Aller directement au contenu

La conscience verte

Unies à la terre par un lien particulier, les femmes multiplient les initiatives pour donner un peu de répit à la planète. Comme si, dans leurs veines, coulait un sang teinté de vert.

Date de publication :

Auteur路e :

Unies à la terre par un lien particulier, les femmes multiplient les initiatives pour donner un peu de répit à la planète. Comme si, dans leurs veines, coulait un sang teinté de vert.

Consommation responsable, gestion des matières résiduelles, préservation des habitats naturels, lutte contre les substances toxiques dans les produits d’usage courant : les Québécoises se préoccupent de nombreux enjeux environnementaux. Et ce n’est pas qu’ici que bourgeonnent les groupes de femmes engagés dans des batailles écologiques. Depuis une trentaine d’années, des mobilisations de ce genre ont éclos partout sur la planète. Comment cet engagement des femmes envers l’environnement a-t-il pris racine ? Le terreau était fertile, répondent les expertes de la question.

« Lorsqu’il y a pénurie d’eau ou d’aliments, ce sont les femmes qui sont les plus touchées, car elles s’occupent de leur famille et sont généralement les plus pauvres », illustre d’entrée de jeu Heather Eaton, professeure titulaire du Département de théologie de l’Université Saint-Paul, à Ottawa. Même chose en cas de catastrophe naturelle. L’ONU et nombre d’organisations internationales consacrent des programmes d’aide à ces femmes, plus vulnérables aux changements d’humeur de la météo et aux désastres écologiques provoqués par les humains, explique Mme Eaton. « Ces instances internationales ont compris depuis belle lurette qu’un lien très fort unit les femmes et la terre. »

Pour la cofondatrice d’Équiterre, Laure Waridel, l’expression anglaise Mother Earth (« la terre mère ») illustre parfaitement cette relation « naturelle ». Les femmes et la terre ont en commun l’aspect nourricier, évoque-t-elle. La femme allaite son bébé comme la terre nourrit les humains. Les femmes seraient ainsi portées à protéger la terre comme elles protègent leur enfant.

La vice-présidente et cofondatrice du Réseau québécois des femmes en environnement (RQFE), Lise Parent, croit également que les femmes s’intéressent à l’environnement parce que ce sont elles qui portent les enfants et qui, conséquemment, se préoccupent de leur santé. « Puisqu’elles sont encore responsables de plus de 70 % des achats des ménages, elles cherchent des outils pour agir concrètement », explique-t-elle.

L’écoresponsabilité, une initiative féminine

Fondé en 2000, le RQFE compte 350 femmes issues de milieux diversifiés qui élaborent des stratégies afin de promouvoir le développement durable, la protection de l’environnement et la santé. Il a notamment mis sur pied le Conseil québécois des événements écoresponsables (CQEER), qui aide les entreprises à diminuer leur empreinte environnementale lorsqu’elles organisent des événements en leur fournissant, par exemple, des trucs pratico-pratiques pour générer moins de déchets.

L’idée a germé lorsque quelques femmes ont constaté que les événements organisés par leurs entreprises polluaient terriblement. Un exemple ? Un participant à une conférence produirait 30 kg de déchets en trois jours. « C’est cinq fois plus de déchets que dans son quotidien », peut-on lire sur le site Internet du CQEER.

Le Réseau a organisé son premier événement écoresponsable en 2005 : le colloque « Écodéfi », qui a réuni 450 participants venus discuter d’enjeux liés à la santé des femmes et à l’environnement. Vaisselle réutilisable, programme de recyclage pour limiter l’utilisation du papier, emploi de produits équitables et socialement plus responsables : les organisatrices souhaitaient réduire au minimum les émissions de gaz à effet de serre.

« Notre événement a fait école », note fièrement Mme Parent. Depuis son lancement officiel en janvier 2008, le CQEER a soutenu quelque 2 500 organisateurs d’événements. Il compte des conseillers dans huit régions du Québec. La prochaine étape ? Une certification « écoresponsable ».

L’organisme offre aussi des formations sur les perturbateurs endocriniens, des agents chimiques qui se cachent dans de nombreux produits cosmétiques et de consommation courante, notamment. « Par le cordon ombilical, la mère transmet à son bébé plus de 110 substances toxiques, illustre Mme Parent, aussi professeure en toxicologie à la Téluq. Ces substances menacent notre santé. Elles mettent en péril le développement de nos enfants et celui des générations qui les suivront. » Les biberons en plastique rigide contenant du bisphénol A (BPA), interdits par le Canada l’automne dernier, ne représentent que la pointe de l’iceberg. « On trouve ce genre de substances nocives partout », déplore Mme Parent.

Le RQFE vise également à favoriser l’accès des femmes aux postes décisionnels dans le domaine de l’environnement. « Elles sont plus présentes sur le terrain, mais n’occupent pas les postes décisionnels », constate Lise Parent. L’initiative « L’environnement se décide aussi au féminin » proposait, jusqu’à l’an dernier, un programme de mentorat qui jumelait des femmes d’expérience ayant occupé des postes de direction avec d’autres qui en étaient à leurs débuts ou à un tournant de carrière.

Un rendez-vous annoncé : l’écoféminisme

La représentation des femmes dans les postes décisionnels d’organismes voués à la défense de l’environnement préoccupe aussi Maude Prud’homme, militante écologiste de longue date. « Les filles sont chargées du secrétariat, de la logistique, de la bouffe et de plein d’autres tâches de ce genre, mais ce sont toujours des gars qui occupent les postes de porte-parole », dit-elle. C’est en cherchant à comprendre cette inégalité qu’elle s’est intéressée à l’écoféminisme.

Puis, en 2007, elle a rencontré Elsa Beaulieu, une féministe radicale qui souhaitait également faire le pont entre ses convictions féministes et ses intérêts environnementaux. Ç’a été le coup de foudre intellectuel. Depuis, elles travaillent ensemble à faire connaître l’écoféminisme, qui compte très peu d’adeptes au Québec. Qu’est-ce au juste ? « C’est le lien entre l’écologie et la justice sociale, mais d’un point de vue féministe », définissent Maude et Elsa en choeur.

Pour soigner la terre, il faut savoir qui contribue à sa destruction et pourquoi. Et c’est la structure sociale patriarcale qu’il faut montrer du doigt, selon elles. « Elle produit à la fois l’oppression des humains et l’oppression et la destruction des écosystèmes », ajoute Elsa. De manière très résumée, la solution se trouverait dans l’établissement d’une société égalitaire. Mais ce cadre théorique, qui fait le parallèle entre la domination des femmes par les hommes et celle de la nature par les humains, ne convient pas à tout le monde.

Selon la professeure Heather Eaton, le terme écoféministe demeure impopulaire parce qu’il est méconnu, mais également parce qu’il contient le mot féministe, qui a généralement mauvaise presse. Elle préfère utiliser écoféministe comme « terme parapluie », sous lequel on cherche à comprendre les liens qui unissent la femme et la nature, le féminisme et l’écologie.

Même si elle ne l’aborde pas directement dans ses livres et ses conférences, Laure Waridel s’identifie à ce mouvement. « Le rapport de domination qu’entretiennent les humains avec les écosystèmes ressemble à celui des hommes sur les femmes dans plusieurs sociétés où leurs droits fondamentaux sont bafoués », explique-t-elle avant d’ajouter que les autochtones cultivent encore, dans bien des cas, une relation d’interdépendance avec la nature.

Plus personne n’est en faveur de la discrimination basée sur le sexe, conclut Laure Waridel. Alors pourquoi se permettrait-on d’entretenir un rapport de domination et d’exploitation à l’égard de la nature ? »