Aller directement au contenu

Sexisme en musique : des trucs pour s’assurer une programmation paritaire et inclusive – Partie 2

Solutions constructives pour des rendez-vous musicaux plus vivants, diversifiés et… paritaires!

Date de publication :

L’été est à son zénith et des tas de festivals de musique s’offrent au public. C’est la période idéale pour aller découvrir des artistes d’ici et d’ailleurs. Mais, année après année, un constat s’impose : parmi la pléthore de personnes invitées sur les différentes scènes, et ce, à travers le Québec, les femmes font cruellement défaut. Pourtant, ce ne sont pas les musiciennes de talent qui manquent, ça non! Que peut-on faire pour éviter cela? Voici d’autres solutions constructives pour des rencontres musicales plus vivantes, diversifiées et… paritaires!

Pour lire la première partie du texte

5. Rendre hommage aux femmes, c’est aussi les inviter à participer!

Géniale idée que celle de vouloir célébrer les femmes artistes qui ont pavé le chemin à la relève musicale, mais les inclure est encore mieux. Un festival en région l’a appris à la dure lorsque son organisateur a annoncé une série hommage à de grands noms de la musique sans qu’aucune femme fasse partie de la programmation. Ça n’arrive pas que dans ce domaine : le milieu culturel connaît des ratés fréquents. Par exemple, l’an dernier, Les Grands Ballets annonçaient une série intitulée Femmes qui se voulait « une ode à la femme ». Mais les trois spectacles proposaient des chorégraphies réalisées par… des hommes.

On peut aussi penser au monde de la musique classique, assez conservateur, où très peu de femmes sont chefs d’orchestre, mis à part quelques exceptions, comme la fabuleuse Dina Gilbert. Par contre, des gestes concrets se font. Comme l’initiative de Yannick Nézet-Séguin, chef de l’Orchestre Métropolitain, qui a décidé, pour souligner leur travail, d’inviter quatre femmes sur les cinq chefs d’orchestre célébrés pendant la saison . « Il s’agit de poser un geste concret », explique-t-il. En effet, c’est en donnant l’exemple que les choses bougeront.

6. Les médias et les radios ont également un rôle à jouer

Il y a un cruel manque de journalistes et de critiques femmes en musique; c’est encore un boy’s club. De passage à l’émission On dira ce qu’on voudra pour parler de ce sujet, le journaliste Dominic Tardif expliquait qu’il y a tout de même plusieurs plumes québécoises intéressantes chez les femmes. C’est vrai, mais honnêtement, ça demeure encore trop peu. Et tant que ce milieu restera largement occupé par des représentants masculins, ce sont plusieurs visions du monde et de la culture qui manqueront à l’appel.

Pour le public, cela renvoie à l’idée que ce sont les hommes qui, d’abord et avant tout, ont les connaissances nécessaires pour discuter de musique. Ajoutons que les maisons de disques ont aussi leur mot à dire sur la place des femmes dans l’industrie, car elles ont le pouvoir de les signer. Ce qui est un puissant message aux yeux de l’audience.

Les responsables de la promotion répètent ad nauseam que la parité n’est pas facile à atteindre parce qu’il faut donner au public ce qu’il veut entendre. On peut en conclure rapidement qu’on parle ici des artistes qui jouent sur les ondes des radios commerciales. Mais si les Rouge FM et Rythme FM de ce monde proposent des programmations quasi paritaires, voire parfois plus féminines que masculines, comment se fait-il que cela ne se traduise pas par son équivalent dans les festivals? L’argument selon lequel il faut « plaire au public » ne tiendrait donc pas la route.

Par contre, le Billboard Canadian Hot 100 a connu sa pire année en 2018 côté représentation féminine, avec un petit 16 % de femmes, alors tout n’est pas gagné. Cela dit, à la radio québécoise, on peut penser à des plateformes comme les Révélations Radio-Canada. Chapeauté par ICI Musique, ce programme accompagne pendant un an des artistes de la relève musicale, et ce, dans quatre genres, soit chanson, classique, jazz et musique du monde. Mais encore là, globalement depuis sa création en , il n’atteint pas la parité, même si l’on sent qu’un effort est fait de ce côté. Particulièrement pour assurer la découverte de talents issus de la diversité culturelle.

7. L’importance de la diversité culturelle

Si les femmes blanches sont déjà sous-représentées, qu’en est-il des personnes racisées et des autochtones? Musique nomade, par exemple, effectue un excellent travail de fond pour mettre en lumière les artistes autochtones d’ici. Mais tout de même, et avec raison, la question de la représentativité a fait les manchettes dans la foulée des dénonciations entourant les spectacles SLĀV et Kanata de Robert Lepage.

À l’occasion d’un chantier féministe organisé à Espace Go, deux créatrices d’ici, Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent, ont proposé un guide pour une critique culturelle équitable. Fortement inspiré par ces dénonciations de l’été , le petit manifeste offre de judicieux conseils pour quiconque souhaite s’ouvrir les yeux face à la diversité et à la place des femmes. Il formule notamment cette recommandation : « Cherchez vos biais inconscients, reconnaissez-les et déconstruisez-les! » Ce qui nous mène au point suivant.

8. La parité, pas juste sur scène, mais aussi en coulisses

Louis-Jean Cormier aurait certainement eu avantage à retenir la leçon proposée dans le guide de Milot et St-Laurent pour ne pas perpétuer l’idée, fausse, que les femmes sont moins compétentes. On se rappellera du scandale entourant le musicien, qui avait affirmé dans La Presse : « Du côté de la technique, ce que je veux, c’est avoir la meilleure équipe possible. Mais on n’est pas proche de l’équité parce que les techniciennes n’ont pas beaucoup d’expérience… » Cela, après avoir mentionné que, si l’on atteint le 50-50, il craint des « programmations grises ». En bref, la présence de femmes diminuerait la qualité de la programmation et les techniciennes seraient moins qualifiées. Et moins expérimentées. Ouf.

« Pour que les femmes gagnent en expérience, ne faut-il pas qu’on leur laisse d’abord une place pour apprendre? »

Mais pour que les femmes gagnent en expérience, et Cormier le dit lui-même, ne faut-il pas qu’on leur laisse d’abord une place pour apprendre? Plusieurs artistes féminines ont avoué avoir été traitées avec mépris par rapport à leurs connaissances techniques et/ou on leur a carrément préféré des hommes pour des contrats non seulement comme interprètes, mais aussi comme techniciennes. De nombreuses femmes du groupe F*EM (Femmes en musique) rapportent ce genre de situation. Même son de cloche chez Lydia Képinski, Ariane Brunet et Laurence Nerbonne, qui expliquent être moins prises au sérieux en tant que femmes dans un milieu encore fortement masculin.

9. Être solidaires et s’entraider

Parmi les actions concrètes à appliquer – si l’on peut se le permettre, bien sûr -, il y a celle de refuser de jouer dans un contexte où peu ou pas de femmes sont représentées afin de faire pression sur l’organisation pour qu’elle prenne conscience du problème.

Mais avant tout : l’entraide. Privilégier des femmes, des femmes trans et des personnes non binaires dans les contrats offerts. Se passer le mot sur des organisations problématiques. Se protéger de lieux, d’organismes et de personnes qui ne respectent pas les engagements et/ou qui traitent mal les artistes. S’informer des festivals inclusifs. Faire des campagnes de sensibilisation, prendre la parole et dénoncer, etc.

En résumé, la parité, on n’y est pas encore. Les organisations qui travaillent en musique ont des efforts à déployer. Des voix doivent continuer à s’élever pour faire comprendre qu’il y a un décalage important entre la représentation masculine et féminine dans cette discipline. Il reste aussi plusieurs mythes à déboulonner concernant la qualification des femmes et leur valeur dans ce domaine. Qui plus est, à compétences égales, elles seront généralement moins payées qu’un homme.

Comme le dit l’une des femmes membres de F*EM, journaliste et musicienne, « c’est une bataille sur tous les fronts ». Et elle doit se continuer à tout prix.

Un ÉNORME merci à Christelle Saint-Julien pour ses réflexions ainsi qu’aux diverses personnes du groupe de discussion F*EM pour leurs judicieux avis et conseils qui ont inspiré la rédaction de cet article.

Myriam Daguzan Bernier est autrice de Tout nu! Le dictionnaire bienveillant de la sexualité (Éditions Cardinal, ), créatrice du blogue La tête dans le cul, collaboratrice à Moteur de recherche sur ICI Radio-Canada Première et journaliste indépendante. Elle est également formatrice et spécialiste Web et médias sociaux à l’INIS (Institut national de l’image et du son). Actuellement aux études à temps plein en sexologie à l’Université du Québec à Montréal, elle prévoit devenir, dans un avenir rapproché, une sexologue misant sur une approche humaine, féministe et inclusive.