédaler vers la libération!

Des collectifs cyclo-féministes en lutte pour l’environnement!

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L’avenir sera cycliste, ou ne sera pas. C’est en tout cas ce que semblent indiquer les investissements massifs en infrastructures cyclables faits par les grandes villes du monde ces dernières années, motivés entre autres par la lutte contre les changements climatiques. Depuis New York jusqu’à Paris, en passant par Montréal et même par Québec, qui voit le cyclisme grandir en popularité, le vélo a la cote. Outil abordable, dont l’entretien est simple, on peut en faire toute l’année et ainsi améliorer nettement son bilan carbone. Un seul problème : où sont les femmes?

De la France à l’Australie, les femmes cyclistes manquent à l’appel. Le phénomène est tellement connu que les anglophones lui ont donné un nom : le cycling gender gap. Moins prononcé dans la Belle Province, où 45 % des cyclistes étaient des femmes en selon Vélo Québec, on l’observe malgré tout dans les boutiques de vélo, sur les pistes de course (le pendant féminin du Tour de France a été éliminé en ) ou auprès des messager·ère·s à bicyclette.

Pour Ravy Puth, coordonnatrice du collectif cyclo-féministe Les dérailleuses (dont l’autrice de ces lignes est aussi membre), ce phénomène s’explique surtout par les relents sexistes qui émanent encore du milieu. « Du point de vue sportif, le cyclisme est un bébé des Jeux olympiques modernes, auxquels les femmes n’étaient originalement pas autorisées à participer. Les organisations d’aujourd’hui répètent cette discrimination, jusqu’à déclarer ouvertement que les femmes n’y sont pas les bienvenues. »

À cela s’ajoutent les infrastructures inadéquates qui limitent la pratique aux plus téméraires, dont les femmes – encore majoritairement responsables du transport des enfants et des emplettes – ne peuvent souvent faire partie. La parité parmi les cyclistes est d’ailleurs l’un des indicateurs utilisés par les villes pour mesurer la qualité de leurs aménagements. À Copenhague, réputée pour son réseau cyclable étendu, les femmes forment 55 % des cyclistes qui sillonnent les rues.

L’émancipation a les mains graisseuses

Plutôt que d’attendre que la Ville construise des infrastructures accueillantes, plusieurs militantes montréalaises se sont rassemblées dans des collectifs cyclo-féministes, avec pour but de rendre la pratique inclusive. De ces initiatives, deux sont nées dans des ateliers de vélo communautaires, ces endroits où on peut arriver certains soirs avec sa bécane mal en point et obtenir de l’aide des mécanos bénévoles pour la remettre à neuf. Les participant·e·s quittent l’atelier avec des connaissances pratiques et économisent souvent gros grâce aux pièces usagées en vente sur place.

Stéphanie Thibodeau, bénévole à BQAME

À l’origine, les soirées étaient ouvertes à tout le monde. « Nous pouvions bien voir que c’étaient surtout des hommes qui venaient. Les autres personnes ne se sentaient pas bienvenues », se remémore Stéphanie Thibodeau, bénévole à BQAME, des soirées en mixité choisie qui ont lieu deux vendredis par mois à l’atelier BQAM. D’où l’initiative d’ouvrir l’endroit un soir de plus, avec une contrainte : les hommes cisgenres n’y seraient pas admis. « Au début, l’idée a été reçue avec beaucoup d’hostilité », confie la mécanicienne.

Les militantes ont persévéré et les effets n’ont pas tardé à se faire voir. « Beaucoup de personnes présentes aux soirées en mixité choisie étaient trop intimidées pour venir les autres soirs. Plusieurs n’ont jamais utilisé d’outils », note Amanda Russello, mécanicienne à l’atelier La voie libre, où elle anime les soirées WTF, pour Women, Trans et Femme.

Ces initiatives aident aussi les réparatrices bénévoles à gagner en aisance dans ce milieu dominé par les hommes. « Les soirées en mixité choisie sont importantes parce qu’elles nous permettent de prendre de la confiance en tant que mécaniciennes », affirme Sol Engmann de La voie libre. Si celles qui s’impliquent dans ces ateliers sont souvent plutôt inexpérimentées, elles y acquièrent rapidement assez de connaissances pour aider aux réparations les plus délicates.

À BQÀM, un cinquième du conseil d’administration (CA) est maintenant féminin. Du côté de La voie libre, Sol Engmann estime que près de la moitié des mécaniciens sont désormais des mécaniciennes (femmes et personnes non binaires). Les valeurs féministes ont aussi infiltré les deux collectifs, encourageant les hommes qui en font partie à s’y intéresser.

Féministes et environnementalistes à deux roues

Il n’y a rien de surprenant à ce que la bicyclette serve aujourd’hui à propager les idéaux féministes et environnementalistes. Dès sa mise en marché à la fin du 19e siècle, ce véhicule était tombé dans l’œil des suffragettes, qui y voyaient un moyen de déplacement permettant de se rencontrer pour discuter politique. On peut lire, dans les journaux de l’époque, des chroniqueurs horrifiés par les femmes qui se promenaient librement. Les militantes firent fi de ces critiques et pédalèrent vers l’obtention du droit de vote.

« En luttant pour la justice sociale, nous nous battons pour la fin des systèmes sous-jacents qui détruisent la planète. Pour moi, le cyclo-féminisme est un excellent exemple de cette intersection. »

– Ravy Puth, coordonnatrice du collectif cyclo-féministe Les dérailleuses

Au Québec, l’association montréalaise de cyclisme Le monde à bicyclette, fondée en  1975, reposait sur des principes affirmés d’écologie urbaine, de mobilité active et d’urbanisme durable. En activité jusqu’en, elle était notamment constituée d’un comité cyclo-féministe exclusivement réservé aux femmes, où plusieurs références au mouvement écoféministe étaient proposées. Le journal gratuit publié par les militant·e·s traitait non seulement de l’actualité cyclable de Montréal, mais aussi d’enjeux comme les transports en commun, les droits des femmes, l’homosexualité et l’urbanisme alternatif.

Aujourd’hui encore, vélo et féminisme vont main dans la main. Chez nos voisins du Sud, des femmes latino-américaines se rendent visibles lors de balades mensuelles organisées à Los Angeles par le collectif Ovarian Psycos. La maison d’édition cyclo-féministe Elly Blue Publishing publie depuis à Portland, en Oregon. En Colombie-Britannique, les Muddbunnies veulent initier les jeunes filles au vélo de montagne et la boutique Gladys Bikes s’adresse ouvertement aux femmes. Partout où l’on regarde, une initiative féministe tente de rendre le cyclisme plus accessible à toutes.

Femmes recherchées

Ravy Puth

Partout? Pas tout à fait. Hors de la métropole québécoise, aucun atelier communautaire n’offre de soirées en mixité choisie. « Dernièrement, un membre a manifesté son intérêt pour ouvrir un comité féministe », affirme-t-on à La déraille, coopérative située à Sherbrooke. Le désir a beau être là, il reste tout de même beaucoup de travail à faire pour recruter un nombre suffisant de mécaniciennes afin d’assurer la permanence de ce genre d’initiative.

« Le milieu cycliste est typiquement masculin, notamment le monde de la course à vélo. Les garçons sont donc socialisés pour voir positivement le cyclisme, la mécanique. C’est normal que ce soient surtout des hommes qui, par la suite, développent une passion assez grande pour s’y consacrer », explique Ravy Puth.

Bien que leurs initiatives aient indéniablement un effet positif sur la lutte pour l’environnement, ces militantes s’impliquent surtout parce qu’elles rêvent de justice sociale. « Impossible de voir l’un sans l’autre, remarque cependant Ravy Puth. En luttant pour la justice sociale, nous nous battons pour la fin des systèmes sous-jacents qui détruisent la planète. Pour moi, le cyclo-féminisme est un excellent exemple de cette intersection. »